La France reconquiert à son tour l'Irak

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Par Marianna Belenkaïa, RIA Novosti
Par Marianna Belenkaïa, RIA Novosti

Le ministre français des Affaires étrangères Bernard Kouchner s'est rendu en visite en Irak. Il est devenu le premier fonctionnaire de haut rang de la troïka des pays qui s'étaient opposés en 2003 à la campagne militaire contre l'Irak (Russie, Allemagne et France) à effectuer une visite officielle à Bagdad. Ses homologues russe et allemand de la "coalition anti-guerre" n'ont pas encore suivi son exemple. N'ont-ils pas raté leur chance? Qu'a la France à gagner dans cette situation?

Rappelons qu'en 2003, Moscou, Berlin et Paris sont intervenus contre une opération militaire en Irak sous l'égide des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne. Et voilà que maintenant Bernard Kouchner dit vouloir "tourner cette page" pour parler de l'avenir.

Bien que le contexte de cette déclaration du ministre français soit tout à fait clair, il est tout de même impossible de ne pas préciser quelle page concrète M. Kouchner a décidé de tourner. S'agit-il des relations tendues entre Paris et Washington qui se sont réchauffées tout de suite après l'élection de Nicolas Sarkozy au poste de président de la République française ou des relations entre Paris et Bagdad depuis le renversement du régime de Saddam Hussein? De toute évidence, des deux.

L'histoire des relations franco-irakiennes rappelle pour beaucoup celle des rapports russo-irakiens. Tant Moscou que Paris avaient entretenu par le passé des contacts avec le régime de Saddam Hussein, intervenant plus tard contre son renversement de l'extérieur manu militari. A une certaine époque, des compagnies pétrolières russes et françaises travaillaient très énergiquement en Irak dans le cadre du programme des Nations unies "Pétrole contre nourriture". La Russie et la France avaient aussi essayé de se réserver le droit de mettre en valeur les gisements de pétrole irakiens pour après la levée des sanctions internationales contre ce pays. En 2002, le russe Lukoil et le français Total se sont retrouvés à peu près dans la même situation. L'un comme l'autre avaient des contrats signés avec le régime de Saddam pour mettre en valeur les champs pétroliers respectivement de West Qurna et de Majnoon. Dans le contexte des sanctions internationales frappant l'Irak, ces deux compagnies refusaient d'en entamer l'exploitation, ce qui a poussé la partie irakienne à rompre les contrats. La guerre a laissé cette question en suspens. Et voilà que maintenant ces deux compagnies espèrent pouvoir revenir en Irak. Reste à savoir à quelles conditions.

Début août, par exemple, se trouvant en visite à Moscou, le ministre irakien du Pétrole Hussein al-Shahristani a déclaré que, de toute évidence, les compagnies étrangères ne recevraient pas de paquets majoritaires dans les gisements irakiens où le volume des réserves et le niveau des risques étaient déjà définis. Quant aux autres champs pétroliers, ils feront l'objet d'un appel d'offres international.

Notons en passant que l'Irak est tout à fait en droit de décider du sort de ses propres gisements de pétrole, et la Russie qui, à différentes étapes de son histoire contemporaine, a changé elle-même plus d'une fois d'attitude quant à la participation d'étrangers à l'exploitation de son sous-sol est plutôt mal placée pour contester ce droit de Bagdad. Aujourd'hui, tant pour les Russes que pour leurs concurrents et partenaires d'autres pays du monde, le principal est de revenir en Irak. Aussi chacun essaie-t-il de résoudre cette tâche à sa manière.

Nul doute qu'à l'heure qu'il est, les affaires en Irak sont plutôt difficiles. Vu les problèmes de sécurité et le chaos politique dans le pays, le gouvernement et le parlement de l'Irak, incapables d'agir, ne peuvent sortir de la crise. Autrement dit, M. Shahristani peut disserter autant qu'il veut sur les futures conditions du travail des sociétés étrangères dans le pays, il n'en reste pas moins que la Loi sur le pétrole et le gaz n'est toujours pas adoptée par le parlement irakien. C'est pourquoi on ne peut que faire des suppositions sur la possibilité de travailler en Irak et de former des alliances stratégiques en prévision d'une telle opportunité. Du moins, le français Total a agi dans ce sens. Alors que le ministre irakien du Pétrole se trouvait à Moscou, discutant des conditions de travail pour les étrangers en Irak, des informations ont été publiées aux Etats-Unis selon lesquelles le français Total et l'américain Chevron auraient convenu de travailler ensemble à Majnoon, gisement mentionné plus haut. N'oublions pas non plus que pendant cette même période le président français Nicolas Sarkozy passait ses vacances aux Etats-Unis où il a rencontré son homologue américain George W. Bush. Les deux hommes politiques ont alors déclaré que les divergences sur l'Irak de leurs pays respectifs appartenaient au passé.

Comme l'a écrit à cette occasion le San Francisco Chronicle, le rapprochement des positions de Paris et de Washington sur la question irakienne est sans doute pour beaucoup le résultat de la décision des Etats-Unis de partager les dividendes pétroliers de leur campagne en Irak avec leurs partenaires en Europe et ce, en échange d'un soutien à la politique américaine au Proche-Orient. Un peu plus d'une semaine après cela, le chef de la diplomatie française Bernard Kouchner était déjà accueilli à sa descente d'avion à Bagdad.

On ne doit peut-être pas établir un lien direct entre un contrat non confirmé entre Total et Chevron, d'une part, et la visite du ministre français en Irak, de l'autre. Quoi qu'il en soit, il est tout à fait évident que les négociations de M. Kouchner à Bagdad constituent une nouvelle preuve explicite du rapprochement entre Washington et Paris. Il est tout aussi évident que l'Irak n'y perd rien, car plus il y aura de forces extérieures intervenant à partir de positions uniques à l'égard de ce pays, mieux cela vaudra pour lui. Quant à la France, y gagnera-t-elle? Qui vivra verra.

Somme toute, Bernard Kouchner qui a déclaré avoir pour objectif lors de sa visite à Bagdad d'écouter les positions des représentants de toutes les forces politiques en Irak pour comprendre la nature de leurs divergences peut toujours essayer d'apporter sa contribution à la solution de la crise interirakienne. Peu importe au fond s'il y arrivera ou pas finalement. En effet, nul ne peut se targuer jusqu'ici d'avoir réussi dans ses efforts de paix en Irak. Pourtant, la visite de M. Kouchner à Bagdad montre bien que la France tourne la page dans ses relations avec l'Irak d'autrefois et se montre prête à édifier de nouvelles relations avec un nouvel Irak et ce, à partir de zéro. Et, évidemment, avec les Etats-Unis derrière elle.

Dans cette situation, une question se pose d'elle-même: Moscou ne devrait-il pas déployer, lui aussi, certains efforts diplomatiques? On peut évidemment répondre que de telles visites n'apportent rien dans la plupart des cas, que la Russie est déjà très impliquée dans le règlement irakien, et que, finalement, elle a été parmi les premiers à insister sur la nécessité d'un dialogue interirakien. Néanmoins, il est parfois utile de montrer son drapeau. Qu'a l'Irak de moins que l'Arctique?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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