Après l'euphorie des premiers jours qui ont suivi l'élection du président, événement attendu depuis près de six mois, les Libanais ont commencé à former le gouvernement. Ce processus est difficile, surtout lorsqu'il faut manoeuvrer entre les intérêts de la majorité parlementaire, de l'opposition et de toutes les forces extérieures qui interviennent sur le champ libanais. Les premières difficultés ont surgi avec la désignation par la majorité d'un candidat au poste de premier ministre.
Il semblait que le compromis auquel étaient parvenus les hommes politiques libanais à Doha avec la médiation de la Ligue arabe n'avait pas seulement ouvert la voie à l'élection du président du pays et à la stabilisation de la situation au Liban, mais qu'il avait aussi amélioré substantiellement le climat régional. La réunion du parlement libanais du 25 mai, au cours de laquelle le général Michel Sleimane a été élu président, avait même pris des allures de réunion internationale. Etaient présents pour l'occasion des représentants des pays arabes, Syrie et Iran compris, ainsi que de l'Occident. Ceux qui s'étaient accusés mutuellement des mois durant d'ingérence dans les affaires intérieures du Liban et d'ambitions régionales se sont perdus en sourires devant leurs opposants politiques.
Les excuses présentées par le leader du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt au ministre iranien des Affaires étrangères Manouchehr Mottaki pour ses nombreuses déclarations sur l'ingérence de Téhéran dans les affaires de son pays peuvent être considérées comme l'exemple le plus éclatant de l'euphorie qui a régné alors à Beyrouth. Portés par la joie d'avoir évité une guerre civile au Liban et une grave crise régionale, les ennemis jurés pouvaient se laisser aller à de vives embrassades.
Cependant, comme toujours, l'euphorie passe. Des temps difficiles attendent les Libanais: il faut répartir les postes au gouvernement et commencer à préparer les élections législatives qui doivent se tenir dans 11 mois. Puisque la majorité parlementaire a proposé au poste de premier ministre Fouad Siniora, le même qui a occupé ce poste ces deux dernières années, les compromis trouvés à Doha pourraient bien rester sur le papier. Fouad Siniora est, pour beaucoup, responsable aussi bien de la crise gouvernementale qui a duré plusieurs mois que des récents événements qui ont failli plonger le Liban dans l'abîme d'un nouveau conflit fratricide. Si l'opposition n'a pu jusqu'à présent le tolérer, qu'est-ce qui garantit qu'elle l'acceptera à présent? Ce qui peut la convaincre d'accepter cette "reconduction" de Fouad Siniora au poste de premier ministre, c'est l'idée qu'il est un candidat temporaire. Après les élections législatives, il sera probablement remplacé par un autre homme politique. Mais dans tous les cas, le processus de formation du gouvernement et son travail ne seront pas faciles.
Les 11 mois précédant les élections seront déterminants pour le Liban. La tenue du scrutin est garantie par le nouveau président, dont la candidature est le fruit d'un consensus entre la majorité, l'opposition et les forces extérieures. Aucun autre dirigeant libanais n'a depuis longtemps bénéficié d'un soutien aussi large. Mais les rapports entre les partisans des différents partis sont explosifs, et des affrontements éclatent de manière incessante dans diverses régions du pays, malgré les accords intervenus entre les leaders des partis. La confrontation pourrait donc très bien franchir à nouveau un dangereux pallier.
On a pu percer ce danger dans le premier discours prononcé après la conclusion des accords de Doha par Hassan Nasrallah, leader du Hezbollah, principale force de l'opposition. Il a souligné que son mouvement n'avait pas l'intention de renoncer à "l'arme de la résistance". Malgré ses assurances selon lesquelles cette arme ne serait pas employée à l'intérieur du Liban, mais seulement contre les ennemis du pays, entre autres, Israël, il est douteux que cela puisse satisfaire ses opposants politiques, tant à l'intérieur du pays qu'en Arabie saoudite et aux Etats-Unis.
Bref, il y a peu d'espoir que la situation change radicalement. La confrontation entre les blocs conventionnels "Iran-Syrie-Hezbollah-Hamas" et "Etats-Unis-Israël" se poursuit. En témoignent déjà les déclarations des hommes politiques syriens, ainsi que celles du leader du Hamas Khaled Mechaal au cours de ses visites à Téhéran. La question est de savoir de quel côté vont se ranger les autres forces régionales, ainsi que les pays d'Europe, en premier lieu la France.
Paris a déclaré qu'après l'entrée en fonction de Michel Sleimane, il allait pouvoir intensifier ses contacts avec Damas. Rappelons que la France les a officiellement gelés, depuis décembre 2007, en raison de divergences sur la question libanaise et, d'ailleurs, ses rapports avec Damas étaient déjà très tendus bien avant cela. Le rétablissement du dialogue franco-syrien pourrait considérablement améliorer la situation régionale. Paris jouit toujours d'une audience particulière dans le monde arabe.
En ce qui concerne les pays arabes, ils sont encore portés par la satisfaction quant au succès de leurs actions mutuelles, et quant au fait qu'ils ont tout de même montré au monde leur capacité à régler leurs problèmes sans aide extérieure, en l'occurrence, occidentale. Un réchauffement s'est ébauché dans leur attitude à l'égard de l'Iran et de la Syrie, cette dernière ayant été récemment presque mise au ban des pays arabes. Le secrétaire général de la Ligue arabe Amr Moussa et Cheikh Hamad Bin Jassim Bin Jaber Al Thani, premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, principal médiateur aux pourparlers interlibanais, ont adressé leurs compliments et témoigné leur reconnaissance à Damas et Téhéran pour leur participation au règlement du problème libanais. Dans le contexte du rapport des forces régionales, une déclaration faite à Téhéran par le dirigeant qatari présente un intérêt particulier: "Aujourd'hui, il est devenu évident que les Etats-Unis ne sont pas des amis des nations de la région et que nos pays doivent régler eux-mêmes leurs problèmes en coopérant les uns avec les autres". Est-ce là une tentative de créer une nouvelle alliance entre les pays arabes et l'Iran, ou tout simplement de belles paroles?
Quoi qu'il en soit, les accords de Doha créent un terrain favorable pour des changements importants. Seront-ils positifs ou négatifs, seul l'avenir le dira.
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