Le 15 mai 1988, conformément aux Accords de Genève signés un mois plus tôt, l'URSS a commencé à retirer ses troupes d'Afghanistan. Ce vingtième anniversaire se prête parfaitement à une tentative d'analyse des aspects militaires de la dernière guerre de l'époque de l'Union soviétique, qui a, de l'avis de nombreux analystes, été l'une des causes les plus importantes de sa disparition.
Cette guerre, dans laquelle l'armée soviétique a essuyé ses plus lourdes pertes depuis 1945, n'était pas comme les autres. Un peu comme l'a été le Viet Nam pour les Etats-Unis. Et de même que les Américains, les troupes soviétiques ont été contraintes de tout réapprendre à même le champ de bataille.
On considère le 25 décembre 1979, jour où sont apparues sur le territoire afghan les premières unités de la 40e armée, comme la date d'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan, alors en proie à la guerre civile. Les unités terrestres ont entamé le franchissement de la frontière à 15:00 heure de Moscou. Deux jours plus tard, le 27 décembre, l'armée soviétique prenait le contrôle de Kaboul par l'intermédiaire de la 103e division aéroportée, débarquée sur un aérodrome proche de la capitale.
Cependant, les premières unités soviétiques étaient arrivées bien avant en Afghanistan. Dès le 7 juillet 1979, un bataillon de parachutistes avait été dépêché sur l'aérodrome de Bagram afin d'assurer la surveillance de ce site stratégique.
En janvier 1980, sur le territoire du pays avaient été déployés deux divisions de blindés, une division aéroportée, une brigade de parachutistes d'assaut et deux régiments auxiliaires. En tout, 52.000 hommes.
Les opérations d'envergure des troupes soviétiques contre les formations armées antigouvernementales ont commencé dès le mois de mars 1980. A cette étape, les formations des moudjahidines attaquaient en force contre l'armée Rouge, sans éviter les confrontations directes, ce qui permit d'anéantir rapidement les groupes importants qui s'étaient formés dans certaines régions, notamment celles des villes de Jalalabad, Faïzabad et Baghlan.
Comprenant que les combats à découvert et en nombre face à l'armée soviétique ne pouvaient les mener qu'à une défaite rapide, les chefs de guerre de l'opposition modifièrent leur tactique. Ce furent désormais des groupes mobiles d'une vingtaine à une centaine de combattants qui firent face au contingent limité de troupes soviétiques (ainsi désignait-on la 40e armée). L'opposition, déjà soutenue depuis l'étranger, avant tout par le Pakistan, vit les volumes de cette aide augmenter de plusieurs fois après l'entrée de l'armée Rouge dans le pays. Les Etats-Unis, de même que les pays de l'OTAN, l'Iran et la Chine, commencèrent à financer les moudjahidines. Ces derniers disposèrent avec le temps de systèmes d'armes de plus en plus sophistiqués, notamment des mines, des armes automatiques et des missiles sol-air portatifs, notamment les fameux Stinger qui venaient d'entrer en service.
Dans ces conditions, l'armée soviétique dût se réorganiser, l'expérience accumulée en Asie centrale, en Ukraine et dans les pays baltes avait déjà été oubliée, et celle des opérations antiguérilla menées par l'ennemi d'alors, la Wehrmacht, n'avait jamais été étudiée. Résultat, il fallut réapprendre sur place.
Le changement de tactique de l'adversaire obligea à rediriger une partie significative des troupes soviétiques sur des missions de défense des zones de haute sécurité et des sites de coopération soviéto-afghane, ainsi que d'escorte des convois. Il fallut donc recourir à un renforcement du contingent, la 40e armée reçut une division blindée et deux régiments auxiliaires supplémentaires. Les effectifs généraux passèrent à 82.000 hommes, dont 62.000 dans des unités de combat. Dans les airs, le contingent était soutenu par le 34e corps aérien, rebaptisé par la suite en Forces aériennes de la 40e armée. A la fin de 1980, l'armée Rouge disposait en Afghanistan de 600 chars, 1.500 véhicules de combat d'infanterie BMP, 2.900 BTR transport de troupes, 500 avions et hélicoptères, et 500 pièces d'artillerie de plus de 100 mm.
En plus des forces terrestres et aériennes, des unités spéciales du GRU (renseignement militaire), du KGB et des unités des troupes soviétiques de l'Intérieur étaient déployés dans le pays. En outre, des groupes de bombardiers, notamment stratégiques, soutenaient l'activité du contingent depuis le territoire de l'URSS.
Les troupes soviétiques eurent donc à traverser de difficiles transformations en Afghanistan. Il s'est avéré, entre autres, que les forces aériennes de l'URSS, équipées et préparées pour agir dans les conditions d'une guerre globale comprenant l'emploi de l'arme nucléaire, n'étaient souvent pas capables de garantir un soutien opérationnel à leurs unités sur le champ de bataille. Les Américains s'étaient heurtés au même problème quelques années plus tôt. Cependant, à la différence de l'US Air Force au Viet Nam, l'aviation soviétique disposait avant le début de la guerre d'Afghanistan, avec le Su-25, d'un instrument capable d'assurer la majorité des tâches en matière de soutien direct aux unités au sol. Développé en s'appuyant tant sur l'expérience de la Seconde guerre mondiale que sur celle du Viet Nam et du Proche-Orient, le Su-25 a commencé à être produit en série presque au moment de l'entrée des troupes soviétiques en Afghanistan, et il est rapidement devenu l'appareil le plus utilisé au cours de cette guerre, au même titre que les hélicoptères.
En ce qui concerne les forces terrestres, le rôle des blindés avait été surestimé. Les transports de troupes et BMP, développés pour des théâtres d'opérations européens, ne convenaient pas vraiment aux patrouilles quotidiennes sur le territoire afghan truffé de mines. Les équipages enduraient de sévères pertes en cas d'explosion de ces dernières. Finalement, c'est le "style afghan" d'utilisation des blindés qui s'imposa, les soldats prêts au combat circulaient assis sur les véhicules, à l'extérieur. Les unités aéroportées de BTR et de BMP étaient de plus utilisées comme moyens de transport pour différentes cargaisons. Une chose est cependant restée inchangée: le char a confirmé sa réputation de véhicule blindé le plus sûr et le plus puissant.
Les T-55 et T-62 qui équipaient les régiments et bataillons de chars du contingent étaient employés pour effectuer les tâches les plus diverses: surveillance et défense des sites stratégiques, escorte de convois, déminage (à l'aide de dragues spéciales), et bien sûr appui des forces au combat.
Dans la plupart des cas, le blindage des chars assurait la survie de l'équipage face aux tirs des différents moyens antichars dont disposaient les moudjahidines, de même qu'en cas d'explosion de mines, et leur importante puissance de feu permettait de détruire facilement n'importe quelle cible. Leur seul défaut en milieu montagneux était leur incapacité à tirer sur des cibles perchées sur les hauteurs à plus de 30 degrés d'inclinaison par rapport à la position du char, en raison de l'angle d'élévation limité du canon. Pour atteindre de telles cibles, les équipages de chars utilisaient habituellement des mitrailleuses lourdes anti-aériennes, mais il fallait pour cela ouvrir les trappes extérieures, ce qui augmentait les risques pour les soldats.
Les unités d'artillerie avaient un rôle extrêmement important en Afghanistan, en tant que moyen le plus universel d'anéantissement rapide et efficace de positions renforcées comme de groupes de combattants adverses en mouvement. Le contingent disposait de tous les systèmes standards pour l'époque, mortiers, obusiers, canons et lance-missiles multiples de calibre de 82 à 240 mm. Pour les tâches les plus difficiles, on utilisait des canons motorisés de 152 et de 203 mm, ainsi que des mortiers motorisés de 240 mm. Durant la 2e moitié de la guerre, les artilleurs reçurent des obus guidés de 152 mm et des mines guidées de 240 mm, ce qui renforça sensiblement les possibilités de destruction soudaine d'objectifs importants.
Les unités de "réaction rapide", dans des conditions de relief difficile et d'une guérilla menée par l'adversaire, avaient un rôle extrêmement important. En Afghanistan, ce rôle incombait aux unités aéroportées. Le tandem "hélicoptères-parachutistes" est resté sans aucun doute comme l'une des images les plus marquantes de cette guerre, en même temps que les interminables colonnes de chargements avançant sur les routes sinueuses. Les parachutistes, grâce à leur importante mobilité et leur préparation individuelle, étaient employés pour des opérations soudaines et décisives de destruction de bases et de points d'appui importants des moudjahidines, ainsi que pour des embuscades contre les caravanes d'approvisionnement de l'ennemi et la surveillance de points de communication stratégiques. En coopération avec les blindés, les parachutistes étaient utilisés pour ce qu'on appelait le "débordement vertical", en occupant des positions à l'arrière de l'ennemi et empêchant son retrait face à la pression des chars et autres véhicules blindés, ce qui a permis d'anéantir à de nombreuses reprises d'importants détachements ennemis.
Au cours de ce genre d'opérations, les hélicoptères ont apporté un précieux soutien aux parachutistes et au contingent en général. Ils étaient utilisés tant pour le transport de cargaisons et d'hommes que pour des missions de renseignement ou de combat direct. Les plus utilisés en Afghanistan furent les Mi-6 de transport, les Mi-8 mixtes et les Mi-24 de combat.
Un récit plus détaillé des aspects tactiques de la guerre d'Afghanistan nécessiterait bien plus qu'un simple article, il faudrait un livre entier. En dressant le bilan de la guerre en général, on peut dire que sans avoir échoué dans une seule opération et en ayant rempli de manière stable tous les objectifs assignés, l'armée n'a pu néanmoins remporter cette guerre. Tout comme l'armée américaine au Viet Nam.
Les raisons sont à chercher loin des problèmes militaires: la clé de la victoire ou de la défaite dans une guérilla ne se trouve jamais sur le champ de bataille. Malheureusement, comme le montre l'expérience de ces dernières années, les 15.000 soldats soviétiques morts en Afghanistan ajoutés aux 58.000 Américains tombés au Viet Nam n'ont pas suffi pour que cette leçon soit assimilée.
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