l'Union européenne entre la joie et la déception

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti
Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Les mésaventures de la Constitution européenne sont terminées. Elle est désormais morte. Son agonie a commencé en 2005 quand, lors de référendums, les Français et les Néerlandais l'ont rejetée, et elle vient de finir à Bruxelles où, à l'issue de négociations extrêmement difficiles et compliquées entre les leaders de l'Union européenne (UE), il est devenu évident qu'on ne pouvait sauver la Constitution sous sa forme initiale et qu'il ne restait plus qu'à adopter sa variante simplifiée, raccourcie et vidée en bonne partie de son contenu, qu'on appelle humblement "traité constitutionnel". Si tout ce passe comme prévu, ce nain constitutionnel entrera en vigueur en 2009.

Quoi qu'il en soit, le mot "nain" n'est pas insultant dans ce cas, mais la simple constatation d'un fait. On a dû, par exemple, se plier à l'insistance de Londres et retirer pratiquement la Charte des droits fondamentaux de la Loi fondamentale de l'Union européenne. On l'a gardée finalement mais sous forme de simple référence sans aucune force juridique. Par conséquent, son poids politique est inexistant aujourd'hui.

La lenteur et le manque d'efficacité dans la prise de décisions ont toujours constitué l'un des problèmes majeurs de l'UE, car à notre époque vertigineuse, c'est un frein considérable. Mais même là, on ne peut noter que le compromis éphémère enregistré avec la Pologne, car c'est justement la Pologne qui s'est dressée sur la voie de l'Allemagne et de la France, en marchandant jusqu'à la dernière seconde les meilleures conditions possibles pour elle-même lors du calcul des voix au scrutin. Au bout du compte, la formule de la "double" majorité qualifiée a été retenue. Selon cette formule, une décision sera adoptée si elle obtient le soutien de 55% des Etats membres de l'Union européenne, représentant, en outre, 65% de la population de l'UE.

Qui plus est, l'inefficacité de cette formule déjà trop lourde est encore aggravée par cette circonstance que, conformément au traité constitutionnel, les pays qui ne réussiront pas à former une minorité capable de bloquer la prise de décisions, pourront la repousser à plus tard et proposer la poursuite des négociations sur la même question. Autrement dit, la situation est à peu près la même qu'avec la Charte des droits fondamentaux. Un compromis a été obtenu, mais à quel prix? Par ailleurs, ce système de compromis ne sera appliqué lors du scrutin qu'à partir de 2014. En outre, une période de transition est prévue jusqu'à 2017. Bref, l'Union européenne est vouée au freinage perpétuel dans son développement. On ne peut effectivement guère avancer vite quand on a les pieds entravés.

Dieu merci, l'Union européenne a réussi à parvenir à une entente au sujet des postes de président et de "Haut représentant de l'UE pour la politique étrangère et de sécurité commune". Or, une question légitime se pose tout de suite d'elle-même: quelle sera l'efficacité du travail du président et du représentant "pour la politique étrangère commune (unique)" vu l'absence d'unité au sein de l'Union européenne. Le Traité constitutionnel ne prévoit ni drapeau, ni hymne - ces symboles traditionnels de l'unité. Seul l'espoir reste. Comme l'a déclaré la chancelière allemande Angela Merkel: "Je pense qu'on aura encore besoin d'un drapeau, alors que l'hymne se fera finalement entendre".

En tant que présidente en exercice de l'UE, Mme Merkel, toute souriante, a fait tout son possible pour sortir l'Europe du labyrinthe constitutionnel. On a cependant l'impression que l'Union européenne n'est sortie d'une impasse que pour se retrouver dans une autre. Les médias européens abondent en commentaires plus contradictoires les uns que les autres, ce qui ne plaide pas non plus en faveur de l'unité. Pour les uns, les résultats du sommet bruxellois sont réjouissants, alors que les autres sont profondément déçus. L'un des anciens leaders de l'Union européenne et actuel premier ministre italien, Romano Prodi, ne cache pas son amertume. Il n'y a toujours pas, en effet, d'unité tant désirée entre les anciens et les nouveaux membres de l'Union européenne. Pire, une telle unité n'est même pas prévisible. Plusieurs novices, dont la Pologne dirigée par les frères Kaczynski, ne se guident pas sur les intérêts de l'Europe, mais sur ceux de Washington.

Le comportement de la Pologne à Bruxelles a été cette fois tout aussi irrationnel qu'éthiquement ambigu: les souvenirs plutôt inconvenants de la Seconde Guerre mondiale ne sont sans doute pas de mise dans l'Europe nouvelle, une sortie polonaise à l'endroit de l'Allemagne étant plus qu'évidente. Or, ce n'est plus la première pierre jetée par les officiels polonais du côté de Berlin. Il suffit de rappeler à cette occasion la réaction de la Pologne au projet de gazoduc nord-européen (GNE). Varsovie essaie toujours sans succès de convaincre l'Allemagne et la Russie de l'existence d'un complot anti-polonais. Par ailleurs, les observateurs ont constaté avec stupeur que la Pologne était le seul pays dont le représentant plénipotentiaire était incapable de prendre une décision seul, le président Lech Kaczynski concertant au téléphone pratiquement chaque virgule avec son frère aîné (de 45 minutes) - le premier ministre Jaroslaw Kaczynski, ce qui transformait les négociations déjà extrêmement compliquées en épreuve longue et douloureuse pour tout le monde.

Il est évident que tous les problèmes évoqués sont le résultat de l'élargissement hâtif de l'Union européenne qui s'est avérée incapable de digérer rapidement ce qu'elle avait englouti. Somme toute, la quantité a triomphé de la qualité. Les rêves des anciens de l'UE de former un centre puissant et uni dans ses aspirations politiques et économiques qui puisse constituer un contrepoids raisonnable, tant aux Etats-Unis qu'aux "tigres asiatiques", ne se justifient toujours pas.

Pire, tout indique qu'aucun enseignement n'a été tiré de cette principale erreur. Mme Merkel a, par exemple, déclaré que ce nouveau traité ouvrait la voie d'un nouvel élargissement de l'Union européenne. La Croatie est la première sur la liste d'attente, ce sera le 28e Etat membre de l'UE.

Et le jour n'est sans doute pas loin quand, à la plus grande joie de la Vieille Europe, la Turquie franchira les portes grandes ouvertes de l'Union européenne. Quelle vie joyeuse est réservée aux Européens à l'avenir!

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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