La part de la "classe moyenne" dans la population de la Russie contemporaine oscille entre 15% et 70% selon diverses études. Une telle différence d'évaluations est due au fait que les chercheurs n'ont pas de conception unique de ce qu'est la "classe moyenne" et qu'ils parlent de différentes catégories de personnes.
Quoi qu'il en soit, la classe moyenne est une réalité en Russie. Bien que pas aussi nombreuse que dans les pays industrialisés, elle ne manque pas toutefois à sa fonction essentielle de stabilisateur socio-économique de la société russe.
Tout le monde s'accorde à reconnaître que la classe moyenne est à la base de la stabilité de n'importe quelle société. Plus cette classe est nombreuse, mieux le pays est protégé contre les éventuels troubles politiques et sociaux. Cependant, la Russie n'a toujours pas élaboré de critères stricts selon lesquels on pourrait classer les gens dans cette catégorie (c'est-à-dire, affirmer que les personnes en question ne sont ni riches ni pauvres). Partant, les évaluations de l'importance de ce groupe social diffèrent beaucoup. Les Russes eux-mêmes ont souvent du mal à comprendre s'ils appartiennent ou pas à cette catégorie.
Traditionnellement, deux groupes de facteurs sont pris en compte dans l'identification socio-économique d'une personne. Les facteurs objectifs sont ses revenus, la liste des marchandises et des services qu'elle peut se permettre et son éducation; parmi les facteurs subjectifs, c'est l'auto-évaluation qui joue le rôle principal.
Quant aux facteurs objectifs, tout est assez simple. Selon le ministère russe du Développement économique et du Commerce, la part des Russes dont les revenus et le niveau de consommation permettent de les classer conventionnellement dans la catégorie "moyenne" s'élève à quelque 20% (environ 5% sont riches, 55%, peu fortunés et 20% sont pauvres, selon les estimations du ministère). Aujourd'hui, les experts du ministère considèrent que la classe moyenne regroupe des personnes ayant reçu une formation supérieure ou suivi des études supérieures non validées et dont les revenus sont six fois plus importants que le minimum vital (et se chiffrent donc à plus de 26.484 roubles, soit 1.025 dollars, par mois). Ces personnes doivent également avoir des comptes en banque plutôt bien garnis et une deuxième résidence, ainsi que la possibilité de passer régulièrement leurs vacances à l'étranger.
Le ministère suppose que la part des Russes aisés susceptibles d'être classés dans cette catégorie devrait monter jusqu'à 30-35% d'ici à 2010. La part des Russes peu fortunés qui pourraient être considérés comme pauvres devrait diminuer de 20 à 11% durant la même période. L'optimisme des fonctionnaires se fonde sur la croissance continue des revenus de la population, qui devraient encore augmenter de 27% par rapport au niveau actuel d'ici à 2010.
Les critères financiers de la "classe moyenne" élaborés par le Centre russe pour le niveau de vie sont un peu plus modestes. Selon les experts du centre, les Russes aisés sont ceux qui gagnent plus de 20.500 roubles (790 dollars) par mois, et les revenus "moyens" se chiffrent entre 6.900 et 20.500 roubles (270 et 790 dollars respectivement) par membre de famille. Si l'on adopte ces critères, 40,5% de la population du pays pourra être considérée comme appartenant à la classe moyenne.
D'autres études à ce sujet accusent la même tendance: moins les critères financiers choisis par les chercheurs sont stricts, plus la couche "moyenne" de la population est large.
Toutes ces évaluations peuvent être contestées, surtout dans les détails. En fin de compte, dans la capitale et dans les grandes villes, les salaires sont plus importants qu'en province mais les prix y sont également beaucoup plus élevés. Par exemple, le minimum vital approuvé à Moscou dépasse de 16% celui du minimum vital moyen en Russie. De plus, les salaires moyens et, par conséquent, les normes de la consommation personnelle y sont 2,4 fois plus élevés qu'en Russie en général. Moscou entre dans le Top-10 des villes les plus chères du monde.
Mais tout ceci ne change pas le tableau général. La Russie compte assez de personnes touchant des salaires non négligeables, même si on les compare aux salaires européens. Ces personnes consacrent moins d'un quart de leurs revenus au loyer et à l'alimentation et sont à même de se permettre des achats onéreux (immobilier, automobiles, vêtements de luxe et voyages à l'étranger). Il est fort possible que la même série de marchandises et services ait des prix différents dans les diverses régions du pays, mais tous les chercheurs s'accordent à placer les mêmes catégories de Russes dans la "classe moyenne". Il s'agit des chefs des petites et moyennes entreprises, des cadres moyens et supérieurs des groupes nationaux ou privés ainsi que des fonctionnaires de haut rang.
Les choses ne sont pas aussi simples pour ce qui est de l'auto-évaluation des Russes. Dans les pays d'Europe de l'Ouest, 40% à 50% de la population se considère comme ayant des revenus moyens, contre quelque 70% aux Etats-Unis, alors qu'en Russie, 22% des gens, tout au plus, se jugent assez aisés pour être considérés comme faisant partie de la "classe moyenne".
Il est évident que c'est la classe moyenne qui constitue avant tout la base de la croissance économique du pays, puisque c'est le boom de la consommation qui fait croître aujourd'hui le PIB russe à des rythmes vertigineux. Ces personnes ne font pas que vider les rayons des centres commerciaux, acheter à crédit des automobiles et des biens immobiliers et dépenser de l'argent pour des vacances à l'étranger. Elles forment aussi les bases de la stabilité dans la société, créent des germes de ce conservatisme sain qui préserve le pays de vacillements politiques trop émotionnels de droite à gauche. C'est seulement l'auto-évaluation des "moyens" russes qui boite encore...
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