Vente d'un cimetière soviétique en Hongrie: un malentendu qui dérange

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Par Elena Chesternina, RIA Novosti
Par Elena Chesternina, RIA Novosti

Bien entendu, le scandale de la vente dans la localité hongroise de Kiskorpad d'un cimetière où reposent des soldats et officiers soviétiques morts en combattant pour libérer la Hongrie en mars 1945 est un malentendu, comme l'affirment Budapest, les autorités locales et l'ambassade russe. Mais comment ce "malentendu" a-t-il pu se produire? Comment se fait-il que les ministères russes des Affaires étrangères et de la Défense, tenus, d'après leur statut, de se soucier des tombes des soldats russes et soviétiques à l'étranger, aient appris cette histoire par la presse? Enfin, qui peut garantir qu'il n'y aura plus aucun "malentendu" de ce genre?

Rappelons que l'on a appris cette semaine que le cimetière de Kiskorpad, localité située dans le Sud de la Hongrie, avait été transmis à des particuliers. Plus précisément, il a été vendu avec tout le terrain qui appartenait à une ferme d'Etat. Ce cimetière où reposent, d'après différentes estimations, entre 150 et 1.000 combattants soviétiques, n'est nullement mentionné dans les documents. La transaction avait été conclue en 2006, mais n'a été révélée que par un article sur la vente des tombes paru dans un journal local. La propriétaire du terrain affirme qu'elle était au courant de la présence du cimetière. En effet, comment peut-on supposer qu'elle n'ait pas examiné l'endroit avant de conclure la transaction? Elle assure que les tombes des combattants soviétiques resteront intactes. Bien plus, elle a l'intention de demander aux autorités hongroises d'allouer des fonds complémentaires pour la restauration du cimetière.

En principe, on pourrait n'accorder aucune attention à cette histoire, car aucune menace ne pèse sur les tombes et il ne s'agit pas d'un "scénario estonien", mis à part un détail. La "guerre des monuments" en Europe, la profanation de sépultures de soldats et d'officiers soviétiques par des nationalistes et, plus encore, le transfert du Soldat de bronze du centre de Tallinn dans le cimetière militaire de la ville ont, enfin, obligé les autorités russes à prendre conscience de leur devoir de protéger les tombes. Il ne suffit pas de conclure des traités bilatéraux et d'exiger que les conventions internationales sur la protection des sépultures soient respectées. En effet, personne ne peut garantir que les autorités de tel ou tel pays ne créent leurs propres lois permettant de transférer des tombes, comme ce fut le cas en Estonie, ou bien de détruire des monuments, comme cela a failli de se produire en Pologne où l'on s'apprêtait à adopter une loi autorisant à démolir "tous les monuments érigés à la gloire des régimes totalitaires". Il s'en est fallu de peu que les monuments aux soldats soviétiques n'en fassent partie. Heureusement, les Polonais se sont repris à temps et ont décidé de ne pas provoquer une fois de plus Moscou.

Les tentatives pour faire retomber entièrement la responsabilité sur "les autorités des pays d'Europe de l'Est qui rêvent de se venger de la Russie à cause de leur passé soviétique" ne peuvent certainement pas résoudre le problème. D'autant que la Russie est loin d'être irréprochable en matière de protection des monuments. Il suffit de se rendre dans n'importe quel cimetière de combattants soviétiques en Allemagne pour comprendre que, si l'on doit formuler des reproches en matière d'entretien des tombes, c'est bien à la Russie. Les pays occidentaux sont autant intéressés que Moscou par le fait de conclure des traités sur la protection des sépultures militaires. Voici un exemple probant: un traité bilatéral sur la protection des tombes militaires a enfin été signé au cours d'une visite du ministre russe des Affaires étrangères Sergueï Lavrov en Lettonie. Son élaboration a pris plus de 10 ans et son apparition n'est pas due, comme on pourrait le supposer, à une tentative de la Russie pour régler ce problème avec la Lettonie afin que les événements survenus à Tallinn au printemps 2007 ne se répètent pas. Au contraire, Riga peut avancer autant de griefs à l'égard de l'entretien des tombes lettones en Russie - peut-être même plus - que Moscou ne peut en avancer à la Lettonie.

Au plus fort des événements estoniens, Vladimir Poutine avait promis de signer avant le mois de mai un décret destiné à régler le problème de l'entretien des cimetières à l'étranger. Il s'agit d'établir des représentations russes sur les territoires de sept Etats où se trouvent plus de 90% de ces cimetières. En fin de compte, le document n'a vu le jour qu'en octobre: selon ses termes, le ministère de la Défense doit envoyer des fonctionnaires en Hongrie, en Allemagne, en Chine, en Pologne, en Roumanie, en République tchèque et en Lituanie. La représentation basée en République tchèque sera également chargée de travailler avec la Slovaquie, celle de Chine, avec les deux Corées, celle de Lituanie, avec la Lettonie et l'Estonie. Cependant, comme l'a appris RIA Novosti auprès de l'ambassade russe en Hongrie, aucun émissaire russe ne travaille encore dans ce pays, et nul ne sait quand ils y seront envoyés. Le ministère de la Défense affirme que "le travail est en cours", mais les délais concrets de l'ouverture des représentations n'ont pas été indiqués.

Par ailleurs, même l'ouverture de représentations ne règlera pas entièrement le problème. Conformément au décret présidentiel, 29 personnes seront déléguées dans sept pays. Il s'agit d'un travail colossal: plus de 52.000 cimetières où ont été enterrés 9 millions de soldats russes et soviétiques victimes des guerres du XXe siècle se trouvent en dehors de la Russie. 80% des combattants morts lors de la Seconde Guerre mondiale n'ont pas été identifiés. Rien qu'en Pologne reposent, en plus des 600.000 soldats et officiers tombés au cours de cette guerre, environ 150.000 victimes de la Première Guerre mondiale et 12.000 soldats de l'Armée Rouge tués en 1920. On a l'intention d'allouer un million de dollars par an pour financer un projet d'identification des corps et d'entretien des monuments. Citons à titre de comparaison que les autorités allemandes ont dépensé 1,5 million d'euros rien que pour la reconstruction du mémorial soviétique de Treptower Park, alors que la Russie voudrait dépenser un million de dollars pour assurer l'entretien et la reconstruction de monuments et de tombes disséminés sur le territoire de 49 Etats.

Enfin, la question principale: jusqu'à quand les fonctionnaires russes continueront-ils à apprendre par le biais de la presse des faits concernant tel ou tel cimetière? N'est-il pas temps de connaître précisément le sort des tombes de nos compatriotes à l'étranger? A moins que ce problème ne laisse les Russes indifférents. A en juger par les réactions qu'a suscitées cet incident, semble-t-il, insignifiant en Hongrie, ce n'est pas du tout le cas.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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