En vingt ans, la Marine de guerre russe est appelée à devenir la deuxième force navale du monde. C'est ce qu'a déclaré, à la veille de la fête annuelle de la Flotte nationale, son commandant en chef Vladimir Massorine. A terme, a-t-il annoncé, la puissance navale russe sera fondée sur des sous-marins nucléaires stratégiques et six groupes de frappe ayant chacun un porte-avions.
Pour la Flotte nationale, ce sera le troisième programme de modernisation, explique l'amiral. Les deux précédents, même s'ils n'ont pas été réalisés jusqu'au bout, avaient toutefois permis de lui conférer une nouvelle dimension.
Le Programme national d'armements jusqu'en 2015, récemment adopté, fait - pour la première fois dans l'histoire soviétique et russe - de la Marine de guerre une priorité tout aussi importante que le développement des forces nucléaires stratégiques. Si 4.900 milliards de roubles (près de 140 milliards d'euros) sont prévus pour mener ce réarmement, un quart de cette somme doit financer justement le renouvellement du parc des navires.
"En fait, le nombre de navires en chantier a déjà atteint le niveau soviétique", a annoncé Sergueï Ivanov, premier vice-premier ministre, lors de sa récente visite à Severodvinsk, sur la mer Blanche, où sont situés d'importants chantiers navals. Selon le responsable gouvernemental, "l'argent ne pose plus de problème, et c'est à présent la production qui doit être optimisée afin que des navires soient par exemple construits en trois ans, au lieu de cinq, à compter de leur mise en chantier".
La Russie a élaboré une stratégie de développement de la construction navale jusqu'en 2030. En vertu de cette stratégie, d'ici à 2010, il est prévu d'augmenter de moitié le nombre de navires en chantier. Pour la première fois ces quinze dernières années, la Flotte a mis en chantier toute une série de 40 frégates, une dizaine de navires au moins pour chacune des deux flottes, du Nord et de la Baltique. En février 2006, après une interruption de 16 ans, l'Amiral Sergueï-Gorchkov, une frégate à long rayon d'action, a été mise en chantier. La Marine de guerre projette de lancer la construction d'une vingtaine de navires de ce projet.
La conception de la création de tels navires avait été définie par l'ancien commandant en chef de la Flotte, l'amiral Vladimir Kouroïedov. C'est lui qui avait formulé l'axe que doit suivre, dans son développement, la Marine de guerre russe: "abandonner une diversité de classes inimaginable au sein d'un seul et même type de navires ou d'avions. Dans le même temps, une unification plus poussée des navires doit en augmenter la puissance et réduire leur frais de construction". Il faudra donc, selon lui, renoncer aux navires étroitement spécialisés, en mesure de combattre uniquement des sous-marins ou des porte-avions ennemis, et passer à des unités de combat multirôles appelées à réaliser diverses missions de combat loin des côtes nationales. Ces navires seront créés d'après le principe dit des modules, ils auront des systèmes d'armements et d'équipements spéciaux largement unifiés. A terme, cela doit simplifier non seulement leur approvisionnement en pièces détachées et munitions, mais aussi leurs exploitation, réparations et, plus tard, modernisation.
La construction de porte-avions - il y en aura six, selon le commandement de la Flotte - est un thème à part. Premièrement, parce que cela ferait de la flotte russe la deuxième du monde. Pourtant, le Programme d'armements jusqu'en 2015 ne prévoit pas de ressources pour leur construction. Les projets échelonnés jusqu'en 2030 n'en font non plus aucune mention. Pourtant, à Severodvinsk, on a montré à Sergueï Ivanov le projet de construction, dans les chantiers navals Zvezdotchka, d'un nouveau dock destiné à mettre en chantier des navires de gros tonnage. Navires que seuls les chantiers navals à Nikolaïev, en Ukraine, pouvaient construire à l'époque soviétique. Il est prévu d'accorder près de 500 millions de dollars à la construction d'un tel dock. Les spécialistes disent que ce dock permettra de construire de gros méthaniers qui approvisionneront les marchés occidentaux en gaz liquéfié russe.
Mais il est tout aussi vrai que ce même dock peut servir de terrain à la construction de porte-avions! En tout état de cause, ce projet existe déjà. Le commandant en chef Vladimir Massorine affirme qu'il s'agira d'un navire à propulsion nucléaire, d'une longueur de 100 mètres au maximum, accueillant à son bord un groupe de 30 chasseurs et hélicoptères. Pourtant, si ce projet est réalisé un jour, ce n'est cependant pas pour demain.
La construction de sous-marins rencontre moins de problèmes. Rien que ces derniers temps, deux submersibles du projet 667BDRM ont été modernisés. Deux autres sous-marins subissent des réparations à Severodvinsk. Ils sont équipés d'un nouveau radar hydroacoustique qui permet aux navires de mieux voir et mieux entendre. De nouveaux systèmes anti-feu, de protection des réacteurs nucléaires, et un nouveau système de missiles stratégiques RSM-54 Sineva y sont installés. A l'opposé du système précédent, Skif, chacun de ses missiles porte non pas 4 mais 10 charges à pointage individuel. Le missile qui a une plus longue portée dispose d'un système de guidage moderne.
C'est bien un Sineva qui a été tiré en été 2006 au Pôle Nord par l'équipage du sous-marin nucléaire stratégique Ekaterinbourg, sous le commandement du capitaine Sergueï Ratchouk. Un tir en plongée, d'autant plus à travers une couche de glace, est déjà une mission très difficile. L'interférence de champs magnétiques rend inutiles les dispositifs de navigation de bord et en plus l'équipe doit subir une préparation spéciale pour pouvoir travailler "sous la glace". Mais ce tir a aussi des avantages. Sous une glace de plusieurs mètres d'épaisseur, un sous-marin demeure invisible pour les satellites d'observation ennemis jusqu'à l'ultime moment. Grace à quoi une frappe nucléaire de rétorsion sera subite et inéluctable. De nombreux commandants de sous-marins qui ont réussi à remplir cette mission sont devenus par la suite Héros de l'Union soviétique ou de la Russie. Sergueï Ratchouk, le commandant de l'Ekaterinbourg, a reçu l'Etoile de Héros des mains du président Poutine.
Mais la modernisation n'est qu'un élément du programme de renouveau de la Flotte. Les chantiers navals Sevmash à Severodvinsk construisent toute une série de sous-marins de quatrième génération du projet 955 Borée. C'est bien pour ces engins qu'on teste le nouveau missile stratégique de stationnement en mer Boulava (massue).
"Trois sous-marins nucléaires de quatrième génération sont construits: le Iouri-Dolgorouki, l'Alexandre-Nevski et le Vladimir-Monomakh. Par rapport aux submersibles de la génération précédente, ils auront des armements plus performants", explique Vladimir Massorine.
Un autre sous-marin nucléaire de frappe, du projet 885, le Iassen (frêne), sera bientôt mis à l'eau à Severodvinsk. Ce submersible de quatrième génération remplacera plusieurs engins des classes précédentes. Selon les spécialistes, la mise en service de ce sous-marin sera une véritable révolution. Déjà, les engins de troisième génération du projet 971 Akoula (requin) sont presque invisibles dans les profondeurs océaniques. Le Iassen, en termes de nuisances sonores, dépassera le tout récent sous-marin américain Seawolf. Mais, à l'opposé de son analogue américain, le submersible russe sera polyvalent. Grâce à ses armements - plusieurs types de missiles de croisière et de torpilles - il sera en mesure de réaliser un vaste éventail de missions en mer. Autrement dit, avec une même aisance traquer des porte-avions ennemis et porter des frappes massives au missile sur les côtes.
Les experts estiment que la naissance de nouveaux sous-marins nucléaires et "d'aérodromes flottants" améliorera radicalement les potentialités de combat de la Marine de guerre russe.
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