Les Russes sur la Croisette

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Par Anatoli Korolev, RIA Novosti
Par Anatoli Korolev, RIA Novosti

La presse et le public russes ont accordé une attention particulière à cette édition du festival de Cannes. Et comment! Voilà que deux films russes figuraient à l'affiche du plus grand festival de cinéma en Europe et dans le monde! Alexandra, d'Alexandre Sokourov et Le bannissement, d'Andreï Zviaguintsev.

Mais ces espoirs ne se sont qu'en partie concrétisés.

Les Russes n'ont pas remporté la Palme d'or, mais l'acteur Konstantin Lavronenko, qui a tourné dans le film d'Andreï Zviaguintsev, a reçu le prix d'interprétation masculine.

Konstantin Lavronenko a été révélé il y a trois ans lorsque, déjà sous la baguette de Zviaguintsev, il avait interprété le rôle du père dans Le retour, le film événement de la Mostra de Venise. Et le revoilà dans un rôle psychologique complexe, dans un film sur la famille. Dans le film précédent, l'acteur interprétait avec brio le rôle d'un père autoritaire. Un père qui soudainement retourne dans le foyer qu'il avait délaissé et reprend sévèrement en main l'éducation de ses deux fils. Cette fois-ci, la situation est inversée. Une femme dit à son mari qu'elle attend un enfant qui n'est pas de lui. Dévoré de jalousie, il lui demande d'avorter. Le prix de l'amour serait donc la mort.

Une histoire digne d'un Fedor Dostoïevski.

L'acteur récompensé à Cannes parle avec éloquence de la victoire de l'école psychologique russe, où le sentiment dominant se lit toujours en filigrane, où l'on joue à peine, effleurant les nuances et les intonations cachées. Ce serait là le contraire du jeu américain fait de muscles, de cris et d'hystéries.

L'histoire des acteurs et des réalisateurs russes au festival de Cannes a pris une tournure bien tragique. Une seule Palme d'or en 60 ans. C'était en 1956, pour le film Quand passent les cigognes, de Mikhaïl Kalatozov.

L'histoire très simple de deux amoureux séparés par la guerre avait été filmée avec tellement d'expressivité et de virtuosité que le chef d'oeuvre de Kalatozov n'en a toujours pas perdu son actualité. Aucun film russe n'a depuis réitéré ce succès, bien qu'à plusieurs reprises, le cinéma russe ait remporté les prix de la meilleure mise en scène, du meilleur scénario, ou des prix d'interprétation, avec les films Solaris, Nostalghia et Le Sacrifice, d'Andreï Tarkovski, Sibériade, d'Andreï Konchalovsky, Soleil Trompeur, de Nikita Mikhalkov et Père et fils, d'Alexandre Sokourov.

Peut-être est-ce le Solaris de Tarkovski qui a été le plus proche de la plus haute récompense, une sombre anti-utopie sur les contacts entre un homme et une intelligence extraterrestre. Mais le rival jaloux de Tarkovski, le réalisateur Sergueï Bondartchouk, membre du jury en 1972, s'est opposé à la victoire de son compatriote et Tarkovski n'a reçu qu'un prix de consolation. C'est en tout cas ce que raconte la légende. Furieux, Andreï Tarkovski ne voulait pas grimper les marches du podium pour recevoir son prix, et l'on a eu bien du mal à lui faire respecter les convenances.

Les liens qui unissent Alexandre Sokourov au festival de Cannes ne sont pas moins dramatiques.

A 5 reprises, ses films ont été sélectionnés pour participer au festival, et le cinéaste n'a été récompensé qu'une seule fois. Cette année, pour raisons de santé, Sokourov ne s'est pas déplacé jusqu'à Cannes.

Cependant, ce sont des ovations et des bravos qui ont accompagné son Alexandra...

Le film de Sokourov parle d'une grand-mère partie rendre visite à son petit-fils en Tchétchénie. Le rôle principal est interprété par l'une des plus illustres femmes de Russie, la célèbre cantatrice, épouse et désormais veuve de Mstislav Rostropovitch, Galina Vichnevskaïa.

Alexandre Sokourov était probablement le seul à pouvoir recevoir l'accord de cette dame remarquable, belle, directrice de sa propre école de chant au premier étage de son luxueux hôtel dans le centre de Moscou, pour jouer un rôle aussi modeste. Un foulard sur la tête, portant des habits du peuple et des chaussures élimées, sans son maquillage habituel et ses bijoux, la cantatrice a joué avec force et puissance son rôle de femme du peuple. Elle est absolument convaincante dans ce rôle et dans ce film, que Sokourov a tourné parcimonieusement et passionnément, dans une veine typiquement minimaliste.

"Alexandra est l'une des oeuvres les plus importantes de ma vie, une étape décisive", a déclaré le metteur en scène. "C'est un moment où le besoin de faire un film avec des regards, des visages pleins de bonté, coïncide avec le désir brûlant de conserver pour l'histoire l'immense talent de cette actrice, tellement issue de ce peuple, tellement russe. Et peut-être est-ce l'un de ces films féériques pour moi, parce qu'en lui plus que dans les autres, je vois les non-dits mythologiques. J'attends beaucoup de ce film pour la libération de ma conscience."

En passant en revue les caractéristiques des 60 ans de relations entre Cannes et le cinéma russe, il faut bien admettre que la Croisette occupe une double position dans l'esthétique mondiale du cinéma. Cannes, c'est d'un côté un cinéma d'auteurs élitaire et profond et, de l'autre, un formidable outil de vulgarisation et de publicité.

Rassembler ces deux tendances sur une même pellicule est impossible.

Evoquant sa participation à Cannes, Alexandre Sokourov se plaît à rappeler que son cinéma s'adresse à des spectateurs isolés, et il s'étonne à chaque fois que la commission sélectionne ses films encore et encore pour participer à cette manifestation glamour et fastueuse.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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