Le 5 janvier 2008, la Géorgie élira son président. On sait que l'élection anticipée aura lieu à la demande d'une opposition géorgienne bigarrée et sous la pression de l'Occident. Naturellement, les dissidents géorgiens et le lobby euro-américain ont des intérêts différents. Si les hommes politiques et une partie considérable de la population de la Géorgie sont, pour l'essentiel, mécontents des actions de Mikhaïl Saakachvili à l'intérieur du pays et sont donc prêts à le remplacer, les forces politiques occidentales ne sont pas préparées à voir apparaître un nouveau personnage à la tête de la Géorgie, alliée de l'OTAN, de l'UE et des Etats-Unis: elles souhaitent que le régime au pouvoir subisse un "relooking", mais que Mikhaïl Saakachvili reste à sa tête. Il a si brillamment manifesté ses qualités d'allié fidèle et d'opposant farouche de la Russie que des remaniements de cadres ne sont pas souhaitables, d'autant plus que Mikhaïl Saakachvili prévoit l'adhésion de son pays à l'OTAN. La prochaine élection présidentielle est très utile en ce sens. Le mandat de confiance qu'il pourrait de nouveau obtenir à la suite du vote du 5 janvier est indispensable pour cela.
Il est évident que la Fédération de Russie ne souhaite pas voir de bases de l'Atlantique Nord apparaitre à ses frontières méridionales. Leur présence affaiblirait considérablement les positions géopolitiques de la Russie, non seulement dans le Caucase du Sud, mais aussi dans toute la région du Sud-Est. En outre, la population de certaines entités russes situées dans le Caucase du Nord pourrait subir une forte pression extérieure. Si l'OTAN se trouve à nos portes à la veille des Jeux olympiques de Sotchi en 2014, cela entraînera presque automatiquement le changement radical de la position de la Russie concernant le soutien qu'elle accorde aux peuples d'Abkhazie et d'Ossétie du Sud dans leur aspiration à la reconnaissance de leur indépendance vis-à-vis de la Géorgie.
Par conséquent, la crise politique qui a éclaté en Géorgie à l'automne dernier est avantageuse pour le Kremlin, mais à condition qu'il y ait, parmi les prétendants réels à la présidence en Géorgie, au moins un candidat prêt à traiter Moscou à l'égal de l'Occident. Autrement dit, ce doit être un homme politique enclin à tenir compte non seulement des intérêts géopolitiques de ses nouveaux alliés occidentaux, mais aussi des arguments légitimes de Moscou. Citons-les ci-dessous.
Premièrement, c'est au moins une politique étrangère neutre de la part des Etats situés à la frontière méridionale de la Russie (cela concerne en premier lieu la Géorgie).
Deuxièmement, le respect des droits et des intérêts légitimes et universellement reconnus des citoyens de la Russie, y compris le droit à la vie, à la liberté et au bonheur (il s'agit là de garanties de sécurité et de souveraineté pour la population de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, ainsi que de stabilité et de la possibilité de se déplacer librement pour leurs proches voisins et leurs parents résidant de l'autre côté de la frontière russo-géorgienne).
Troisièmement, des conditions non discriminatoires pour les activités commerciales de l'Etat russe et les citoyens de la Fédération de Russie sur le territoire de la Géorgie.
Quatrièmement, la garantie d'un transit libre et sans entraves, par le territoire de la Géorgie (ce qui est très important, et pas seulement pour notre pays).
La présence quatre années de suite de Mikhaïl Saakachvili au poste de président n'a répondu à aucun des intérêts de la Russie énumérés ci-dessus. Il en a découlé un souhait ferme de Moscou, non exprimé officiellement, qu'il ne soit pas réélu pour le mandat suivant.
A ce jour, aucun des 18 adversaires de Mikhaïl Saakachvili qui se sont présentés à la présidence n'est à même de prétendre remporter le premier tour de l'élection présidentielle. Aucun d'entre eux non plus ne représente un allié dévoué de la Russie. C'est vrai. Les artifices politiques de certaines personnalités russes y ont beaucoup contribué ces dernières années. Que faire dans ces conditions? Il reste à affaiblir les positions de Mikhaïl Saakachvili, tout en renforçant au maximum l'image positive de la Russie aux yeux de l'électorat géorgien. C'est un axiome. Si l'on n'agit pas à l'égard de la Géorgie en se fondant sur ces postulats, alors il vaut mieux que Mikhaïl Saakachvili reste éternellement aux commandes.
Que fait Moscou précisément à la veille de l'élection géorgienne qui aura une grande importance pour sa politique méridionale? Exactement le contraire de ce qu'il faudrait faire.
Au lieu d'exprimer de la compassion envers le peuple géorgien qui est devenu, une nouvelle fois, victime de la politique économique et sociale malhonnête du clan au pouvoir, le ministère russe des Affaires étrangères a préféré, on ne sait pourquoi, adopter une réaction veule et passive face aux accusations tout à fait absurdes de soutien à l'opposition géorgienne avancées par Mikhaïl Saakachvili, Nino Bourdjanadze (président du parlement géorgien) et d'autres piliers du régime de Tbilissi. Ce genre de répliques, auxquelles les partisans de Mikhaïl Saakachvili sont habitués, n'exercent plus aucune influence sur l'opinion publique géorgienne et ce, depuis longtemps.
Qui plus est, Boris Gryzlov, président du parti politique qui a remporté les élections législatives en Russie, a décidé d'effrayer Mikhaïl Saakachvili, en affirmant, dans la première déclaration qu'il a faite après le dépouillement des résultats du vote, que la nouvelle composition de la Douma (chambre basse du parlement russe) examinerait la question de la reconnaissance de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Cette déclaration contribue à l'éventuelle victoire de Saakachvili lors de l'élection, plus encore que l'argent américain ou les conseils des experts politiques d'outre-Atlantique. Toute personne un tant soit peu avisée en politique (sans parler d'un homme politique de l'envergure de Boris Gryzlov) doit comprendre qu'aucun des prétendants au poste de président de la Géorgie ne peut mettre en doute, même théoriquement, l'appartenance au pays de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud. Par conséquent (pour les Géorgiens), celui qui s'oppose à l'intégrité territoriale de la Géorgie d'après la notion géorgienne de ce terme, renforce, volens nolens, le soutien politique au régime actuel, en partant du principe suivant: "l'ami de mon ennemi est mon ennemi".
Que doit faire la Russie au cours du dernier mois précédant l'élection en Géorgie? L'essentiel est d'enlever aux dirigeants géorgiens actuels la thèse d'une Russie hostile. En effet, c'est le seul atout électoral de Mikhaïl Saakachvili et de son équipe. Pour cela, il est urgent de prendre la décision unilatérale d'annuler le régime des visas avec la Géorgie, de rétablir la liaison aérienne entre nos deux pays et d'ouvrir des postes frontières et des postes de passage aux douanes. Naturellement, cette décision doit être prise par le président russe, en argumentant ce changement d'approche de façon naturelle par de la sollicitude à l'égard du peuple géorgien qui a tant souffert. D'autant que, depuis l'introduction de toutes sortes de restrictions au niveau du transport, l'image de la Russie en tant qu'ami et bon voisin a chuté en flèche en Géorgie. Il convient de la rétablir d'urgence. Et cela peut aller de pair avec une réduction considérable du soutien électoral à Mikhaïl Saakachivli. Ensuite, il faudrait séparer la question de la loyauté de la Géorgie envers la Russie et le problème de la définition du statut de l'Abkhazie et de l'Ossétie du Sud, comme cela a été fait à l'égard d'un autre territoire qui a proclamé son indépendance non reconnue: le Nagorny Karabakh. Ces dernières années, certains dirigeants des régions russes font des déclarations hardies uniquement sur les problèmes ayant trait à la Géorgie, en détériorant ainsi nos rapports non pas avec des régimes ou des figures temporaires, mais avec ce pays et son peuple. En effet, il est impossible de se représenter, par exemple, que le maire de Moscou déclare que le Nagorny Karabakh n'appartient pas, admettons, à l'Azerbaïdjan, ou qu'il fasse une déclaration dans le sens contraire.
Si la fierté et l'incompréhension vis-à-vis de la situation complexe en Géorgie empêchent nos dirigeants de prendre des mesures positives pour la Russie et, en même temps, négatives pour Mikhaïl Saakachvili, il existe une solution palliative: se taire à ce sujet, ne serait-ce que jusqu'au 5 janvier. En effet, il s'avère qu'en critiquant la politique de Mikhaïl Saakachvili Moscou l'aide, en fait, à l'emporter à l'élection. Serait-il possible qu'il soit lui-même un "agent du Kremlin"?
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