En admettant que Vladimir Poutine, qui a récemment collectionné les rôles de "leader national", de mentor universel, "d'ayatollah de toute la(les) Russie(s)", devienne effectivement premier ministre sous la présidence de Dmitri Medvedev et prenne ses distances avec le parti majoritaire, on se demande bien comment pourront être répartis les pouvoirs entre ces deux futurs "premiers personnages" de l'Etat.
Poutine n'a pas encore répondu à cette proposition qui a été, cela ne fait aucun doute, soigneusement préparée à l'avance. L'affaire est peut-être déjà réglée. Il n'est pas exclu qu'il s'agisse d'un moyen de tâter le terrain, de tester la réaction de la classe politique et de l'opinion. Cette situation est d'ailleurs loin d'être inédite. Tout le monde se souvient du récent débat à propos de l'éventuelle nomination du chef de l'Etat au poste de premier ministre avec des pouvoirs élargis. Formellement élargis ou non, ils seraient de fait immenses dans un tel schéma. En effet, Poutine n'est-il pas aujourd'hui une fonction à lui seul? Bref, les spéculations sur le futur statut du président actuel sont loin d'être terminées.
Tant que le statut de Poutine restera dans le flou, une autre question ne pourra être considérée comme définitivement réglée: la désignation du successeur signifie-t-elle que nous arrivons à la fin de cette période d'hystérie générale qui laisse entrevoir un large repartage des compétences et des actifs au sein de l'élite ou, au contraire, que nous n'en sommes qu'au début? Les différents clans, siloviki ou libéraux, faucons ou colombes, doivent-ils dès à présent tout faire pour s'attirer les bonnes grâces de Medvedev et s'aligner exclusivement sur lui? Ou bien vaut-il mieux ne rien entreprendre pour le moment, le "canard boiteux" n'étant plus aussi boiteux qu'on pourrait le penser. Le système extrêmement complexe des relations internes au sein du pouvoir, dans lequel ce dernier se retrouve entremêlé par des millions de liens visibles et invisibles avec le monde des affaires, restera-t-il le même? Tous les chemins continueront-ils à mener jusqu'à Poutine? A la différence près qu'il ne faudra désormais plus se presser dans la salle de réception du Kremlin ou à l'entrée de la résidence de Novo-Ogarevo mais à la porte du bureau de la Maison blanche..?
Toutes ces questions restent sans réponse. Parce qu'on ne sait toujours pas comment va se comporter le successeur. Même loyal à Poutine, il n'en sera pas moins président, un président qui participera aux réunions du G8, qui sera l'image du pays sur la scène internationale et l'arbitre entre les siloviki. Malgré les quelques idées que l'on a de Dmitri Medvedev, "young loyalist" selon le Wall Street Journal, libéral mesuré ou encore fonctionnaire carriériste, personne ne sait réellement qui il est ni quelles sont ses possibilités, ses qualités, et surtout ses ambitions profondes.
Tous les scénarios restent possibles.
Premier scénario: Medvedev se découvre la capacité de faire valoir toute l'étendue de ses pouvoirs constitutionnels, devenant ainsi un personnage fort et un véritable président. Dans ce schéma, Vladimir Poutine joue le rôle d'un Deng Xiaoping russe et participe à l'administration de l'Etat à différents niveaux d'implication, comme premier ministre, comme "ayatollah", comme conseiller, comme médiateur informel pour les situations difficiles, ou encore comme arbitre "de touche".
Deuxième scénario: le président, faible et dépendant dans un premier temps, se renforce au fur et à mesure de son expérience à ce poste, et étend petit à petit son contrôle à tout le système de prise de décisions, au détriment de "l'ayatollah" ou du premier ministre.
Il faut noter que la notion de président "fort" héritée de la tradition russe de ces dernières années diffère quelque peu de l'interprétation qu'on en fait habituellement. En Russie, un président fort est un président autoritaire, qui décide de tout par l'intermédiaire du système de la verticale du pouvoir. Alors que la force du chef de l'Etat dans un système où les procédures démocratiques et de gouvernement sont bien appliquées est sa capacité à déléguer habilement ses pouvoirs, à rendre effective la séparation des pouvoirs. Mais on est ici, reconnaissons-le, loin des réalités russes. C'est pourquoi cette variante de concurrence au sein du pouvoir ne peut mener qu'à un double pouvoir, et donc à une lutte pour le pouvoir.
Troisième scénario: le faible reste sous contrôle. Sous le contrôle du "secrétaire général" Poutine, de "l'ayatollah" Poutine, du premier ministre Poutine, du président de l'Union Russie-Biélorussie Vladimir Poutine. Cette situation équivaut à un troisième mandat pour le deuxième président russe. Dans ce cas de figure, le successeur de Poutine, c'est Poutine lui-même.
Quatrième scénario: le président, faible, tente de devenir fort sans l'aide ou l'intervention du précédent chef de l'Etat. Mais il reste en position de faiblesse après son échec dans la lutte menée dans les sphères politique, administrative et économique contre les nombreux groupes d'influence politico-financiers. Le rôle du personnage fort échoit à celui qui aura été désigné par un consensus entre les différents clans, et ce, qu'il soit premier ministre, ministre de l'Intérieur ou patron de quelque superholding d'Etat qui échappe à tout contrôle. Après la mort de Staline en 1953, rien n'empêchait Beria, vice-président du conseil des ministres de l'URSS, de diriger de facto le pays. Il échoua cependant à attirer sur sa personne le consensus des élites, et fut rapidement remplacé par Nikita Khrouchtchev.
Le scénario qui se réalisera dans la pratique permettra de répondre à la question de savoir Who is Mr Medvedev? Mais en partie seulement. L'essentiel est ailleurs: Dmitri Anatolevitch Medvedev est-il réellement un libéral, reconnaissant la valeur de la liberté et de la démocratie, ce qui ressort directement de son discours prononcé à Davos et de quelques autres consistantes interviews et articles de fond? De la réponse à cette question dépend l'orientation future de la Russie.
C'est un point sur lequel on aimerait aussi avoir des précisions. Et vite.
Andreï Kolesnikov est rédacteur en chef adjoint du journal The New Times.
Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.