En plus de la nécessité de régler de nombreux problèmes techniques et médico-biologiques que suppose un vol vers Mars, il faut répondre à la question la plus importante: quel est l'intérêt d'envoyer une mission habitée vers Mars et de faire débarquer des cosmonautes à sa surface? Peut-on justifier les immenses dépenses de ressources et, bien entendu, un certain risque qui malgré toutes les mesures prises accompagnent toujours les vols spatiaux? Il est probablement impossible de répondre de façon univoque à ces questions.
L'académicien Iouri Semenov, ancien constructeur général de RKK Energuia (constructeur spatial russe) estime que le travail effectué sur le projet d'expédition habitée vers Mars revêt une importance exceptionnelle pour la Russie: "L'industrie spatiale russe a ceci de particulier que ces projets sont nécessaires pour la conserver. Plus de 200 entreprises employant plusieurs dizaines de milliers de spécialistes hautement qualifiés travaillent actuellement dans le domaine de l'astronautique pilotée. La participation de ces entreprises au projet de vol vers Mars permettra, pour beaucoup, de régler les problèmes sociaux dans le domaine de l'industrie. Le projet sera un maillon qui stimulera le développement de hautes technologies russes. Enfin, l'essentiel: la conservation des positions sur le marché des technologies de pointe est un des objectifs prioritaires de l'économie russe".
Pour ainsi dire, le vol de l'homme vers Mars a une motivation pragmatique et sociale. Effectivement, la Russie a besoin de programmes scientifiques de grande envergure. Autrement, la fuite des cadres les plus précieux et compétents continuera. Le problème est ailleurs: les cosmonautes sont-ils réellement nécessaires pour explorer Mars?
Les Américains ont effectué des vols habités sur la Lune (mission Apollon). Mais il était alors évident, et il l'est toujours aujourd'hui, que ces vols n'étaient pas nécessaires à la science, mais uniquement destinés à produire un puissant effet politique. Ils ont coûté 125 milliards de dollars aux Américains, soit 10 fois plus que le financement annuel de leur programme spatial actuel.
Le professeur Konstantin Feoktistov, constructeur de vaisseaux spatiaux et pilote-cosmonaute, évalue le programme américain Apollon à la fois positivement ("excellent travail des ingénieurs"), mais aussi très négativement. En effet, les spécialistes soviétiques ont atteint les mêmes objectifs scientifiques à l'aide de robots et à moindres frais: des échantillons de sol lunaire sont ainsi parvenus sur Terre sans prendre de risques pour la vie des cosmonautes.
De nombreux experts critiquent également aujourd'hui le projet de Station spatiale internationale (ISS) en le qualifiant "de grosse erreur ayant coûté 100 milliards de dollars". A leur avis, s'il faut lancer des appareils pilotés dans l'espace, il ne doit pas être question d'appareils à usage général, mais spécialisés, destinés à régler des problèmes scientifiques et appliqués concrets.
Selon les estimations des spécialistes américains, la mission habitée vers Mars reviendra à peu près à 500 milliards de dollars. Selon les estimations russes, le projet de mission habitée vers Mars peut être réalisé en 12 ans et pour un budget de 14 milliards de dollars. C'est l'avis des partisans du vol. Cette somme équivaut presque au budget (par années) de tout le secteur spatial du pays. Une somme impressionnante. Mais l'Etat devra encore doubler les dépenses pour l'activité spatiale, car il est impossible d'effectuer un vol habité vers Mars sans l'avoir étudié minutieusement en lançant des appareils automatiques auparavant. Par exemple, l'académicien Nikolaï Anfimov, directeur général de l'Institut central de recherche dans le domaine des constructions mécaniques (qui fait partie de l'Agence spatiale russe, Roskosmos), estime que les dépenses pour le projet de mission habitée vers Mars dépasseront les 100 milliards de dollars.
Pour l'instant, le Programme spatial fédéral (pour la période de 2006 à 2015) n'a qu'un seul projet martien appelé Phobos-Grunt, dont l'objectif principal est de faire parvenir sur Terre des échantillons du sol de Phobos, un des deux satellites de Mars. Certes, c'est très important pour la science car on estime que Phobos est constitué de substances originelles du Système solaire. Mais, avant le début de la mission habitée, il faut faire parvenir sur la surface de Mars quelques grands Marsokhod (robots motorisés) qui étudieront les différentes régions de la planète et permettront de choisir les plus convenables pour le débarquement des cosmonautes.
Le principal objectif des études planétaires est de créer une théorie scientifique de l'apparition et de l'évolution des corps du Système solaire (planètes, leurs satellites, comètes, astéroïdes). Il convient de mettre l'accent sur le problème de la création d'une théorie de la formation et de l'évolution de la Terre capable de prévoir son développement futur. Il n'est possible de le faire que dans le cadre de la planétologie comparative. Mais il n'existe aucun objectif scientifique dans le domaine de l'étude du Système solaire qui ne puisse être atteint à l'aide d'appareils spatiaux automatiques qui coûtent moins cher que les vaisseaux habités.
La majorité des progrès scientifiques enregistrés dans le domaine spatial ont été rendus possibles grâce aux appareils automatiques, et non grâce à l'astronautique habitée, affirme le professeur Lev Zeleny, directeur de l'Institut d'études spatiales de l'Académie des sciences de Russie. Néanmoins, selon lui, l'homme débarquera obligatoirement sur Mars, même si c'est absolument insensé du point de vue rationnel. Les sensations de l'homme marchant sur une autre planète sont inestimables. Les programmes d'étude des planètes, avant tout de Mars, comportent également des objectifs d'ordre futurologique pour ainsi dire.
Les planètes ont maintes fois été victimes de catastrophes naturelles d'origine spatiale, y compris la Terre. Elles ne sont plus exclues à l'avenir, certaines d'entre elles peuvent conduire à la disparition de l'humanité, c'est pourquoi il serait utile que les Terriens aient une planète de réserve. Mars est la planète la plus prometteuse en ce sens. Si elle avait jadis une atmosphère plus dense et un climat chaud, il est peut-être possible, dans un avenir très lointain, de lui rendre cet état et d'en faire une planète habitable. Cette seule supposition peut devenir la motivation la plus importante des expéditions habitées vers Mars.
Bien entendu, il est très important que les missions interplanétaires habitées soient préparées et effectuées grâce aux efforts conjugués de plusieurs pays. Il ne faut pas répéter la faute de Nikita Khrouchtchev qui avait rejeté la proposition de John F. Kennedy de conjuguer les efforts de l'Union Soviétique et des Etats-Unis dans un programme de vol habité vers la Lune.
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