Les investisseurs étrangers à la conquête de l'alimentaire russe

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Par Vladislav Grinkevitch, analyste économique, spécialement pour RIA Novosti
Par Vladislav Grinkevitch, analyste économique, spécialement pour RIA Novosti

L'alimentaire russe suscite l'intérêt grandissant des sociétés étrangères. Après avoir acquis une fabrique de jus, le géant transnational "Coca-Cola" envisage d'accroître considérablement sa présence dans ce segment du marché. Son rival de toujours, la société "PepsiCo", jette un regard de convoitise sur une autre fabrique russe de jus. De son côté, le producteur croate "Podravka" a annoncé qu'il négociait l'achat d'une grande entreprise alimentaire en Russie. Ce désir ardent d'investir est facile à comprendre: depuis sept ans, l'alimentaire russe se développe à un rythme deux fois plus rapide que le rythme moyen de croissance économique du pays.

Le 5 juillet dernier, "Coca-Cola Hellenic Bottling Company S.A". a annoncé l'acquisition, pour 195 millions d'euros, d'un des plus grands producteurs de jus et de limonades en Russie, "Aqua Vision", appartenant à la holding russe "Health Tech Corporation Limited" (HTC). Maintenant cette transaction doit être approuvée par les organismes régulateurs russes. S'ils donnent leur aval, "Coca-Cola" disposera d'unités de production au moins deux fois plus puissantes que celles de tout autre producteur de jus de fruits en Russie. Rappelons qu'il y a deux ans, les Américains ont payé 500-600 millions de dollars pour la société "Multon" qui fournit actuellement plus de 20% des jus vendus en Russie.

Située aux environs de Moscou, l'usine "Aqua Vision" (marque de commerce "Botaniq") est l'entreprise la plus puissante dans son segment du marché: l'usine est aujourd'hui en mesure de fournir 300 millions de litres de jus et de limonades par an. Pendant la cérémonie d'ouverture de l'usine, les responsables d'HTC ont déclaré qu'au cours des trois années à venir, la part du nouvel acteur serait supérieure à 20% du marché russe des jus.

Un peu plus tôt, le président de "Podravka", Darko Marinac, avait annoncé que sa société (connue en Russie pour ses condiments en poudre "Vegeta") était en train de négocier l'achat du bloc de contrôle d'une des entreprises alimentaires russes ayant un chiffre d'affaires de 100 millions de dollars. Les experts avaient supposé qu'il s'agissait de la holding "Rousski product" (fournisseur de soupes préfabriquées, d'assaisonnements et de snacks). Le chiffre d'affaires de "Rousski product" correspond vraiment au montant précité. En outre, les deux sociétés opèrent dans des segments similaires: outre les assaisonnements, "Podravka" fournit snacks, boissons non alcoolisées, thé, conserves de légumes et de fruits, glace, produits carnés, etc. Selon son président, les Croates implanteront une entreprise en Russie dans tous les cas, même si les négociations n'aboutissent à rien, car produire les denrées alimentaires sur place est plus rentable que les importer.

Pour comprendre l'intérêt que le secteur alimentaire russe suscite chez les étrangers, il suffit de jeter un coup d'oeil sur les statistiques. Depuis sept ans, sa croissance s'effectue à un rythme deux fois, et même plus, supérieur au rythme moyen de développement dans l'industrie: 8% à 10% contre 4%. Mieux, selon les données annoncées par le ministère du Développement économique, pendant le premier trimestre de 2007, l'accroissement de la production de denrées alimentaires a atteint environ 12,6%. On trouve dans le peloton de tête les entreprises de transformation et de conservation des légumes qui ont connu une croissance de 41%. Elles sont suivies des fabricants de boissons non alcoolisées qui ont accru leur production de 37%. Les entreprises laitières ont augmenté leurs volumes de 18% et les fabriques de viande de 12%.

Faut-il préciser que les étrangers désireux d'approvisionner la table des Russes sont légion? Or, à elle seule l'importation de produits alimentaires ne rapportera pas de profits substantiels: les analyses attestent qu'à la différence des constructeurs automobiles ou des fabricants de vêtements russes qui redoutent terriblement la concurrence de la part de leurs confrères étrangers, nos producteurs de denrées ne la craignent nullement. Selon les données de l'Institut d'économie de transition, 54% des producteurs alimentaires russes sont persuadés que leurs marchandises sont parfaitement à même de rivaliser avec celles d'importation en ce qui concerne le rapport qualité-prix, 17% estiment que les produits importés sont incapables de faire concurrence aux produits russes et seulement 8% reconnaissent que leurs denrées ne sont pas aussi bonnes que celles qui proviennent de l'étranger.

C'est la crise de 1998 qui a aidé les entreprises alimentaires russes à renforcer leurs positions sur le marché. Vu la tendance à remplacer les importations par les produits similaires de fabrication nationale, le secteur alimentaire a connu une croissance vertigineuse: certaines sociétés ont réussi à accroître leur production de plusieurs dizaines de pour cent par an. En outre, la modernisation des entreprises alimentaires s'est avérée relativement facile: non seulement il a fallu engager beaucoup moins d'investissements que dans les constructions mécaniques, par exemples, mais encore leur rentabilisation s'est opérée beaucoup plus vite. C'est pourquoi en l'espace de cinq ans, de 1998 à 2003 (à cette époque, les importateurs sont revenus sur notre marché), 35% des unités de production dans le secteur ont été modernisées.

Inutile de dire que dès leur apparition sur le marché russe, les sociétés étrangères ont décidé de ne pas se borner au rôle d'observateurs passifs. D'où la pression grandissante qu'elles exercent sur ce secteur. Au moment présent, elles ont réussi à conquérir tout le marché russe de la bière, ou peu s'en faut: sur les sept brasseries contrôlant 90% du marché de cette boisson six sont étrangères. Une situation similaire s'est également créée dans les confiseries où les six leaders ("Obiédinennyïé Konditery" (OK), "SladCo", "Nestlé", "Kraft Foods", "Mars", "Dirol Cadbury" assurent environ 67% des ventes. Seul "OK" est contrôlé par le capital russe.

Si certains producteurs russes ont tout de même réussi à conserver, voire à renforcer leurs positions, c'est uniquement grâce au regroupement de leurs actifs. Ainsi les leaders du marché laitier "Wimm-Bill-Dann" (WBD) et "Unimilk" ont racheté au total plus de 60 entreprises et établi leur contrôle sur 20% du marché. Tout ce que la société française "Danone" a pu leur opposer, c'est de construire une usine aux environs de Moscou, usine qui, pourtant, lui permet d'arriver en troisième position dans le secteur laitier.

Mais le regroupement et la consolidation ne prémunissent pas contre l'ingérence étrangère. Les ressources financières des multinationales leur permettent d'enlever les bastions les plus redoutables. A preuve le marché des jus. En 2005, quatre acteurs y faisaient la pluie et le beau temps: "Lebediansky", "Nidan-Foods", "Multon" et "VBD" qui contrôlaient ensemble plus de 80% du marché. Or, souhaitant élargir sa présence en Russie, "Coca-Cola" a d'abord racheté "Multon" et, deux ans après, "Aqua Vision". Et si les anciens propriétaires du label "Botaniq" n'ont sûrement pas de fonds pour pouvoir rivaliser d'égal à égal avec les leaders, "Coca-Cola" ignore les soucis financiers: d'ici deux ou trois ans, les Américains pourront contrôler de 30% à 50% du marché russe des jus. Le principal rival de "Coca-Cola", la société "PepsiCo", n'a pas l'intention de céder sans se battre et envisage d'acquérir 49% des actions de la marque russe "Nidan Soki" que les patrons souhaitent mettre en bourse.

Mais les ressources financières ne suffisent pas à monter une affaire en Russie: les ressources administratives ne sont pas moins nécessaires. A titre d'exemple, citons le cas du premier producteur mondial d'huile végétale, la société américaine "Bunge" (promoteur des labels "Ideal" et "Oleina" en Russie). Arrivée sur le marché russe au début des années 2000, cette société n'a pu longtemps recevoir des autorités russes le terrain dont elle avait besoin pour construire une usine et a été obligée de faire venir ses huiles d'Ukraine. Aussi étrange que cela puisse paraître, c'étaient les concurrents russes des Américains qui les ont aidé à lancer une production sur place: en 2005, "Bunge" a racheté pour approximativement 50 millions de dollars (le prix du contrat n'a pas été annoncé) le bloc de contrôle de la société russe "Efko" (troisième acteur du marché russe de l'huile pour le volume des ventes) qui cherchait des fonds afin de lancer un nouveau produit. Moyennant encore 15 millions de dollars, "Efko" a vendu à son nouveau partenaire une de ses filiales mineures qui possédait un terrain dans la région de Voronej. Les fonctionnaires locaux, qui avaient refusé l'autorisation de bâtir à un autre producteur américain d'huile, "Cargill", se sont par contre montrés étonnamment compréhensifs dans le cas de "Bunge" qui n'a pas tardé à engager des travaux de construction.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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