Etat indépendant ou "trou noir", à quoi mènera l'expérience du Kosovo?

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Par Ivan Zakhartchenko, RIA Novosti
Par Ivan Zakhartchenko, RIA Novosti

Le Kosovo a finalement proclamé à titre unilatéral son indépendance vis-à-vis de la Serbie. Le parlement de la province séditieuse située sur le territoire de l'ex-Yougoslavie a adopté dimanche une déclaration exprimant officiellement son intention de devenir un Etat indépendant. Il est vrai, cela ne sera effectif qu'au mois de mars, après l'adoption d'une Constitution, de symboles de l'Etat et d'une trentaine de lois.

L'indépendance du Kosovo, dont le territoire n'est plus sous le contrôle de la Serbie depuis 1999, sera très conventionnelle, car il existera, en fait, sous protectorat de l'Union européenne, grâce à son assistance économique, et en présence de 16.000 soldats de l'OTAN et d'environ 2.000 policiers de l'UE.

Leur mission: venir à bout de la criminalité, assurer le maintien de l'ordre public à un niveau digne de l'UE et protéger les Serbes du Kosovo. Personne ne sait combien de temps cela prendra, nul ne sait même ce qui en résultera.

Les pays européens ne se pressent pas tous pour reconnaître l'indépendance du Kosovo. Au cours d'une réunion du Conseil de sécurité des Nations unies qui s'est tenue ces jours-ci à huis clos, l'idée de la séparation de la province du Kosovo d'avec la Serbie n'a été soutenue que par cinq des 15 Etats membres du fameux conseil.

L'indépendance du Kosovo est ardemment prônée par les Etats-Unis, la presse américaine exprime plutôt une joie non dissimulée au sujet de la séparation du Kosovo d'avec la Serbie qu'une inquiétude pour le sort des Kosovars, d'autant plus pour celui des Serbes qui y résident.

Ils manifestent cette joie particulière en constatant que la Yougoslavie est définitivement démembrée, que les Serbes ont perdu la partie, et que la Russie, défenseur de longue date de la Serbie, n'a rien obtenu en soutenant son intégrité territoriale.

Les journaux américains traitent ces jours-ci la Russie de façon outrageuse en la qualifiant tantôt "d'ours hurlant", tantôt "d'hippopotame riche en pétrole", mais impuissant à faire contrepoids sur quelque sujet que ce soit.

Cette joie non dissimulée est évidente, mais, lorsque l'Europe aura à faire les frais de l'indépendance du Kosovo, cette joie sera probablement oubliée dans notre monde en pleine mutation et surchargé d'informations, et la responsabilité des problèmes futurs sera attribuée non pas à ceux qui ont soutenu avec acharnement la séparation d'avec la Serbie d'un territoire peuplé d'Albanais, mais à quelqu'un d'autre.

Sur une population de 2 millions d'habitants, le Kosovo ne compte plus aujourd'hui que près de 100.000 Serbes, bien qu'aucun recensement de la population n'ait été effectué depuis longtemps.

Cependant, même les analystes occidentaux préviennent que les problèmes du Kosovo ne disparaîtront pas après la proclamation de l'indépendance. La violence, bien qu'à une échelle restreinte, c'est-à-dire dans les lieux de résidence de la communauté serbe, se fera ressentir et les rapports entre l'Europe et la Russie pourraient bien se compliquer pour cette raison.

Que sera donc le Kosovo après la proclamation de l'indépendance: une partie prospère de l'Europe ou une enclave du crime organisé? Les avis des experts divergent sur ce point également, de même que les positions des différents pays.

Du temps de la prospérité économique en Yougoslavie, la province du Kosovo était la plus pauvre, et la situation ne s'est nullement améliorée après la guerre. Par conséquent, il est très difficile d'imaginer que le Kosovo devienne un Etat indépendant autosuffisant.

D'après les données de la Banque mondiale pour 2007, le revenu moyen par tête d'habitant ne constitue au Kosovo que 1.600 dollars par an, 37% de la population vit dans la pauvreté (moins de 1,42 euro par jour) et 15% ne dispose que de 93 centimes d'euro par jour.

Les analystes reprochent aux séparatistes du Kosovo de méconnaître les réalités économiques en parlant d'indépendance. Mais il est peu probable que l'économie préoccupe les leaders du Kosovo, qui ont combattu les armes à la main contre les Serbes.

En ce qui concerne les Européens, les optimistes citent les réserves de charbon au Kosovo évaluées à 15 milliards de tonnes et y voient la possibilité d'organiser des livraisons de charbon vers l'Europe du Sud qui éprouve un déficit énergétique.

Certains comptent sur l'aide des Kosovars qui vivent à l'étranger. D'après certaines données, ils envoient au Kosovo 450 millions d'euros par an.

Verena Knaus, analyste de l'Institut non commercial Initiative économique européenne (ESI), a reconnu par téléphone depuis Pristina que le Kosovo traversait "une crise économique caractérisée par un revenu par habitant extrêmement bas, des taux de chômage et de pauvreté très élevés, une faiblesse de la Santé publique et de l'économie, fortement dépendante de l'agriculture".

Cependant, selon elle, le Kosovo a un avantage par rapport à d'autres pays se trouvant dans la même situation économique.

"C'est le fait que le Kosovo se trouve en Europe, où il a les mêmes perspectives que les autres pays des Balkans, et qu'il pourra adhérer un jour à l'Union européenne", a-t-elle expliqué.

Selon ses prévisions, pour atteindre les critères européens, le Kosovo aura besoin de 10 ans au minimum. D'ici là, estime l'analyste, on peut accroître la production agricole et la production d'énergie pour non seulement satisfaire les besoins du Kosovo, mais aussi exporter vers les pays voisins.

Puisque la population du Kosovo est, pour l'essentiel, jeune et celle de l'Europe vieillissante, si des investissements sont effectués dans l'enseignement, les Kosovars pourraient travailler dans les pays européens, estime également Verena Knaus.

En ce qui concerne les moyens d'assurer l'ordre légal au Kosovo, les fonctionnaires de l'Union européenne ont envoyé à Pristina une équipe de planification (EUPT). Son porte-parole Karin Limdal voit dans le système judiciaire l'un des principaux problèmes en la matière.

"Il est encore très faible, le niveau d'influence politique est trop élevé. La corruption et le crime organisé sont aussi un problème du Kosovo actuel", a reconnu Karin Limdal.

Comme on le sait, il est prévu d'envoyer au Kosovo entre 1.800 et 1.900 policiers et juristes (vers la mi-juin), lorsque l'administration de l'ONU qui y est présente depuis 1999 achèvera son activité et sera remplacée par la mission de l'UE et le gouvernement du Kosovo. Selon les informations de la presse, la première année, il est prévu de dépenser à ces fins environ 190 millions d'euros.

Pour l'instant, personne ne sait non plus combien de temps durera la mission de l'Union européenne sur le territoire du Kosovo.

"Notre mandat initial est prévu pour deux ans, mais s'il est nécessaire que nous y restions, nous le modifierons. C'est aux 27 membres de l'UE d'en décider", a déclaré Mme Limdal.

Cependant, dans ces explications, on ne sent pas de stratégie précise de l'UE en matière de lutte contre le crime organisé, la pauvreté et la corruption au Kosovo. Le fait est que les Européens abordent les problèmes du Kosovo selon leurs propres notions et ne comprennent probablement pas qu'elles pourraient s'avérer inappropriées.

En Russie, les experts n'envisagent pas l'avenir du Kosovo avec optimisme. Comme l'a déclaré à RIA Novosti Alexeï Arbatov, de l'Institut d'économie mondiale et de relations internationales (IMEMO), après le départ de la mission de l'UE, il restera "un trou noir de drogue et de contrebande au milieu des Balkans".

En ce qui concerne les conséquences politiques de la proclamation unilatérale de l'indépendance du Kosovo pour la paix et la sécurité aussi bien en Europe que dans d'autres régions du monde, c'est un sujet à part.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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