Nouveau vaisseau russe: sortir de la science-fiction

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti
Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

On sait que presque tous les projets de science-fiction décrits par Jules Verne au XIXème siècle ont été réalisés. Le premier ravitailleur spatial automatique européen, arrimé à l'ISS au début du mois d'avril et qui porte le nom du célèbre écrivain français, pourrait bien s'inscrire dans cette optique en servant de base à une coopération russo-européenne dans la mise en oeuvre d'un nouveau système de transport spatial.

Cependant, dans ce cas, l'idée de créer un nouveau vaisseau spatial russe pour remplacer le vieux Soyouz risque de rester pour longtemps dans l'imagination des constructeurs.

Jusqu'à l'été 2006, Roskosmos (Agence fédérale spatiale russe) affichait ouvertement son intention de créer un vaisseau spatial habité russe dénommé Kliper. La présentation d'une maquette grandeur nature de cette navette lors de plusieurs expositions internationales ne laissait même place à aucun doute quant aux intentions de l'Agence spatiale russe.

Mais il s'est avéré par la suite que le Kliper n'était pas le vaisseau dont l'astronautique russe avait besoin. Rien ne convenait plus: ni sa forme "ailée", ni son coût, ni même son principal concepteur, alors directeur de la corporation de constructions spatiales RKK Energuia.

Il est vrai, Roskosmos a donné une réponse plus que vague à la question de savoir de quel système de transport l'astronautique russe avait besoin. En fin de compte, la situation est la suivante. Primo, la Russie a besoin d'un vaisseau, secundo, elle doit le concevoir avec ses propres forces. C'est ainsi que RKK Energuia a été chargée d'élaborer un projet en ce sens. Tertio, il est parfaitement possible que le futur vaisseau russe soit construit avec la participation directe de l'Agence spatiale européenne (ESA). Quarto, le Kliper qui se trouve être pratiquement prêt a finalement été jeté aux oubliettes et la corporation Energuia chargée de procéder à une modernisation de fond en comble du vaisseau Soyouz créé il y a 50 ans.

Ce programme est appliqué depuis bientôt deux ans. Voyons ce qui a été fait depuis.

RKK Energuia a consciencieusement élaboré plusieurs variantes de vaisseau et, comme l'affirme son directeur actuel Vitali Lopota, la corporation est prête à présenter ses projets à Roskosmos. Cela signifie que de nouveaux efforts ont été déployés et que l'on a consenti à faire de nouvelles et considérables dépenses. Mais, tout à coup, on apprend que le ravitailleur automatique Jules Verne construit par l'ESA s'est arrimé avec succès à l'ISS (Station spatiale internationale), marquant ainsi une nouvelle ère dans la recherche spatiale. Il semble que le Vieux monde ait atteint aujourd'hui un niveau spatial au moins aussi élevé que celui de la Russie.

Quel rapport avec le vaisseau russe? Aucun, il n'y aura d'ailleurs aucun vaisseau russe. S'adressant aux journalistes le 3 avril lors d'une conférence de presse consacrée au succès du vaisseau Jules Verne, Alexeï Krasnov, chef de la Direction des programmes pilotés de Roskosmos, a déclaré que des consultations étaient en cours entre les spécialistes russes et européens sur la conception d'un système spatial habité commun. "Nous envisageons d'examiner prochainement l'approche du vaisseau lui-même", a-t-il dit.

Si le programme est cautionné au niveau interétatique, "nous (Roskosmos et l'ESA) construirons un vaisseau commun, et il n'y aura aucune alternative russe", a précisé M. Krasnov.

Il faut en conclure, primo, que Russes et Européens ont la ferme intention de coopérer. "Nous préférons la coopération internationale, en estimant que c'est la variante optimale", a expliqué René Oosterlinck, directeur des Affaires juridiques et des relations extérieures de l'ESA, lors de la même conférence de presse. Secundo: il va falloir attendre, car, selon Alexeï Krasnov, le vaisseau commun n'apparaîtra pas dans les années qui viennent.

Tertio, et c'est là l'essentiel, les efforts et l'argent dépensés pour le Kliper vont dans une grande mesure s'avérer vains, de même que le rêve de disposer d'un moyen de transport spatial, même d'usage commun, mais accessible à tous.

Cependant, plusieurs faits viennent porter une ombre au tableau. Premièrement, malgré des perspectives russo-européennes radieuses, Alexeï Krasnov a soudain tristement relevé que certains représentants de l'industrie spatiale russe étaient sceptiques par rapport au projet de vaisseau commun. Aucun nom n'a été cité.

On se souvient à ce titre d'une interview significative accordée début février par Vitali Lopota au quotidien Rossiïskaïa gazeta. "...On nous propose de concevoir ensemble un nouveau vaisseau et de le construire là où les technologies sont les meilleures. Or cette approche ne nous arrange plus. Certes, il faut coopérer. Mais, dans la coopération, une grande importance est accordée aux services ayant un avantage compétitif. Par exemple: vous avez de bons appareils? Nous les acceptons, mais dans notre vaisseau. En effet, les Américains ne coopèrent avec personne, car ils veulent être leaders et employer, avant tout, leurs propres technologies".

M. Lopota, en bon professionnel, comprend que n'importe quel pays qui coopère s'efforcera, avant tout, de s'assurer le monopole sur le produit de la coopération. Les Européens sont parfaitement en mesure de le faire, car la Russie manque d'argent, et ses propres orientations en matière de développement d'appareils spatiaux sont floues.

Deuxième fait à relever: les Européens ont déjà un vaisseau contemporain, bien que, pour l'instant, il ne s'agisse que d'un cargo automatique. Selon Patrice Amadieu, un des responsables du projet d'ATV de l'ESA, la question de la transformation du ravitailleur existant en vaisseau habité sera examinée à la fin de l'année. Selon lui, tout est une question d'argent.

Si c'est le cas, alors il n'est pas difficile de répondre à la question de savoir pourquoi les Européens, qui appliquent inlassablement leur propre programme de transport spatial, ont besoin de coopérer avec les Russes: au mieux, ils demanderont à ces derniers d'apporter dans le travail "commun" leurs cerveaux et leur expérience.

En fin de compte, la Russie gardera pour longtemps encore un vaisseau Soyouz éternellement jeune et en modernisation constante, dont les conditions de vol sont telles qu'un simple voyage de deux jours vers l'ISS rend n'importe quel équipage totalement exténué, transi de froid et affamé.

Il est vrai, on peut toujours rêver de créer quelque chose de meilleur.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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