Moscou, un troisième choix pour Kaboul

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Par Piotr Gontcharov, RIA Novosti
Par Piotr Gontcharov, RIA Novosti

"Je suis arrivé à Moscou pour dire sincèrement à nos partenaires russes que l'Afghanistan est partisan du développement et de l'extension de la coopération avec la Fédération de Russie", a déclaré le ministre des Affaires étrangères de la République Islamique d'Afghanistan, Rangin Dadfar Spanta, à son arrivée à l'aéroport moscovite de Cheremetievo. La visite du chef de la diplomatie afghane dans la capitale russe est dans une grande mesure passée inaperçue. Pour les médias russes, elle avait relativement peu d'importance, ce qui est regrettable, car elle a été, pour ainsi dire, un véritable tournant dans le développement des rapports russo-afghans. Voici pourquoi.

Premièrement, Rangin Dadfar Spanta a de fait démenti tout ce qu'on dit et ce qu'on pense en Russie à propos de la situation en Afghanistan. Selon lui, l'opinion véhiculée par les experts russes selon laquelle Kaboul ne contrôlerait qu'une partie insignifiante du territoire du pays est tout à fait fausse. De même, il serait erroné d'affirmer que la situation échapperait à l'OTAN, et serait impossible à reprendre en main sans l'aide de l'OTSC (Organisation du Traité de sécurité collective) et de l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai).

Rangin Dadfar Spanta a déclaré que Kaboul "éprouve des difficultés" dans seulement deux provinces sur les 34 que compte le pays: celles de Helmand et d'Orozgân. Le fait que les réunions du gouvernement se tiennent régulièrement dans les provinces témoigne que la situation y est solidement contrôlée par Kaboul. Des réunions ont déjà eu lieu dans la province de Nangarhâr, à Mazar-e-Charif et à Kandahar. D'autres se tiendront prochainement à Hérat et à Bamiyân. A Hérat s'est déroulé un sommet des chefs de diplomatie de la région, et en automne, une rencontre des ministres des Affaires étrangères des pays arabes aura lieu à Jalalabad. Ces faits sont éloquents.

Deuxièmement, M. Spanta a souligné que Kaboul avait l'intention de développer les rapports avec la Russie au niveau bilatéral, en excluant toute variante de "blocs".

En fait, M. Spanta a ainsi laissé entendre que Kaboul n'était enclin à coopérer ni avec l'Organisation de coopération de Shanghai, ni avec l'Organisation du Traité de sécurité collective. C'est justement ce sur quoi insiste Moscou. En ce qui concerne les perspectives d'adhésion de l'Afghanistan à l'OCS, dont on parle de plus en plus ces derniers temps, selon lui, Kaboul n'envisage pas d'entrer dans cette organisation, même en qualité d'observateur.

Troisièmement, Rangin Dadfar Spanta a effectué cette deuxième visite à Moscou dans le cadre de la nouvelle Doctrine de la politique étrangère de l'Afghanistan. Le projet de cette doctrine a été officiellement présenté par la diplomatie afghane à la veille de cette visite. Bien qu'il s'agisse d'un document typique dans les cas semblables, certaines de ses dispositions ont retenu l'attention de Moscou.

Primo: la doctrine considère les rapports avec les Etats-Unis et le "monde démocratique" comme "stratégiques". A propos, le caractère "stratégique" des rapports avec les Etats-Unis se fonde non seulement sur la lutte contre le terrorisme, mais aussi sur l'orientation politique du pays.

Secundo: l'Afghanistan appliquera une politique amicale fondée sur la coopération avec les grandes puissances régionales, "notamment avec l'Inde, la Chine et la Fédération de Russie". Pour la première fois de l'histoire des rapports entre les deux pays, Kaboul réserve à la Russie une modeste troisième place. Répondant à la question de savoir si cet ordre des priorités de Kaboul à l'égard des puissances régionales (Inde, Chine, Russie) ne devait pas découler du niveau de leur participation à la restructuration de l'Afghanistan, Rangin Dadfar Spanta a cherché minutieusement ses mots afin de ne pas offenser la Russie, tout en répondant par la négative.

Notons qu'à la veille de sa visite, Rangin Dadfar Spanta avait rencontré l'ambassadeur de Russie à Kaboul Zamir Kaboulov. A en croire la presse, l'ambassadeur russe a qualifié cette visite de "chance" pour l'Afghanistan. Apparemment, M. Spanta a aimablement cédé cette "chance" à Moscou.

Un autre point est également significatif. Parmi les pays membres de l'OTSC, seule la Russie se soucie du prestige de l'organisation en Afghanistan, alors que les autres (il s'agit des républiques d'Asie centrale) ne font qu'y promouvoir leurs intérêts nationaux. Certes, le statut d'Etat principal implique une responsabilité particulière envers l'organisation. Mais ne faudrait-il pas commencer par ses propres intérêts nationaux? Comme on le sait, l'attitude envers un Etat fort est toujours différente. Si la Russie perd son prestige en Afghanistan, il est peu probable qu'elle parvienne à maintenir dans sa sphère d'influence ses alliés centrasiatiques de l'OTSC.

Derrière la formule de Kaboul évoquant une coopération avec les Etats voisins au niveau bilatéral, en excluant toutes les variantes de "blocs", on voit percer de plus en plus nettement les contours du projet des Etats-Unis de créer une Grande Asie centrale (GAC). Son but est "d'entraîner" les républiques d'Asie centrale et les pays limitrophes de l'Afghanistan dans le processus de rétablissement économique, politique, social, etc. de l'Etat afghan.

En dépit des prévisions des experts russes, ce projet a été soutenu par toutes les républiques d'Asie centrale. L'Afghanistan s'affirme de plus en plus comme la figure principale du projet de GAC. Ce n'est probablement pas par hasard qu'en signant la déclaration sur le partenariat stratégique avec l'Afghanistan la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a fait remarquer que les Etats-Unis ne répétaient pas les erreurs de la Russie, qui avait abandonné le pays à son sort en 1992. Naturellement, Mme Rice faisait allusion à la chute du régime prosoviétique de Nadjibullah et l'arrivée au pouvoir des moudjahidines, qui avaient été soutenus par les Américains. Manifestement, les Etats-Unis ont évalué plus profondément l'importance de l'Afghanistan dans la région.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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