Piraterie: les héritiers de Henry Morgan toujours en exercice

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Par Ilia Kramnik, RIA Novosti
Par Ilia Kramnik, RIA Novosti

Le 21 avril 2008, les médias ont annoncé le détournement d'un chalutier espagnol au large des côtes somaliennes. Un peu plus de deux semaines avant, le 4 avril, le "Ponant", un voilier de luxe battant pavillon français avait été pris d'assaut dans la même région. Les pirates avaient relâché l'équipage contre une rançon de deux millions de dollars. Par la suite, une partie des pirates avaient été arrêtés par des militaires français. D'autres cas encore de détournement de navires ont été couverts pas les médias, notamment celui du "Svitzer Korsakov", un remorqueur de fabrication russe dont l'équipage comptait plusieurs Russes.

Personne ne sait précisément quand la piraterie est née. Il est convenu de croire que ce type d'activité a surgi presqu'au moment où l'homme a commencé à pratiquer la navigation maritime.

On peut faire débuter l'histoire de la piraterie contemporaine à partir de différentes dates, mais l'année 1856 est de toute façon fondamentale. Les plus grands pays européens ont adopté cette année-là, lors du Congrès de Paris, une déclaration sur l'abolition des lettres de marque (ou de course), qui autorisaient leurs détenteurs à rechercher, saisir et détruire en mer les effets personnels d'un opposant ou les équipements d'une nation adverse.

Après l'abolition des lettres de course, les activités des pirates et corsaires (ces derniers travaillaient pour le compte d'une nation ou d'une personne importante dans la société), autrefois tout à fait respectables, sont définitivement devenues blâmables et criminelles. Les guerres, comme toujours, font exception. En cas d'hostilités, les Etats se réservent le droit d'attaquer les navires ennemis, en saisissant et en détruisant les bâtiments de commerce du pays ennemi ainsi que les navires des pays neutres transportant des cargaisons militaires de contrebande.

Les pirates classiques, qui pillent tout ce qu'ils ont à portée de main, ont actuellement limité leur champ d'action aux eaux territoriales d'Afrique et d'Asie du Sud-Est, où le faible contrôle des espaces maritimes et l'absence d'unités puissantes des principales flottes mondiales dans les parages leur permet de poursuivre leur "course à la réussite".

Selon les méthodes utilisées dans leurs activités, les pirates se divisent en "indonésiens" et "somaliens". Les premiers, agissant essentiellement dans les eaux d'Asie du Sud-Est, font la chasse aux cargaisons précieuses. Les gens représentent alors pour eux un fâcheux obstacle et sont souvent éliminés. Les seconds, déployant leurs activités surtout dans les eaux africaines, prennent des otages en vue d'obtenir une rançon.

Les héritiers contemporains de Henry Morgan semblent bien pâles par rapport à leurs prédécesseurs pour ce qui est de l'envergure de leurs actions et de leurs conséquences. Leurs armes ont également changé depuis: à l'époque préindustrielle, les pirates pouvaient se permettre de croiser sur des navires équipés d'artillerie et tenaient souvent tête aux unités de combat des flottes "officielles". Les pirates contemporains utilisent des vedettes rapides qui n'ont bien sûr aucun canon, et leur puissance de tir est assurée par des armes légères d'infanterie. Dans le meilleur des cas, il s'agit de mitrailleuses de gros calibre, de lance-roquettes et de canons sans recul susceptibles d'être installés sur des vedettes.

Cependant, même avec un équipement aussi pauvre, qui ne laisse aucune chance de survie en cas d'accrochage avec des vedettes de patrouille, sans parler des bâtiments de guerre, les pirates contemporains causent néanmoins un préjudice considérable à la navigation et ont leurs propres héros légendaires.

L'un (ou plutôt l'une) d'entre eux est la célèbre Madame Wong, qui déployait ses activités dans les mers d'Asie du Sud-Est dans les années 1940-1970. Après avoir hérité du "business" de son mari, pirate, gangster et narcotrafiquant tué en 1946, Madame Wong a obtenu d'importants succès: elle était recherchée par Interpol, par la police de tous les pays de la région, ainsi que par les principales puissances maritimes (Etats-Unis, Grande-Bretagne, France et autres). Selon les spécialistes, pendant son "âge d'or", Madame Wong avait à sa disposition une armée de 8.000 personnes et une flottille de plusieurs centaines de vedettes, ses revenus annuels atteignant entre 50 et 100 millions de dollars (rappelons pour mémoire que le cours du dollar était beaucoup plus élevé à l'époque).

La reine des pirates a disparu aussi brusquement qu'elle avait surgi. Personne ne sait ce qu'elle est devenue. Il existe différentes hypothèses à ce sujet, allant de la mort naturelle à l'élimination au cours d'une opération spéciale.

A l'heure actuelle, les eaux d'Asie-Pacifique restent toujours dangereuses pour les navigateurs, mais les efforts déployés par les Etats de la région en vue d'éradiquer la piraterie portent tout de même leurs fruits. Ainsi, au premier trimestre 2008, seulement quatre attaques contre des navires ont été enregistrées dans le détroit de Malacca, l'un des endroits privilégiés des pirates. Au premier trimestre 2007 il y en avait eu neuf, contre 19 au premier trimestre 2006.

Les Etats d'Asie du Sud-Est utilisent activement leurs flottes dans la lutte contre la piraterie et la contrebande. La marine thaïlandaise s'est même dotée, dans cet objectif, d'un porte-avions léger de fabrication espagnole équipé d'avions Harrier à décollage vertical et d'hélicoptères. Par conséquent, les pirates évincés de la région Asie-Pacifique se retirent aujourd'hui dans d'autres régions, notamment en Afrique. Rien qu'au large du Nigeria, 49 attaques de pirates contre des navires ont été recensées pendant les trois premiers mois de 2008, par rapport à 41 incidents enregistrés au début de 2007.

La lutte contre les pirates nécessite l'utilisation de forces et moyens importants. L'OTAN déploie à cet effet des unités navales assez puissantes au large de l'Afrique, afin de contrôler l'espace maritime et d'inspecter les navires suspects. La Russie se propose également de se joindre à cette lutte: le commandant en chef de la Marine russe vient d'évoquer des projets de la flotte destinés à contrer la piraterie. Il est à noter que la lutte contre les pirates est une occupation traditionnelle de la flotte russe. Déjà au XVIIIe siècle, sous le règne de Catherine II, la Russie avait adopté une déclaration sur la "neutralité armée", dans laquelle elle garantissait la liberté de la navigation.

C'est la prise par un corsaire espagnol d'un navire russe transportant une cargaison destinée à Gibraltar qui avait été la raison de l'adoption de cette déclaration. A la suite de cet incident, le gouvernement a reconnu nécessaire d'informer rapidement Londres, Paris et Madrid de la prise de mesures de rétorsion, "avant que cela ne devienne une mauvaise habitude que d'offenser la flotte de commerce russe". Il était question de déclarer sa neutralité armée; les navires russes gagnaient le large pour protéger les voies commerciales contre tous les corsaires, quelle que fût leur appartenance nationale.

D'autres pays européens essuyant de lourdes pertes à cause des corsaires (majoritairement britanniques) se sont bientôt joints à cette déclaration. Par conséquent, les fameux pirates britanniques, qui avaient jadis régné sur l'Atlantique, ont dû arrêter leurs activités, et le premier président des Etats-Unis, George Washington, a pu constater, non sans plaisir, que la neutralité armée proclamée par la Russie, à laquelle se sont joints beaucoup d'autres Etats d'Europe, humiliait "l'orgueil et la force de la Grande-Bretagne en mer".

Cependant, comme le démontrent les événements de ces dernières années, la flotte n'est pas toujours capable de venir au secours, et la réaction aux actes de piraterie ne vient souvent que post factum. Le temps nous dira comment les événements évolueront, mais une chose est déjà certaine: les méthodes militaires à elles seules sont insuffisantes pour éradiquer la piraterie. Chassés d'une région, les pirates reprennent leurs activités dans une autre.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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