Kosovo: la reconnaissance de l'indépendance de cette province pourrait menacer la sécurité dans le monde entier (Lavrov) - avis d'experts

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John Laughland, analyste britannique, coauteur d'un opuscule intitulé "Russie: nouvelle guerre froide?", participant au club international de discussion Valdaï en 2007.

J'appuie la position de la Russie sur le Kosovo car elle est conséquente, alors que la position de l'Occident est incohérente et contradictoire. L'Occident (UE+Etats-Unis) soutient l'indépendance du Kosovo mais s'oppose à l'indépendance de la Flandre, de la République (turque) de Chypre du Nord, de la République serbe de Bosnie, de la Transnistrie, de l'Abkhazie, de l'Ossétie du Sud, etc. L'Occident se prononce également contre le partage du Kosovo, bien que le Nord de Mitrovica soit peuplé uniquement par des Serbes. L'indépendance du Kosovo engendrera une vague de semblables appels à l'indépendance dans l'ouest de la Macédoine et dans la vallée de Presevo. Indirectement, ceci pourrait également entraîner des troubles dans le Caucase.

En outre, le Kosovo n'aura aucune indépendance réelle. L'UE y remplacera l'ONU et assurera l'administration comme dans un protectorat. Des plans détaillés ont été élaborés qui prévoient d'envoyer au Kosovo, après la proclamation de son indépendance, des milliers de fonctionnaires de l'UE et de policiers. 16.000 militaires de l'OTAN y seront toujours présents. La province du Kosovo aurait eu davantage d'indépendance au sein de la Serbie qu'elle n'en a sous le protectorat des Nations unies et qu'elle n'en aura sous le contrôle de l'Union européenne.

M. Lavrov a eu raison d'affirmer que l'indépendance du Kosovo marquerait le début de la fin de l'Europe contemporaine, car le statut actuel de la province est fixé dans la résolution 1244 du Conseil de sécurité de l'ONU. Si l'UE et les Etats-Unis négligent cette résolution, qui précise que le Kosovo fait partie de la Serbie, ils feront preuve, une fois de plus, de mépris envers les normes du droit international et démontreront qu'ils ne sont pas fiables en tant que partenaires internationaux.

Le Kosovo rappelle la Bosnie telle qu'elle était entre 1878 et 1914. La Bosnie fut placée provisoirement sous administration autrichienne en 1878, conformément au Traité de Berlin précisant qu'elle demeurait néanmoins partie intégrante de l'Empire ottoman. L'Autriche viola les conditions de ce traité en annexant ce territoire en 1908. La Serbie éleva des protestations, mais en vain. Six ans plus tard, un patriote serbe assassina à Sarajevo l'archiduc François-Ferdinand. Le reste appartient à l'histoire, comme on dit.

Alexander Rahr, directeur des programmes de la CEI et de la Russie au Conseil allemand pour la politique étrangère, membre du club international de discussion Valdaï.

La proclamation de l'indépendance du Kosovo, et encore davantage la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par certains Etats européens, risquent d'ouvrir la boîte de Pandore. Ceci peut également créer un précédent pour les autres républiques et autonomies séparatistes, qui pourront réclamer, dans le même champ juridique, l'adoption de résolutions analogues et les mêmes droits qu'obtiennent actuellement les Albanais du Kosovo. D'un point de vue purement juridique, M. Lavrov a plus ou moins raison. Les Basques pourraient se séparer de l'Espagne, les Tyroliens se retirer de l'Italie, la population hongroise pourrait rompre ses liens avec la Roumanie. Les peuples du Caucase du Nord pourraient réclamer leur retrait de la Russie. Et même une république comme la Bavière pourrait soulever la question de sa séparation de la République fédérale d'Allemagne. Cependant, l'Occident estime que Sergueï Lavrov exagère, car dans la plupart des cas, le séparatisme se manifeste pour des raisons économiques. Ces questions se posent lorsque les problèmes économiques sont vraiment sérieux, or, l'Europe espère que ce n'est pas le cas ici, que l'économie est solide et stable et que le séparatisme ne se manifestera pas. Cependant, ce danger existe. Bien que les propos de M. Lavrov puissent aujourd'hui être considérés comme inopportuns, ils pourraient être d'actualité d'ici quelques années déjà.

Jan Carnogursky, Premier ministre slovaque en 1991-1992, expert sur le problème du Kosovo, membre du club international de discussion Valdaï.

La reconnaissance de l'indépendance du Kosovo sera un drame pour les Serbes avant tout. Le Kosovo représente pour eux une source et une partie intégrante de la mythologie nationale. C'est dans cette province, de même que sur les territoires voisins, que se forma l'Etat serbe, aux IXe-Xe siècles. C'est aussi là que l'orthodoxie serbe plonge ses racines: nombre de monastères du Kosovo furent fondés au début du XIIIe siècle par Saint Sava, le saint le plus important en Serbie. La province constituait le centre de l'Etat serbe à l'époque de son épanouissement, à savoir au milieu du XIVe siècle.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, a affirmé que l'indépendance du Kosovo pourrait marquer le début de la fin de l'Europe contemporaine. C'est une sentence dramatique mais juste pour ce qui est de l'essence du problème.

Moscou n'a jamais approuvé la politique appliquée par l'Occident vis-à-vis du Kosovo et de l'ex-Yougoslavie en général. Bien que la Russie ait joué un rôle important dans l'arrêt de la guerre en 1999, elle a été le seul membre du Groupe de contact qui n'ait pas reçu son propre secteur de responsabilité dans la province. Or, l'arrivée des parachutistes russes à Pristina en juin 1999 avait été accueillie avec jubilation par la population serbe, qui considérait la présence des Russes comme la meilleure garantie du respect de leurs droits.

Hélas, avec le Kosovo, l'expérience a démontré qu'au XXIe siècle, la géopolitique l'emporte sur les principes de la morale et du droit. La séparation du Kosovo de la Serbie sans l'accord de Belgrade créerait effectivement un précédent pour l'Abkhazie, l'Ossétie du Sud et la Transnistrie. Une telle évolution des événements permettrait à Moscou de reconnaître de plein droit l'indépendance des formations postsoviétiques.

Daniel Vernet, directeur des relations internationales du journal Le Monde, participant au club international de discussion Valdaï en 2004.

Je pense que ces déclarations sont largement exagérées et excessives. L'indépendance du Kosovo n'est certainement pas une bonne solution. Mais c'est la moins mauvaise de toutes les solutions possibles, en tenant compte des réalités actuelles. La responsabilité de cette situation repose d'abord et avant tout sur la politique que Milosevic a menée au Kosovo à partir de 1989, si ma mémoire ne me trompe pas. Pour ce qui est des conséquences géopolitiques, je pense que personne n'a intérêt à prendre l'indépendance du Kosovo comme prétexte pour déstabiliser, que ce soit les Balkans ou d'autres régions aux confins de l'Europe. Donc, mon pronostic est plutôt que la raison l'emportera et que les conséquences externes de l'indépendance du Kosovo seront limitées.

James Jatras, directeur de l'American Council for Kosovo, expert politique.

La proclamation unilatérale de l'indépendance du Kosovo par l'administration albanaise est apparemment une question de jours. Les Etats-Unis et d'autres pays sont prêts à reconnaître l'indépendance de la province, alors que la Serbie, de même que la Russie et certainement la Chine, se prononceront probablement contre, car les Etats-Unis passeront ainsi outre leur veto au Conseil de sécurité de l'ONU.

Cependant, le fait que les actions des Etats-Unis anéantiront toute apparence de légalité dans les affaires internationales est sous-estimé par la communauté mondiale. Pour la première fois dans l'histoire, quelques pays ont l'intention de contribuer à la séparation d'une partie du territoire d'un Etat sans l'accord de cet Etat. (Il est vrai, les pays qui avaient perdu la guerre et subi l'occupation nazie avaient été contraints de signer des traités sur la cession de territoires. Même Edvard Benes signa en 1938 les accords de Munich, en cédant les Sudètes à l'Allemagne. Mais aucun leader serbe sain d'esprit ne cédera le Kosovo). Cela rendra nulles l'ensemble des garanties internationales sur l'intégrité territoriale des Etats, notamment la Charte des Nations unies et l'Acte final d'Helsinki.

L'intention des Etats-Unis de soutenir l'indépendance de la province portera un coup foudroyant à la seule institution de l'ONU ayant encore une réelle valeur: le Conseil de sécurité, qui a depuis 1945 évité au monde des guerres de grande envergure, de même que le Concert des grandes puissances avait permis d'empêcher de graves conflits en Europe de 1815 à 1914. En effet, en faisant fi du veto de la Russie au Conseil de sécurité, Washington a par là même déprécié la position de Moscou, en laissant entendre que son avis n'intéressait personne: "vous êtes libres de penser ce vous voulez, mais nous sommes toujours en 1999. Nous faisons ce que nous voulons et vous ne nous arrêterez pas".

Les actions des Etats-Unis soutenues par nos "alliés" slaves en Europe ne régleront pas le problème du statut de la province. En ce moment, le statut du Kosovo est clair: cette province fait partie de la Serbie qui avait accepté, sans grand enthousiasme, une présence internationale dans la province. Après la proclamation unilatérale de l'indépendance, qui sera reconnue par certains Etats, une "compétition" va s'imposer entre les pays qui ont fait le choix de cette reconnaissance et ceux qui s'y refusent. Malgré la déclaration tout à fait absurde de Washington, selon laquelle la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo ne créera aucun précédent, tout Etat multinational qui a décidé de reconnaître le Kosovo en pâtira. Par ailleurs, l'Etat du Kosovo ne pourra jamais devenir membre de l'ONU.

La Serbie rétablira peut-être son contrôle sur le Nord du Kosovo et dans quelques enclaves. Mais il ne s'agira pas d'un prélude à une séparation. Il sera question de la libération d'une partie du pays illégalement occupée par le régime séparatiste de Pristina avec le soutien de puissances étrangères agressives. Les Albanais et leurs alliés se trouveront alors devant un dilemme: déclencher ou non une nouvelle escalade de violences. Les Serbes vivront dans la crainte permanente que le malheureux tiers de la population d'avant guerre qui est resté ne soit finalement massacré et que les églises qui ont subsisté ne soient détruites.

Les régions du Kosovo contrôlées par les Albanais plongeront encore davantage dans le chaos: crime organisé, drogue, traite humaine et trafic d'armes. Ils vivront sous la menace d'un djihad mené par un "gouvernement" composé de criminels de guerre et de parrains de la mafia albanaise. Quant à la stabilisation de la situation dans les Balkans occidentaux, il faudra l'oublier. L'aliénation de la Serbie, unique Etat influent dans la région, ne fera qu'exacerber la tension.

Dans l'ensemble, le schéma rappellera un classique déraillement de train, ce que reconnaissent même les partisans de l'indépendance de la province. Chaque "wagon" en entraînera immanquablement un autre: déstabilisation du système du droit international, confrontation entre la Russie et les Etats-Unis, accroissement de la violence et de la criminalité, violations des droits de l'homme. Bref, un nouveau conflit "gelé". Que peut-il arriver de pire encore?

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