Enfin, Bruxelles a reçu le mandat pour le lancement des négociations avec Moscou sur un nouvel accord de partenariat stratégique: le 26 mai, il a été approuvé par le Conseil des ministres des Affaires étrangères de l'UE. Les négociations débuteront dans un mois lors du traditionnel sommet Russie-UE qui se tiendra cette fois-ci à Khanty-Mansiïsk les 26 et 27 juin. A propos, cet endroit "exotique" non seulement pour l'Europe, mais aussi pour de nombreux Russes, a été proposé à Bruxelles trois jours avant l'octroi à la Commission européenne du mandat pour les négociations: le développement impétueux du district autonome des Khantys-Mansis a fait forte impression.
L'octroi de ce mandat ne signifie nullement qu'après le sommet de Khanty-Mansiïsk les rapports de la Russie avec l'Union européenne seront plus sereins. Les négociations sur un nouvel accord de partenariat et la ratification par les 27 du document qui en découlera peuvent durer plusieurs années. La plupart des experts de Bruxelles estiment que Bernard Kouchner s'est trop avancé en déclarant que cela ne prendrait qu'entre 12 et 18 mois.
Les obstacles lors des négociations seront probablement dressés non pas par les vieux Etats européens, mais par les pays baltes et d'Europe de l'Est. Ceux-ci ont été ces derniers temps à l'origine du blocage de toutes les initiatives concernant le développement des rapports entre la Grande Europe et son "voisin russe". En principe, sans les entraves qu'ils ont posées, on aurait probablement entamé depuis longtemps l'élaboration du document, et même peut-être déjà signé l'accord.
D'abord, un veto sur l'ouverture des négociations avait été posé pendant près d'un an et demi par la Pologne à cause du refus de la Russie en 2005 d'acheter du porc de contrebande. L'octroi du mandat avait ensuite été entravé jusqu'à la mi-mai par la Lituanie qui exigeait des sanctions contre Moscou pour son attitude par rapport aux "conflits gelés" (en Géorgie et en Moldavie) et la "longueur des réparations" de la partie russe du pipeline "Droujba" (Amitié) menant à sa raffinerie de Mazeikiai. Pour apaiser Vilnius, Bruxelles a même été contraint d'ajouter au mandat une clause spéciale tenant compte de son avis particulier sur les "conflits gelés". Celle-ci n'est pas très importante, mais elle donne à la Lituanie le droit de soulever cette question à chaque fois qu'elle le souhaite.
L'attitude des "Européens adultes" à l'égard de la position des petits pays postcommunistes de l'UE, qui ont déjà appris à se servir de leur veto comme d'un électrochoc au milieu de la foule, revêt déjà un caractère ambivalent: ils irritent Bruxelles, mais, en même temps, interviennent fort à propos. Au cours de négociations difficiles, la "rage antirusse" des nouveaux membres peut toujours être mise à profit, s'il faut exercer une plus forte pression sur le partenaire oriental.
Il est vrai, la Russie n'est plus la même, par conséquent, que Bruxelles, les pays baltes ou d'autres le veuillent ou non, il faudra la traiter autrement. La Russie actuelle en a assez d'être soumise de manière incessante à des tests tantôt de compatibilité génétique avec la démocratie, tantôt d'identité européenne, tests qui sont par ailleurs exigés par des pays loin d'avoir déjà entièrement acquis cette identité. Par exemple, le ministre polonais des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski a déclaré à Bruxelles: "Les problèmes (concernant les négociations) sont inévitables. Nous estimons que la Russie doit devenir comme nous et que de nombreux Russes voudraient devenir une partie normale de l'hémisphère Nord au sein d'un Occident plus large". Il est difficile de dire ce qu'il entendait par là, mais, en tout cas, ce n'est pas très encourageant.
Rappelons que les négociations porteront sur un nouvel Accord de partenariat et de coopération entre la Russie et l'UE qui doit remplacer l'accord précédent entré en vigueur en 1997, celui même qui avait été signé par Boris Eltsine à Corfou en 1994 (son entrée en vigueur fut retardée par la guerre en Tchétchénie). L'accord précédent avait été conclu entre une autre Russie et une autre Union européenne. Moscou en était au stade de "réanimation" après la désintégration de l'URSS et était prêt à accepter bien plus de choses qu'aujourd'hui.
L'ancien accord qui a expiré en décembre 2007 a été prorogé d'un an. Ce document est tel qu'il peut être prolongé à l'infini, ou bien disparaître, ce qui ne serait sûrement pas douloureux pour les parties. La Russie peut très bien commercer avec les membres de l'UE sur une base individuelle sans cet accord. Il est davantage nécessaire à l'Europe, qui veut réglementer dans le nouveau document tous les aspects de la "cohabitation", non seulement en ce qui concerne les affaires, mais aussi en matière de sécurité, de culture, de politique, ainsi que les aspects juridiques, les droits civils, le respect des lois, etc. Autrement dit, elle voudrait conclure un "contrat de mariage", dont les points préciseront ce que les parties ont la possibilité de faire et ce qui leur est interdit. On peut comprendre Bruxelles, qui n'est évidemment pas indifférent à la façon dont seront réglementés ses rapports avec l'unique "supergéant énergétique" du monde.
La Russie, quant à elle, ne veut pas d'un nouvel accord destiné à un "géant boiteux" dont on ne sait pas s'il doit être autorisé ou non à déterminer les valeurs européennes. "La Russie est déjà sortie de cet âge durant lequel ces valeurs européennes étaient définies exclusivement par l'UE, avant d'être calquées d'en haut sur le cas russe. La Russie insiste aujourd'hui sur le concept de la communauté des intérêts. Il s'agit d'un niveau de partenariat tout à fait différent", estime par exemple Margo Light, professeur à la prestigieuse London School of Economics.
Le fait qu'aujourd'hui des pays de l'UE qui n'auraient jamais pu être soupçonnés jusque-là de sympathies prorusses s'associent aux vieux membres pour préconiser de nouveaux rapports avec la Russie est bien plus significatif. Par exemple, la veille de la décision prise à Bruxelles, un rapport de plusieurs anciens ambassadeurs du Royaume-Uni à Moscou destiné au comité de la Chambre des lords pour les affaires de l'Union européenne a été publié en Grande-Bretagne. Ils ont tous rejeté l'idée d'une "néo-dissuasion dirigée contre la Russie" et déclaré qu'il était grand temps d'abandonner le "ton par trop émotionnel et idéologisé employé dans les rapports avec la Russie par les néo-Européens de l'Europe centrale et de l'Est, ainsi que par l'administration Bush". Selon eux, les débats à propos des droits de l'homme doivent devenir de véritables dialogues et ne pas se transformer en "sermons permanents".
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