Poutine-Bush: la fin d'une histoire, le début de quelque chose?

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Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti
Par Dmitri Kossyrev, RIA Novosti

Ceux qui considèrent les rapports russo-américains comme le prolongement des relations entre l'URSS et les Etats-Unis sont enclins à interpréter le dernier sommet Poutine-Bush comme une compétition sportive: l'un devrait avoir gagné, l'autre perdu. Vladimir Poutine n'a pas réussi à persuader George W. Bush d'abandonner ses projets de déploiement du bouclier antimissile en Europe, ni d'arrêter le rouleau compresseur destiné à introduire un nombre maximal de pays dans l'asphalte de l'OTAN. Selon le quotidien britannique The Guardian, George W. Bush voulait en premier lieu que Vladimir Poutine tombe d'accord avec lui sur la défense antimissile, mais "Poutine l'a renvoyé bredouille chez lui". S'agirait-il d'un match nul? Aussi bien pour cette rencontre que pour l'ensemble des relations bilatérales au cours des huit dernières années?

Notons que Poutine et Bush ne passent pas sous silence l'essentiel de ce qui s'est produit entre les deux pays, ils en parlent même à haute voix: les deux présidents soulignent que leurs contacts ont été agréables durant cette période. Mais ces déclarations sont loin de retenir l'attention et sont probablement considérées comme relevant du protocole. Pourtant, elles sont très importantes.

La déclaration de Sotchi constate que les parties n'ont pas changé leurs positions sur le problème principal des rapports russo-américains: la défense antimissile. La Russie s'oppose toujours au déploiement de la défense antimissile américaine à proximité de ses frontières. Mais, après Sotchi, on imagine mieux comment parvenir à un compromis. "Nos préoccupations ont été entendues par la partie américaine", a constaté Vladimir Poutine. A Sotchi, "un ensemble de mesures de confiance et de transparence dans le domaine de la défense antimissile" a été examiné. La Russie a énoncé l'idée de travailler ensemble sur un système de défense antimissile global à la gestion duquel toutes les parties auraient "un accès égal et démocratique". Elle a également proposé d'élaborer un système de mesures de contrôle de la défense antimissile en Europe qui fonctionnerait en permanence et serait assuré aussi bien par des moyens techniques que par la présence d'experts sur les sites concernés à des fins de surveillance.

Autrement dit, on peut imaginer que la défense antimissile en tant que problème crucial compliquant les rapports russo-américains se transforme peu à peu en problème technique.

Malheureusement, on ne peut pas dire la même chose de l'élargissement de l'OTAN, ni de l'annulation de l'amendement Jackson-Vanik, absurde dans les conditions actuelles, et qui freine le commerce. Sur le plan général, la liste des problèmes entre la Russie et les Etats-Unis qui sont examinés sans succès d'une année à l'autre est très longue, et elle peut encore s'allonger.

Mais revenons à l'essentiel de ce qui s'est produit ces dernières années entre Vladimir Poutine et George W. Bush. Rares sont ceux qui se souviennent aujourd'hui que l'arrivée de Bush au pouvoir fut marquée par deux événements instructifs pour lui. Premièrement: les Chinois avaient contraint un avion-espion américain qui avait pénétré par hasard dans l'espace aérien de la Chine à se poser sur l'île de Hainan. Ils avaient refusé de le rendre tant que le nouveau président américain ne présenterait pas ses excuses. Ce fut une bonne leçon pour les Etats-Unis. A peu près à la même époque, George W. Bush décida de refonder les rapports russo-américains à partir d'une page blanche: pour ce faire, il expulsa 50 diplomates russes sans raison valable. En réponse, Moscou expulsa 50 Américains. Ce fut pour le président américain la deuxième leçon sur le thème "qui est qui dans le monde".

George W. Bush mène aujourd'hui un dialogue très important dans un esprit de confiance aussi bien avec Vladimir Poutine qu'avec Hu Jintao. Personne ne cache que nous voyons dans les rapports entre ces pays une rivalité farouche sur le plan global, une lutte pour leur place dans le monde de demain, qui ressemblera très peu au monde actuel. Sinon l'Amérique officielle, en tout cas les "organisations non gouvernementales" appuient sur tous les points sensibles de la Chine: Taïwan, le Tibet et le Xinjiang. La Russie subit elle-aussi, entre autres au niveau officiel, la pression de l'Amérique qui cherche à imposer à ses alliés au sein de l'OTAN l'adhésion de tous ceux qui pourraient créer des problèmes à Moscou. Avant cela, les mêmes "organisations non gouvernementales" n'avaient pas ménagé leurs efforts, employant parfois des méthodes peu reluisantes, en vue de faire accéder n'importe qui au pouvoir à la périphérie de la Russie, pourvu que ces gens soient opposés à Moscou.

Mais la particularité de ces huit dernières années réside dans le fait qu'il a été possible de mener cette guerre pour la survie selon certaines règles, en engageant parallèlement un dialogue sur d'autres problèmes.

Autrement dit, la particularité de notre époque n'est pas dans le remplacement de la guerre froide par l'amitié et l'amour entre la Russie et l'Amérique, entre la Russie et l'Occident, comme en rêvait Mikhaïl Gorbatchev à une époque. Elle n'est pas non plus dans la transformation de la Russie en véritable client de l'Occident qui surmonte, sous la surveillance stricte de ses précepteurs, une série d'obstacles en vue d'adhérer aux structures occidentales: cette idée non moins idéaliste appartient définitivement à la première moitié des années 90. On assiste à quelque chose de différent, d'étonnant, mais aussi de normal: une situation où l'on peut en même temps se disputer et coopérer.

En observant la rencontre de Sotchi, on pouvait constater que les deux présidents avaient de bonnes dispositions l'un pour l'autre. Le secret d'Etat est que tout cela est bien vrai. Ainsi, avant d'arriver à Sotchi, George W. Bush a fait un remarquable compliment à Vladimir Poutine: c'est un homme qui sait dire ce qu'il pense. Quant à Bush, selon Poutine, il est un homme honnête et franc.

Il convient de signaler ici que le respect pour celui qui ne craint pas de dire ce qu'il pense est un trait national américain. Il faut noter aussi que, de l'avis de ceux qui connaissent Vladimir Poutine, celui-ci a une aversion pour ceux qui manquent à leur parole.

En guise de comparaison, on peut revenir sur la tournée européenne de George W. Bush qui a précédé la rencontre de Sotchi, tournée au cours de laquelle il a vu de nombreux autres partenaires qui veulent obtenir quelque chose des Etats-Unis, et qui sont prêts, en échange, à dire n'importe quoi et à feindre d'être qui que ce soit, pourvu que cela plaise à leur patron. C'est justement un trait de caractère que les Américains n'apprécient pas.

Il ne faut pas espérer que la déclaration signée par les deux présidents à Sotchi obligera leurs successeurs à agir conformément à ce qui y est fixé. Mais l'histoire insolite qui est née entre ces deux hommes pourrait effectivement devenir le début d'un nouveau livre en ce qui concerne les rapports entre les deux pays.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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