Nouveau départ entre Tachkent et Washington

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Par Sanobar Chermatova, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti
Par Sanobar Chermatova, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti

Après la visite de l'amiral américain William Fallon en Ouzbékistan, on peut s'attendre à des changements dans la politique étrangère de ce pays toujours dirigé par Islam Karimov, sorti victorieux de la présidentielle de décembre dernier. Le chef de l'US Central Command (en charge des forces américaines déployées au Moyen-Orient et en Asie centrale) a été reçu par le président ouzbek. Comme l'indique l'agence d'information nationale UZA, les deux hommes ont abordé la sécurité régionale et la stabilisation de la situation dans l'Afghanistan voisin. Le problème afghan a toutefois été le sujet principal des négociations, à en juger par la liste des personnages avec qui s'est entretenu l'amiral américain: le secrétaire du Conseil de sécurité, les ministres de la Défense et des Affaires étrangères, ainsi que le commandant des troupes frontalières de la république.

En plus de l'Ouzbékistan et de l'Afghanistan, l'amiral s'est rendu au Pakistan, au Kirghizstan et au Tadjikistan. Mais c'est sa visite à Tachkent qui a retenu l'attention des experts. Selon certains d'entre eux, les Etats-Unis cherchent activement à engager un dialogue avec les dirigeants ouzbeks en vue de rétablir leur influence dans cette république d'Asie centrale importante sur le plan stratégique. Après les événements tragiques d'Andijan en mai 2005, en réponse aux critiques occidentales, l'Ouzbékistan exigea la fermeture de la base militaire américaine située près de Karchi. Depuis, les rapports entre les deux pays étaient réduits à néant. Cependant, à la veille de l'élection présidentielle, Islam Karimov avait subitement mentionné des "forces" se tenant entre l'Ouzbékistan et l'Occident. "On comprend aisément qu'elles voudraient que ce genre de désaccords existent, afin d'en retirer un avantage particulier... Dans sa politique étrangère, l'Ouzbékistan a toujours été et reste partisan du respect mutuel et de la coopération mutuellement avantageuse avec tous ses voisins proches et lointains, y compris les Etats-Unis et l'Europe", avait déclaré Islam Karimov.

L'appel du pied a été entendu par les Européens. Au lendemain de la prestation de serment du président ouzbek, le 17 janvier, Pierre Morel, représentant spécial de l'UE, a déclaré que l'Union européenne considérait l'Ouzbékistan comme un partenaire fiable et se prononçait en faveur d'un renforcement et d'une extension de la coopération. Bruxelles a ainsi devancé les Etats-Unis dans l'établissement du dialogue: l'année dernière, les sanctions prises par les Européens à la suite des événements d'Andijan avaient été en partie adoucies. En réponse, l'Ouzbékistan avait amnistié quelques militants des droits de l'homme, décrété l'annulation de la peine de mort à partir du 1er janvier 2008 et transmis aux tribunaux le droit de délivrer des mandats d'arrêt, montrant ainsi qu'il était intéressé à la normalisation des rapports avec l'Union européenne.

Le rôle de paria sur le plan international n'arrangeait nullement Tachkent et les Européens avaient adopté l'année dernière une nouvelle stratégie, selon laquelle les problèmes de la promotion de la démocratie en Asie centrale devaient céder la priorité aux intérêts énergétiques de l'UE. Mais les choses ne sont pas si simples, surtout lorsqu'on a affaire à un partenaire aussi difficile que Tachkent.

Les priorités de l'Ouzbékistan en matière de politique extérieure sont déjà déterminées: à l'Ouest, l'Allemagne, à l'Est, le Japon, deux pays influents qui n'ont émis presque aucune critique envers Tachkent. Les militaires allemands se sentent à l'aise sur la base aérienne de Termez, à la frontière avec l'Afghanistan. Un influent analyste ouzbek proche du ministère des Affaires étrangères a déclaré, au cours d'un entretien avec un expert, que la question de la base allemande avait été réglée en concertation avec Moscou et que Berlin était au courant de ce fait. Pour le Japon, ses rapports avec Tachkent (et, en général, sa présence en Asie centrale) sont très importants en vue de limiter l'influence de Pékin qui joue un rôle considérable dans l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS). Cela fait l'affaire de l'Ouzbékistan, qui a besoin d'autres partenaires en plus de la Russie et des pays de l'OCS.

Il ne faut pas s'attendre cependant à un retour triomphal des intérêts américains en Ouzbékistan, car la situation actuelle dans la région diffère totalement de celle de la fin des années 90, où les contacts entre Tachkent et Washington venaient de s'établir. A ce moment-là, l'Ouzbékistan se trouvait dans le collimateur de combattants islamistes dont les bases se trouvaient en Afghanistan et au Tadjikistan. Tachkent avait appris par ses propres canaux que les dirigeants russes n'avaient pas l'intention de lui apporter d'aide en cas d'attaque terroriste. En 1999, l'Ouzbékistan se retira du Traité de sécurité collective (ce retrait fut interprété comme une rupture avec Moscou) et commença à se rapprocher de Washington, en vue de pouvoir s'appuyer sur lui dans la lutte contre les extrémistes islamiques. Les choses ont bien tourné pour les dirigeants ouzbeks, puisqu'au cours de l'opération américaine lancée en Afghanistan en 2001, les principales forces du mouvement islamique dans la région furent écrasées.

Mais aujourd'hui, un autre schéma de sécurité est apparu en Asie centrale. Le rôle principal y est joué par l'OTSC (Organisation du Traité de sécurité collective) et l'OCS (Organisation de coopération de Shanghai), organisations où la Russie et la Chine (membre uniquement de l'OCS) jouissent d'une grande influence. A présent, l'Ouzbékistan rattache sa sécurité à ces structures. Par exemple, les dirigeants ouzbeks ont obtenu que Tachkent soit choisie comme quartier général de la Structure antiterroriste régionale (dans un premier temps, on estimait que ce serait Bichkek, capitale du Kirghizstan). Le parlement ouzbek a ratifié ces jours-ci plusieurs documents, abordant ainsi l'étape finale de la procédure d'adhésion du pays à la base normative et juridique de l'OTSC. Certes, le retour de l'Ouzbékistan n'a été possible qu'après un certain nombre de démarches du Kremlin. Ainsi, les organisations considérées comme hostiles par l'Ouzbékistan - le Mouvement islamique d'Ouzbékistan et le parti Hizb ut-Tahrir (parti de libération islamique) - ont été portées sur les listes noires russes puis, grâce aux efforts déployés par les diplomates russes, sur les listes correspondantes de tous les pays de l'OTSC et de l'OCS.

A présent, l'Ouzbékistan n'a aucune raison de revoir un système d'alliance et de partenariat auquel il participe déjà. Mais cela n'empêche pas de rétablir les contacts avec les Etats-Unis. Le problème afghan qui préoccupe Tachkent peut être un nouveau point de départ dans les rapports entre les deux pays. Mais il y a une différence de principe qui réside dans le statut des Américains. A la fin des années 90 et au début des années 2000, les Etats-Unis étaient pour l'Ouzbékistan l'allié numéro un. A présent, ils ne peuvent revenir que comme un acteur parmi d'autres dans une région où agissent déjà la Russie, la Chine et l'Union européenne.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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