Le secret de la rentabilité olympique

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Par Elena Zagorodniaïa, RIA Novosti
Par Elena Zagorodniaïa, RIA Novosti

Les statistiques sont implacables: les Jeux olympiques se révèlent déficitaires plus souvent qu'ils ne sont rentables pour le pays qui les organise. Le mécanisme de rentabilisation du principal événement sportif international semble être bien connu et rodé, mais il y a un facteur que les organisateurs des épreuves olympiques ont tort de sous-estimer, à savoir l'initiative privée. Car les Jeux ne sont rentables qu'à condition qu'ils soient cofinancés par des entreprises privées, et plus ces dernières sont impliquées, plus l'Etat en profite.

Les plus ruineux sur le plan financier furent les Jeux organisés entièrement par l'Etat, ceux de 1980 à Moscou et ceux de 2004 à Athènes. Même si les statistiques relatives aux JO-1980 sont jusqu'à présent secrètes, les estimations approximatives évaluent les pertes nettes à 150 millions de roubles, soit 250 millions de dollars au taux de change officiel de l'époque. Il s'agit de pertes énormes si l'on se souvient que c'est à peu près la somme que coûtait l'organisation des Jeux olympiques à l'époque: les Jeux d'hiver de 1980 à Lake Placid ont coûté 179 millions de dollars, et ceux de 1984 à Sarajevo en ont valu 200 millions. Les Grecs qui ont accueilli les derniers Jeux olympiques d'été ont enregistré des pertes record: avec un budget total estimé à 14 milliards de dollars, les recettes directes ont à peine dépassé 2 milliards.

A l'autre extrémité de l'échelle des résultats financiers olympiques se trouvent les Jeux financés à partir de sources privées. Les JO-1984 de Los Angeles demeurent jusqu'à présent inégalés en termes de rentabilité: sur les 660 millions de dollars de frais, le bénéfice net s'est élevé à 220 millions de dollars, le tout grâce à un marketing olympique compétent. Pour la première fois dans l'histoire des Jeux, les sponsors potentiels ont été répartis en trois catégories dont chacune a été autorisée à exploiter les symboles olympiques avec le degré d'exclusivité différent en fonction de sa contribution. C'est le succès des JO-1984 de Los Angeles, dit-on, qui a poussé l'ancien président du Comité international olympique (CIO), Juan Antonio Samaranch, à lancer le programme marketing TOP (The Olympic Program). En 1985, plusieurs compagnies multinationales ont obtenu du CIO les droits exclusifs d'utilisation des symboles olympiques en échange d'une contribution officielle de 5 millions de dollars.

Financés exclusivement par des sources privées, à hauteur d'environ 600 millions de dollars, les JO-1996 d'Atlanta ont également apporté des bénéfices non négligeables. Il faut avouer cependant que le succès absolu d'Atlanta s'expliquait largement par la parcimonie du comité d'organisation qui économisait sur tout: des conditions de logement et d'alimentation des sportifs à la construction de sites sportifs temporaires.

D'autres pays ont eux aussi pris place sur l'échelle de la rentabilité olympique chacun en fonction du degré d'implication du capital privé au financement des Jeux.

Pour l'instant, il n'existe pas de formule mathématique définissant la part harmonieuse de l'Etat et des entreprises privées dans le financement des Jeux olympiques. D'autant plus que les dépenses des Jeux à venir sont une équation à plusieurs inconnues. Comment prévoir, par exemple, la météo pour les JO-2014? Y aura-t-il suffisamment de neige naturelle, ou bien faudra-t-il en amener en provenance des glaciers du Grand Caucase? Ou encore, comment calculer les dépenses nécessaires pour garantir la sécurité pendant les JO-2014? Les organisateurs des JO-2000 de Sydney pouvaient-ils supposer que, quatre ans plus tard - au lendemain des attentats du 11 septembre 2001 et après le début de la guerre en Irak -, Athènes dépenserait à des fins de sécurité la somme versée par les Australiens pour l'ensemble des Jeux, soit 1,5 milliard de dollars?

Une chose est sûre: la répartition compétente des rôles entre l'Etat et les entreprises privées pendant les préparatifs permettra de dégager le maximum de bénéfices. Car, comme le montrent les statistiques des dernières années, les recettes des budgets olympiques n'en finissent pas de croître. Ainsi, la vente des droits de retransmission a apporté un peu plus de 1 million de dollars dans le cas des JO-1960 de Rome, 287 millions de dollars dans le cas des JO-1984 de Los Angeles et 1,5 milliard de dollars dans le cas des JO-2004 d'Athènes. Les principaux sponsors du CIO deviennent de plus en plus généreux eux aussi: pour le cycle olympique Calgary-Séoul (1985-1988), ils ont versé 96 millions de dollars, contre 866 millions de dollars pour le cycle Turin-Pékin (2005-2008).

La Russie a compris la nécessité d'impliquer des entreprises privées dans le processus d'organisation et d'investissement. Il a été décidé que sur les 314 milliards de roubles (environ 12 milliards de dollars) de dépenses que comptera le budget des JO-2014, les investisseurs verseront 135 milliards de roubles (5 milliards de dollars). Et il ne s'agit là que des dépenses prévues à la veille de la sélection de la candidature de Sotchi. Tout porte à croire que les dépenses ne s'arrêteront pas là. Le groupe Interros, par exemple, qui a été parmi les premiers à avoir apprécié le village prometteur de Krasnaïa Poliana et qui construit là-bas la station de ski alpin Roza-Khoutor a déjà modifié ses projets d'investissement après la victoire remportée par la Russie à la session du CIO à Guatemala. Interros a décidé d'investir 1,5 milliard de dollars supplémentaires dans le développement des sites et des infrastructures de Sotchi. Tout porte à croire que la liste des investisseurs du projet Sotchi-2014 s'allongera, et le comité d'organisation se pose actuellement pour objectif de convaincre les compagnies privées qu'en investissant dans le projet sportif n°1 elles s'assureraient une excellente publicité.

Ce qui ne garantit pas, d'ailleurs, le succès financier des JO-2014 de Sotchi. Car, grâce au génie financier de Juan Antonio Samaranch, le mécanisme de répartition des bénéfices olympiques fait perdre au pays organisateur une bonne partie des recettes.

Jugez vous-mêmes: 49% des bénéfices tirés de la vente des droits de retransmission des épreuves (et c'est la rubrique la plus juteuse des budgets olympiques - 53% dans la structure globale des recettes) vont au comité d'organisation, et le reste est versé au CIO où cette somme est répartie entre le CIO lui-même, les comités nationaux de tous les pays membres du mouvement olympique et les fédérations internationales des sports olympiques. Le pays reçoit la moitié des subventions versées par les sponsors (34% dans la structure globale des bénéfices). Les recettes issues de la vente des billets, certes, sont empochées à 95% par le comité d'organisation, mais leur part dans la structure globale des recettes est peu élevée (11%). Enfin, toutes les recettes provenant de la vente des licences pour les différentes activités déployées pendant les Jeux vont au comité d'organisation. Mais la part des licences dans la structure globale des recettes est dérisoire (2%).

Il reste encore beaucoup de temps avant que soit dressé le bilan du projet Sotchi-2014, et ce dernier ne sera dressé ni dans sept ans, comme certains pourraient le croire, ni dans huit ans, quand les structures responsables présenteront leurs comptes. Or, seule l'implication des entreprises privées peut permettre de se préparer aux Jeux olympiques de façon à ce que les sites olympiques ne soient pas abandonnés, et que Sotchi devienne réellement une nouvelle Mecque pour les touristes venant du monde entier. D'autant plus que les entreprises privées sont, paraît-il, très intéressées à s'engager.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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