L'heure de l'Europe ou à nouveau celle de son infamie ?

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Par Lev Dzougaïev, membre du Conseil d'experts de RIA-Novosti
Par Lev Dzougaïev, membre du Conseil d'experts de RIA-Novosti

Il n'est pas fortuit que le thème de l'Europe, de la nouvelle architecture de l'Union européenne, de son élargissement, de ses relations avec les Etats-Unis et la Russie, fasse partie aujourd'hui des sujets les plus d'actualité de la vie internationale. Ce thème est lié directement à des processus géopolitiques majeurs, dont le développement suscite une préoccupation tout à fait fondée. Il ne s'agit naturellement pas ici du problème de la "viande polonaise", ni de la politique protectionniste américaine ou du refus de la Russie de ratifier une charte énergétique contenant des conditions inacceptables pour elle.

Ce qui suscite une inquiétude particulière, c'est l'insistance avec laquelle certaines forces tentent de nouveau d'ouvrir la boîte de Pandore. Et sans douter, pratiquement, qu'elles parviendront à éliminer des conséquences qui en découleront, lourdes de biens des maux.

L'Europe a connu quelque chose de semblable il n'y a pas si longtemps : Munich-38, qui a rendu possible, ensuite, le Pacte Ribbentrop-Molotov. Dans cet ordre logique, et pas autrement. A l'époque, en 1938, les Etats européens n'étaient pas parvenus à élaborer autre chose qu'une politique d'"apaisement" d'Hitler, dans leur poursuite intéressée d'un objectif des plus concrets - détourner d'eux les visées agressives de l'Allemagne fasciste -, et on n'aime pas trop rappeler publiquement aujourd'hui que cela s'est fait au prix du démembrement de la Tchécoslovaquie souveraine.

Dès 1939, soit deux décennies à peine après la Première Guerre mondiale, la vieille Europe a accouché d'une Seconde Guerre mondiale. On ne sait trop pourquoi, l'historiographie militaire occidentale a l'habitude d'en rendre responsable l'URSS qui, en tentant elle aussi de détourner d'elle la menace d'une guerre avec l'Allemagne, avait conclu avec cette dernière, moins d'un an après Munich, le pacte que l'on sait, dont l'une des conséquences fut le démembrement de la Pologne (laquelle avait été aux premiers rangs pour participer au partage de la Tchécoslovaquie).

L'une des leçons qui, malheureusement, n'ont pas toutes été tirées de ces pages amères de l'histoire, est que, lorsque l'on ignore les liens de cause à effet, on provoque de fait de nouveaux foyers de tensions entre les pays et les peuples.

Qui est sorti unilatéralement du Traité ABM ? Qui, à ce jour, n'a pas ratifié le Traité sur les Forces conventionnelles en Europe ? Qui, en dépit des promesses, réitérées à maintes reprises, de ne pas faire progresser l'OTAN vers l'Est, poursuit obstinément le mouvement dans cette direction ? Est-ce la Russie ? Non. Alors, quel est le problème ? Le problème est classique : il faut bien un coupable. C'est pourquoi la Russie, qui revient sur la scène internationale, difficilement , au prix d'une énorme tension de ses forces, en faisant prévaloir sa propre opinion, avant tout, sur son propre avenir, est loin de plaire à tout le monde.

En voici un exemple. Le Wall Street Journal du 11 juin 2007 écrivait, dans son éditorial : "La position de principe de Bush, qui défend le droit d'un petit peuple européen à l'autodétermination et à la liberté, montre à l'Europe une Amérique sous son meilleur visage� Washington s'oppose ainsi au leader autoritaire du Kremlin et à ses projets néo-impériaux�". Mais quand Poutine défend les droits et les libertés des peuples abkhaze et ossète, la position de Moscou est présentée comme destructrice et néo-impériale.

Autre exemple. Le Financial Times britannique du 25 mai 2007 écrivait, dans un article intitulé "L'Europe ne doit pas céder à la Russie sur la question kosovare" : "�L'indépendance est une exigence des Albanais qui ne discute pas". Mais, dans ce cas, pourquoi l'exigence d'indépendance de l'Abkhazie ou de l'Ossétie du Sud serait-elle discutable, alors même qu'elle est "plus vieille" de 7 ans au moins que l'exigence kosovare, toutes choses égales par ailleurs ?

Encore un autre exemple. Ce commentaire de la rédaction du Globe and Mail canadien du 13 juin 2007 sur le problème du Kosovo : "Peu importe la passion avec laquelle les Serbes rêveront que tout se passe inversement. Le Kosovo n'est plus une partie de leur pays. Les troupes serbes en sont parties il y a huit ans, chassées à la suite des bombardements de l'OTAN. Depuis, ce territoire est dirigé par l'ONU, et sa sécurité assurée par les forces de paix sous la direction de l'OTAN. Les Albanais kosovars sont pratiquement unanimes dans leur aspiration à ne plus jamais se trouver sous la botte de Belgrade. Il n'est pas important non plus que la Serbie ait entrepris de procéder à des réformes démocratiques ou qu'elle puisse consentir à octroyer à ce territoire une autonomie substantielle en matière d'autogestion locale".

Essayons maintenant de remplacer quelques mots de ce texte par d'autres : notamment Serbie par Géorgie, Kosovo et Albanais par Abkhazie (ou Ossétie du Sud) et Abkhazes (ou Ossètes), et OTAN par Russie. Nous obtenons alors : "Peu importe la passion avec laquelle les Géorgiens rêveront que tout se passe inversement. L'Abkhazie (ou l'Ossétie du Sud) n'est plus une partie de leur pays. Les troupes géorgiennes en sont parties il y a près de 15 ans, chassées à la suite de la lutte armée des Abkhazes et des volontaires nord-caucasiens solidaires d'eux. Depuis, la sécurité sur place est assurée par les forces de paix sous l'égide de la Russie, avec la participation d'observateurs de l'ONU et de l'OSCE. Les Abkhazes (ou les Ossètes) sont pratiquement unanimes dans leur aspiration à ne plus jamais se trouver sous la botte de Tbilissi. Il n'est pas important non plus que la Géorgie ait entrepris de procéder à des réformes démocratiques ou qu'elle puisse consentir à octroyer à l'Abkhazie (ou à l'Ossétie du Sud) une autonomie substantielle en matière d'autogestion locale".

Vous voyez une différence ? Il n'y en a pas. En quoi réside donc le caractère unique du Kosovo ? En ceci que ce territoire est situé dans les Balkans? Alors que l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud se trouvent dans le Caucase ? Mais quelle importance cela peut-il avoir au regard du droit international ? Aucune. Néanmoins, "il ne faut pas établir de parallèle entre le territoire du Kosovo dirigé par l'ONU et des régions agitées telles que l'Ossétie du Sud géorgienne", estiment nos partenaires occidentaux (toujours dans ce même commentaire de The Globe and Mail).

Or, ces parallèles sont plus que justifiés. Qui plus est, il convient de rappeler, par exemple, que l'opération de maintien de la paix conduite depuis quinze ans sous l'égide de la Russie en Ossétie du Sud, a non seulement arrêté la guerre entre les Géorgiens et les Ossètes, mais empêché des purges ethniques dans la zone du conflit. L'enclave géorgienne sur le territoire de l'Ossétie du Sud a continué de connaître, globalement, la paix. Les opérations menées par les troupes de maintien de la paix russes avaient permis de restaurer peu à peu la confiance entre les parties au conflit. Mais avec l'arrivée au pouvoir en Géorgie de M. Saakachvili, qui a agi selon les recommandations des "amis de la Géorgie", la situation a de nouveau explosé en 2004. Quant au Kosovo, territoire dirigé par l'ONU, il a connu de fait une purge ethnique, en présence des forces de paix commandées par l'OTAN, mais ce sont les Serbes qui en ont été victimes. Plusieurs centaines de milliers de Serbes ont fui leurs maisons. Des dizaines de monuments de la culture serbe ont été détruits. C'est la raison pour laquelle il n'est pas étonnant que les experts occidentaux qui évaluent objectivement la situation s'interrogent : qu'est-ce qui attend les Serbes qui sont restés, la mort ou la fuite ?

Lors du sommet de Heiligendamm, les membres du G8 s'étaient apparemment entendus afin de donner un peu de répit aux Serbes et aux Kosovars pour poursuivre les négociations. Mais quelques jours à peine s'étaient écoulés que le Président américain George Bush déclarait à Tirana qu'il faudra dire tôt ou tard : "C'est assez. Le territoire du Kosovo est indépendant".

Des médias occidentaux influents lui ont fait écho : "Ainsi, les gouvernements européens doivent enterrer toutes leurs craintes et, comme l'on dit, marcher coude à coude avec les Etats-Unis. Les Allemands doivent moins parler du risque de confrontation avec la Russie, et davantage de la manière dont on peut mettre fin au cycle permanent de la violence, qui a débuté avec la reconnaissance par Berlin de l'indépendance de la Croatie (Aveu intéressant, n'est-ce pas ? Mieux vaut tard que jamais. Car on avait essayé de nous faire croire que c'étaient les Serbes qui avaient déclenché les violences. On en revient, une nouvelle fois, aux causes et aux conséquences - L.D.). Les Espagnols, les Grecs et les autres doivent oublier tous les précédents. Les gouvernements européens doivent dire à Moscou que, quel que soit son attitude à l'ONU, ils ont l'intention de mener jusqu'au bout le processus d'acquisition par le Kosovo de son statut d'Etat".

Ajoutons à cela que les Etats-Unis, à l'évidence, entendent refuser la proposition russe d'utiliser en commun le radar de Gabala, en Azerbaïdjan. Ce qui signifie que des composantes du bouclier antimissile américain et des armes antimissiles seront déployées à proximité immédiate de la frontière russe.

Il semble bien que acta est fabula (la pièce est jouée - NdT). On ne le souhaite pourtant pas.

On se rappelle qu'en rentrant à Londres de Munich, en 1938, le Premier ministre Chamberlain avait déclaré : "Je vous apporte la paix !". On sait ce qu'il en a été.

Laissant exploser ses sentiments, le ministre des Affaires étrangères d'un pays européen avait déclaré, en 1991, alors que commençait la désintégration de la Yougoslavie (aujourd'hui, nous le voyons, même des Occidentaux reconnaissent que les violences qui ont suivi ont été provoquées, en grande partie, par la reconnaissance de l'indépendance de plusieurs républiques yougoslaves), que cela entrerait dans l'histoire comme "l'Heure de l'Europe". Qu'est-ce qui s'en est suivi ? Les massacres ont commencé dans les Balkans.

L'Heure de l'Europe que d'aucuns attendent sera-t-elle une nouvelle fois celle de son infamie ?

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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