Les 9 et 10 octobre le président français Nicolas Sarkozy est attendu à Moscou où il rencontrera son homologue russe Vladimir Poutine pour la deuxième fois depuis son accession à l'Elysée. Pour la première fois, les deux hommes se sont rencontrés en juin dernier, en marge des travaux du sommet du G8 à Heiligendamm. A l'époque, les présidents russe et français ont même réussi à intriguer les journalistes accrédités et suivant les discussions habituellement ennuyeuses. Alors que MM. Poutine et Sarkozy, se rendant à une nouvelle rencontre, s'entretenaient paisiblement, le portable du président français s'est mis à striduler. Après avoir parlé une minute, Sarko a passé le téléphone à Poutine. Il s'est avéré plus tard qu'il ne s'agissait pas de problèmes de première importance et de portée mondiale. Tout simplement, Cécilia Sarkozy et Lioudmila Poutina voulaient savoir ce que leurs époux faisaient. Suivant un programme spécial, les "First Ladies" ont réussi à trouver assez rapidement un langage commun. Et tout porte à croire que leurs époux sont restés, eux aussi, satisfaits l'un de l'autre.
Quoi qu'il en soit, en parlant du président russe, Nicolas Sarkozy a confié un jour aux journalistes français qu'il avait "trouvé un homme très au fait de ses dossiers, très calme, très intelligent",.. que c'était "un homme avec qui on pouvait parler". Ce disant, il a beaucoup étonné les analystes qui avaient prédit à Moscou et à Paris un retour quasi immédiat à l'époque de la "guerre froide" après l'arrivée de Sarkozy au pouvoir.
En effet, au cours de la campagne électorale, le candidat à la présidence française Nicolas Sarkozy n'était guère bienveillant pour la Russie et prenait ostensiblement ses distances vis-à-vis de la politique de Jacques Chirac qui avait tenu, depuis de très longues années le rôle de principal avocat de Moscou en Europe. Le candidat-Sarko exigeait, par exemple, que Poutine s'explique au sujet de la Tchétchénie et sur sa position à l'égard de la Géorgie et de l'Ukraine". Il se disait aussi en désaccord catégorique avec les paroles du président russe qui considérait l'éclatement de l'URSS comme la plus grande tragédie du XXe siècle (Quand une dictature s'écroule, et l'Union Soviétique était bien une dictature, c'est toujours une bonne nouvelle, a affirmé M. Sarkozy). Et à une question sur ses alliés, il répondait que si on lui demandait s'il était plus proche des Etats-Unis ou de la Russie qui se comportait comme on le voyait en Tchétchénie, il se déclarerait évidemment plus proche des Etats-Unis.
Le fait que Nicolas Sarkozy soit effectivement plus proche des Etats-Unis, et non seulement sur le plan politique, il l'a lui-même manifesté, en se rendant dans ce pays pour ses premières vacances présidentielles. Toutefois, il a décidé à ne pas se limiter à une simple partie de pêche, mais de joindre aussi l'utile à l'agréable, en allant notamment voir George W. Bush dans sa résidence familiale de Kennebunkport. Or, choisir l'endroit de ses vacances et décider qui rencontrer durant ses loisirs, c'est une affaire personnelle. Mais les médias occidentaux affirment ces derniers temps que l'"atlantisme" de Sarkozy a déjà exercé un impact déterminé sur la Maison-Blanche. A ce qu'il paraît, l'administration Bush se propose de remplacer son principal allié en Europe, en "punissant" le premier ministre britannique Gordon Brown pour sa décision d'amorcer le retrait des troupes d'Irak. Le rôle de nouveau principal lobbyiste des intérêts américains au sein de l'Union européenne (UE) serait désormais attribué à Sarkozy qui a déjà réussi à s'illustrer en tant que bon ami des Etats-Unis". Un ami non moins sûr qu'autrefois Tony Blair.
Il va sans dire que le qualificatif de "meilleur ami de Washington" n'ajoutera rien à la popularité de Nicolas Sarkozy en France. Aussi, évoquant ses plans politiques extérieurs, le président français choisit-il très prudemment ses mots. Quoi qu'il en soit, cela ne change rien dans les faits. Sur les deux principales questions de politique internationale - l'Iran et le Kosovo - il soutient ouvertement les Américains. Quant à l'Iran, il insiste sur de nouvelles sanctions, et le Kosovo doit être indépendant, affirme-t-il. Ce disant, Nicolas Sarkozy positionne à priori l'attitude de la France à l'opposé de cette de la Russie.
Qui plus est, Sarkozy s'oppose ouvertement à la politique énergétique du Kremlin: "La Russie impose son retour sur la scène mondiale en jouant avec une certaine brutalité de ses atouts, notamment pétroliers et gaziers". Peu après, cette déclaration explicite a été suivie de mesures concrètes, le groupe national Gaz de France décidant d'adhérer au projet de gazoduc transcaspien devant contourner la Russie.
Par ailleurs, dans les relations franco-russes un autre facteur irrite Moscou. Tant Nicolas Sarkozy que le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner, qui a récemment visité Moscou, ont plus d'une fois signalé aux fonctionnaires russes la nécessité de respecter les droits de l'homme, en leur rappelant le meurtre d'Anna Politkovskaïa et la situation au Caucase. Ils ne cachent pas non plus leur opinion sur la situation politique en Russie. M. Kouchner a été parmi les premiers à réagir à la déclaration de Vladimir Poutine selon laquelle le président russe n'excluait pas d'occuper à l'avenir le poste de premier ministre. Même la Maison-Blanche et l'Union européenne ont qualifié cette manoeuvre d'"affaire interne de la Russie". Mais le chef de la diplomatie française a tout de suite repris son sujet favori:"L'opposition, tout le monde le sait, a beaucoup de difficultés" en Russie. Après cela, il s'est déclaré d'accord avec la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, qui avait, selon lui, absolument raison d'exprimer sa préoccupation face à la centralisation excessive du pouvoir en Russie.
Et pourtant. Si, au premier abord, il semble que plus le séjour de Sarkozy au pouvoir se prolonge, moins la Russie et la France ont de points communs sur les principales questions, en réalité il n'en est rien. Au bout du compte, la France ne veut pas de guerre en Iran, elle n'entend pas s'ingérer dans le conflit irakien et, en dépit de toutes les spéculations, il est peu probable qu'elle revienne un jour à la participation plein format à l'Alliance de l'Atlantique Nord. En outre, la France est tout à fait capable de tenir compte des intérêts de la Russie aux négociations sur l'adhésion à l'OTAN de l'Ukraine et de la Géorgie. Et encore. Quoique les "politologues proches du Kremlin" parlent d'une "amitié particulière" entre Mikhaïl Saakachvili et Nicolas Sarkozy, des sources françaises tout aussi bien informées n'en savent rien.
On a dû effectivement oublier l'axe "Moscou-Paris-Berlin" avec le départ tout d'abord de Gerhard Schröder et ensuite de Jacques Chirac. Néanmoins, Vladimir Poutine a réussi à trouver un langage commun avec Angela Merkel, bien que tout le monde ait prédit une détérioration des relations russo-allemandes juste à la fin de la "diplomatie du sauna et de la bière" de l'époque Schröder. Une tâche en tout point semblable se pose à présent aux politiques russes dans les relations avec la France, à savoir essayer d'organiser les relations bilatérales sur la base du pragmatisme, même sans utiliser le qualificatif "l'ami Sarko".
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