L'action des hommes politiques dans les crises séparatistes du Caucase du sud favorise toujours plus la stagnation. Pourtant, la situation n'est absolument pas gelée, les conflits bouillonnent constamment et sont un terreau pour les intrigues et les guerres diplomatiques.
Deux problèmes clés restent toujours non résolus. Le premier concerne le manque de moyens politiques et financiers, moyens pourtant nécessaires aux forces qui pourraient imposer aux parties un indispensable règlement.
Il est peu probable que la Russie, qui se veut le meilleur garant de la stabilité dans le Caucase du sud, soit aujourd'hui prête à se lancer dans une expérience aussi risquée qu'une reconnaissance unilatérale des Etats jusqu'alors non reconnus. Qu'est-ce que cela lui apporterait? Une crise internationale, atteignant une fracture sans précédent dans ses relations avec la Géorgie. Une reconnaissance, cela ne signifierait pas seulement une fête pour l'élite et la population de ces territoires, une fête nationale pour la naissance d'un Etat à partir d'une enclave jusqu'alors non reconnue, ce serait un coup porté à la philosophie et aux principes de l'Etat unitaire traditionnel, une humiliation et une perte pour la Géorgie, un Etat voisin au sein de la CEI.
Le second problème clé consiste en l'impossibilité de trouver un accord entre les communautés. Les fonctionnaires et une partie de l'élite politique sont prêts à un rapprochement, incapable de compenser la fracture sociale et psychologique qui a frappé à vif et tant fait souffrir la population. Il y a déjà eu des tentatives de rapprochement dans le Caucase du sud. En mai 2003 par exemple, lorsque Vladimir Poutine, dans sa datcha de Botcharov Routcheï, avait reçu Edouard Chevardnadze et le président abkhaze pour une rencontre à trois. On y avait entre autres discuté de la possibilité d'ouvrir une voie ferrée reliant Sotchi à Tbilissi, ce qui aurait été un grand pas. En avril 2001, en Floride, Gueïdar Aliev et Robert Kotcharian avaient considérablement rapproché leurs positions dans le conflit du Haut-Karabakh. Trois rencontres ont également eu lieu entre Ludwig Tchibirov (le premier président d'Ossétie du Sud) et Edouard Chevardnadze. Lors de l'une d'entre elles, dans la ville de Borjomi, le président géorgien avait proposé le poste de vice-président de la Géorgie à M. Tchibirov, en cas de rattachement de Tskhinvali à Tbilissi.
Toutes ces tentatives ont échoué les unes après les autres. Dans les capitales des "Etats reconnus", on explique fréquemment ces échecs par l'ingérence de puissances extérieures, en faisant allusion à la mauvaise volonté du Kremlin, peu enclin à changer l'architecture de la sécurité en place dans le Caucase.
En principe, un tel facteur est bien présent, mais la véritable raison doit être cherchée ailleurs: les présidents des Etats reconnus et les leaders des enclaves séparatistes ne sont pas prêts à remettre complètement en question le statu quo en vigueur: les élites des pays reconnus ne sont pas prêtes à renoncer à l'indivisibilité des territoires, ni à sortir les pouvoirs séparatistes de l'isolement.
Des concessions devront être faites des deux côtés. Les séparatistes devront accepter une souveraineté limitée dans le cadre d'un Etat uni, les dirigeants de ces Etats devront entreprendre de sérieuses réformes et changer la forme unitaire du gouvernement. Qui plus est, ils devront offrir des garanties de sécurité et assurer les intérêts économiques des leaders des anciens territoires séparatistes dans leurs systèmes économiques légaux. Voilà un compromis bien complexe.
Parmi les élites géorgienne et azerbaïdjanaise au pouvoir, on trouve des optimistes, qui examinent la possibilité d'une large autonomie (proche de celle du Tatarstan dans la fédération de Russie). On a parfois l'impression que l'administration du président Saakachvili avance véritablement dans ces débats, par comparaison à ses collègues de Bakou. Mais il n'en est rien. A vrai dire, les pouvoirs séparatistes eux-mêmes ne penchent pas du tout pour de telles discussions.
Un nouvel élément s'est introduit dans la lutte pour la souveraineté entre la Géorgie et l'Abkhazie: les Jeux olympiques de Sotchi en 2014. A Moscou, on compte bien sur un règlement de ce conflit d'ici le début des jeux de Sotchi. Vladimir Kojine, esprit le plus optimiste et intendant du Kremlin, estime que "si l'on n'était pas sûr de pouvoir résoudre le conflit entre la Géorgie et l'Abkhazie, la Russie n'aurait pas obtenu les JO de 2014".
Naturellement, 12 milliards de dollars investis dans des infrastructures à une heure de trajet des zones de conflit vont inciter la Russie à stabiliser les deux parties. Mais pour l'instant, pour la Géorgie et l'Abkhazie, les avantages de ces jeux se jouent sur différents plans. L'élite de Soukhoumi ne demande pas mieux que de recevoir des investissements dans les zones de loisirs à la frontière du territoire de Krasnodar. En participant, même de cette façon, aux Jeux olympiques, l'enclave va avoir la possibilité de mener ses propres manoeuvres politiques à un haut niveau international. Tout le monde regardera vers cette région et les enjeux vont incroyablement augmenter.
Regardons la situation depuis Tbilissi. Il ne faut pas oublier que juridiquement, l'Abkhazie fait partie intégrante du territoire géorgien. Cela signifie que tout projet économique, y compris les contrats de sous-traitance pour la construction de certaines parties des complexes de loisirs prévus pour les jeux de Sotchi, devront être en accord avec la loi géorgienne. Plus précisément, cela implique que tout projet russe en Abkhazie devra être étudié à la lumière des accords russo-géorgiens: en prenant en considération les intérêts de la partie abkhaze, on ne doit pas ignorer les zones de responsabilité financière et fiscale de la Géorgie, ne serait-ce que par respect diplomatique envers Tbilissi.
C'est ainsi que cela devrait se passer, mais il en va tout autrement dans la réalité. A Tbilissi, soit l'on n'était pas préparé au projet olympique de ses voisins, soit on reste convaincu que compter sur un tel projet avec la Russie est beaucoup trop optimiste, compte tenu du nombre d'engorgements et d'impasses politiques. Mais en essayant d'adopter des décisions plus civilisées, et en n'adoptant pas une politique aussi irritante et insolente envers Moscou, la Géorgie pourrait trouver une voie qui lui permettrait de participer au projet olympique. Et dans ce processus, il serait possible de mettre à jour un terrain favorable aux intérêts des deux parties.
Le président Saakachvili affirme qu'il ne fera rien pour envenimer le conflit. Cependant, Tbilissi se trouve politiquement à la frontière de Sotchi 2014, et la situation reprend son cours précédent, négatif, fait de notes diplomatiques et de provocations réciproques. Les Jeux olympiques de Sotchi ne seront une fête que pour les sportifs et supporters géorgiens, et seront probablement la prochaine occasion manquée dans le règlement du conflit entre la Géorgie et l'Abkhazie.
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