ABM: un dialogue à multiples inconnues

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti
Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Tout à coup, tout le monde s'est senti bien. En tout cas, les déclarations faites par les participants à la rencontre de Moscou sur la sécurité internationale, qui s'est tenue les 17 et 18 mars selon la formule 2+2 entre les ministres russes des Affaires étrangères et de la Défense et leurs homologues américains, ont laissé cette impression. Il a été question en premier lieu de la défense antimissile, problème le plus sensible des rapports bilatéraux.

Mais y a-t-il vraiment une raison de se réjouir? Essayons d'y voir plus clair.

Cette rencontre devait se dérouler, semblait-il, selon un scénario établi: la partie russe rappelle qu'elle désapprouve catégoriquement l'initiative américaine de déployer une zone de positionnement de l'ABM (défense antimissile) en Europe, en intercalant des menaces à peine camouflées à l'adresse des Polonais et des Tchèques. Les Américains n'ont rien d'autre à faire que de répéter, avec précipitation, la sempiternelle phrase qui dit que leur système ne menace nullement la Russie.

Mais tout s'avère bien mieux que cela. "Les Etats-Unis ont entendu nos préoccupations, du moins ils ont formulé des propositions assez importantes et utiles que nous examinerons, même s'ils sont déterminés à mener à bien le déploiement de la troisième zone de positionnement", a indiqué le ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov.

Dans un léger état d'euphorie probablement provoqué par l'accueil inattendu réservé par les dirigeants supérieurs russes, le chef du Pentagone Robert Gates s'est déclaré agréablement surpris du ton positif des rencontres aussi bien avec le président nouvellement élu Dmitri Medvedev qu'avec Vladimir Poutine. Condoleezza Rice a, quant à elle, souligné la bonne atmosphère des discussions.

Que s'est-il donc produit de bon, du point de vue américain, permettant, pour reprendre l'expression de Sergueï Lavrov, de "minimiser" les préoccupations russes?

Il s'agit bien sûr des propositions américaines destinées à tranquilliser enfin la Russie sur le problème de l'ABM. Il est vrai, aucune énumération de ces mesures n'a été faite publiquement, c'est pourquoi on est contraint de se fonder sur différentes informations russes et américaines à leur propos.

Le New York Times cite les paroles prononcées par Robert Gates en route pour Moscou, selon lesquelles les Etats-Unis promettront de retarder la mise en service des sites de l'ABM, c'est-à-dire l'installation de missiles intercepteurs dans les silos, tant qu'on ne pourra pas prouver que l'Iran possède des missiles capables d'atteindre l'Europe. Le ministère russe des Affaires étrangères ajoute, pour sa part, que les Américains "ont mentionné la possibilité de bétonner le radar en République tchèque de façon à ce qu'il ne puisse balayer la Russie..."

On verra plus tard le destin qui sera réservé à ce pauvre radar, mais, pour l'instant, essayons de nous réjouir avec le ministère russe des Affaires étrangères et le Département d'Etat.

Cependant, il faut bien se rendre à l'évidence, c'est impossible.

Admettons que les Américains retarderont l'installation de missiles GBI dans les silos, cela reste néanmoins une consolation insuffisante. En effet, il est évident que ce ne sont pas 10, ni même 20 missiles antimissiles qui représentent une menace réelle. La véritable menace provient de l'intention, annoncée par les Etats-Unis et qu'ils sont en train de mettre en oeuvre, de déployer le système de défense antimissile, dont les éléments sont fabriqués sur la base de hautes technologies modernes et qui peuvent être employés par tous les types de forces armées. Pour l'instant, les troupes russes ne disposent de rien de semblable. L'objectif russe de perfectionner le potentiel offensif des missiles nucléaires en réponse à l'ABM est inconsistant en raison du manque de ressources pour développer les armements conventionnels de haute précision, leurs systèmes d'appui par satellite et les armements fondés sur de nouveaux principes physiques.

D'autre part, les Américains ont l'intention de dépenser d'ici 15 ans environ 250 milliards de dollars pour l'ABM! A en juger par les succès déjà enregistrés, il faut croire que cet argent ne sera pas dépensé en pure perte. En effet, ils ont déjà créé un système territorial fiable de défense antimissile sur mer constitué de trois croiseurs et de 7 destroyers sur la base du système Aegis avec le missile de DCA Standard-3, le même qui a atteint avec succès le 21 février une cible réelle en détruisant le fameux satellite espion américain devenu incontrôlable qui risquait de tomber sur la Terre.

En outre, ils mettent au point un laser chimique de combat à stationnement aérien, en cours de création dans le cadre du programme ABL. Et tout cela sans compter les célèbres intercepteurs GBI à stationnement terrestre, dont 24 sont déjà opérationnels sur la partie continentale des Etats-Unis, en Alaska et en Californie.

Cependant, à la place de Robert Gates et de tous les autres, j'aurais tendance à ne pas trop me réjouir. En effet, selon un amendement au budget militaire pour cette année adopté en juillet dernier, la création du système ABM relève de la politique de l'Etat aux Etats-Unis. Mais du point de vue des militaires, créer signifie déployer et rendre opérationnel un système d'armes destiné, en l'occurrence, à la lutte contre les missiles de l'adversaire. Si l'on construit l'infrastructure terrestre et souterraine sans installer les missiles, sa capacité de combat sera réduite à néant. Cependant, même un seul silo destiné à l'installation de missiles représente une petite cité dotée de systèmes d'alimentation autonomes, de dizaines de kilomètres de câbles, de nombreux générateurs diesel disposant d'une réserve de combustible de 30 jours, et d'une grande quantité d'équipements de contrôle et de lancement, etc.

Tout ce système est un produit "périssable", il est destiné à une existence active et supporte mal la mise en sommeil. Sans être utilisé, le matériel d'un poste de combat commence à se détériorer assez rapidement. Personne ne sait comment on pourra, dans cette situation, maintenir la capacité de combat des sites de la défense antimissile.

Enfin, il reste un autre point: qui va évaluer, et comment, la capacité de l'Iran à frapper l'Europe?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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