Les nouveaux faits qui n'en finissent pas de surgir tout au long de l'enquête sur "l'affaire des missiles" russo-géorgienne pourraient laisser croire que la version de Moscou est plus crédible que celle de Tbilissi. Mais le résultat risque d'être contraire: dans ce combat, la Russie manie le fleuret (ou, plutôt, est obligé de le manier) en conformité avec les règles de l'escrime, tandis que la Géorgie mène un combat d'une toute autre nature, son arme étant plus solide et plus lourde.
Les faits sont les suivants. D'abord, la mission de l'OSCE en Géorgie n'a pas fait de déclarations au sujet du missile largué le 6 août par un avion non identifié sur le territoire géorgien. Cette déclaration a été faite par la mission permanente géorgienne auprès de l'OSCE, à Vienne. Ce qui n'est pas, avouons-le, la même chose.
En ce siècle de l'information, le public non averti ne retiendra que ces mots-clés: "OSCE", "déclaration", "avion" et "Russie". On pourrait donc avoir l'impression que l'OSCE s'est rangée du côté géorgien avant de prendre connaissance des faits. Et cette illusion était bien là, ce dont témoignent quelques émissions de radio et de télévision diffusées en Russie même. C'est exactement le but recherché par la Géorgie.
Deuxième fait. En dehors de la Russie et de la Géorgie, rares sont ceux qui sont au courant de l'existence de deux enquêtes menées parallèlement sur "l'affaire des missiles". Peut-être y a-t-il eu aussi deux missiles, au lieu d'un. Le plus intéressant, ici, est de savoir s'il s'agit de deux incidents différents ou d'un seul.
La première enquête est menée par des experts militaires des forces russes de maintien de la paix stationnées dans la zone du conflit osséto-géorgien en collaboration avec les autorités de l'Ossétie du Sud, république autoproclamée qui revendique son indépendance par rapport à Tbilissi. Ces experts étudient les informations selon lesquels des avions géorgiens de fabrication russe (Su-24 ou Su-25, selon des sources différentes) venant du sud auraient survolé l'Ossétie du Sud en larguant un missile qui n'a pas explosé. La seconde enquête est réalisée par des experts américains, suédois, lituaniens et lettons qui s'intéressent, eux, à deux avions de la famille Sukhoi qui auraient franchi la frontière géorgienne par le nord et dont l'un aurait laissé tomber un missile sur le territoire géorgien.
La conclusion selon laquelle les mêmes avions de l'armée géorgienne se seraient dirigés vers le nord, puis seraient redescendus vers le sud en laissant tomber des missiles semble plausible. D'autres scénarios ne sont pas non plus à exclure. Mais il est difficile d'espérer que les deux commissions puissent conjuguer leurs efforts. Dès le début, chacune d'elles ne semble pas neutre de par sa composition aux yeux de la partie adverse.
Les résultats du travail des deux commissions pourraient s'avérer nuls, étant donné que l'un des missiles recherchés n'a pas été retrouvé, et que l'ogive du second a été détruite par la Géorgie.
La Russie risque réellement de perdre la bataille de l'information pour la bonne et simple raison qu'elle évite d'y participer. Elle a l'impression que la déclaration d'un vice-premier-ministre démentant toute implication de l'aviation russe dans l'incident du 6 août est suffisante.
Dans son comportement, la Russie compte, semble-t-il, sur la réaction des professionnels bien informés, et elle est en train d'obtenir le résultat qu'elle souhaite. Tout professionnel comprend que le largage d'un missile antiradar, qui n'explose pas, est absurde, tout simplement parce que la Russie n'en a pas besoin dans cette situation, comme il est difficile d'imaginer que des avions de l'armée de l'air russe aient pu tirer un vrai missile sur le radar géorgien (ce que la Géorgie impute à Moscou). Tout cela est complètement irréaliste.
Quant à la Géorgie, elle compte sur la réaction d'un tout autre public, mal informé, connaissant peu la géographie et la situation dans le Caucase et n'ayant aucune notion des missiles. Et elle semble en récolter les fruits, ne serait-ce que partiellement, sous forme d'ambiance médiatique.
Au cours de l'année écoulée, Moscou a fait semblant d'oublier l'existence de la Géorgie en lui imposant des sanctions économiques pour ses provocations dans la zone du conflit osséto-géorgien et pour ses insultes à l'égard des dirigeants russes. Ce n'est même pas une position défensive, c'est la position d'un homme fatigué de réagir aux provocations.
Dans le même temps, Tbilissi se cherche des alliés et des amis parmi ceux, de préférence, qui ne s'intéressent pas aux détails de ce qui se passe aux confins de la Géorgie.
Que peuvent obtenir les Russes en continuant d'ignorer froidement l'existence de la Géorgie, avec ses accusations bizarres et son régime politique hors du commun? Rien, semble-t-il.
Peut-être la Russie a-t-elle retenu la leçon de l'Estonie où l'on voit s'affirmer le culte de l'Allemagne nazie et où l'on organise des jeux militaires sur des itinéraires empruntés par les SS, tandis que l'Europe ne réagit pas aux alertes de Moscou.
En effet, l'opinion européenne est davantage disposée à réagir aux accusations vis-à-vis de la Russie, sans savoir même quel missile est tombé et où.
Mais ce n'est pas une raison pour permettre aux propagandistes géorgiens d'exploiter à leurs fins ces particularités de la pensée européenne.
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