Nouvelles guerres, nouvelles armes (2)

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

Nouvelles guerres, nouvelles armes (1)

En été 1957, l'URSS a réalisé le premier lancement réussi du missile balistique intercontinental R-7 conçu par Sergueï Korolev, puis, en automne de la même année, le premier satellite artificiel a été placé sur une orbite circumterrestre.

Pour les militaires, cependant, l'année 1957 fut surtout marquée par le lancement d'un programme fondamental de lutte antisatellite et le développement d'un autre de défense antimissile.

Pour des raisons purement objectives, le premier projet valable de bouclier antimissile est apparu en URSS avant le début des travaux sur la lutte antisatellite.

En 1955, le concepteur en chef du bureau d'études KB-30, Grigori Kissounko, a proposé un programme ambitieux de bouclier antimissile A. Son innovation se résumait à la triangulation, une méthode radicalement nouvelle de localisation de la cible balistique évoluant à grande vitesse et du missile intercepteur. L'interception réelle d'un missile cible R-5 a été testée avec succès en 1960. Cette expérience a été suivie d'une série d'essais dont la plupart, il est vrai, se sont soldés par un échec.

Mais les difficultés techniques n'étaient pas les seules à entraver la conception du bouclier antimissile national. Rappelons que le bouclier antimissile A était néanmoins prêt à être déployé vers 1966. D'ailleurs, la défense antimissile est un autre sujet qui mériterait d'être traité dans un article à part. Mais les missiles intercepteurs faisaient désormais face à la concurrence impitoyable du programme antisatellite.

En 1959, le concepteur général du bureau d'études OKB-52, Vladimir Tchelomeï, a proposé un programme de lutte contre les satellites artificiels ennemis, et il a fait de son mieux pour que ce nouveau domaine éclipse la recherche menée dans la défense antimissile. Il faut dire que M. Tchelomeï a tiré profit d'un événement que l'on pourrait considérer sans exagération comme un véritable triomphe militaire de l'URSS.

Le 1er mai 1960, le nouveau système d'armes sol-air S-75 a abattu aux approches de l'Oural un avion de reconnaissance américain Lockheed U-2 qui, jusque-là, avait volé en toute impunité à des altitudes inaccessibles pour les intercepteurs MiG soviétiques. Les images du pilote Francis Powers, sain et sauf mais capturé, devant les débris de son avion ont fait le tour du monde entier.

Les dirigeants de l'URSS avaient raison de supposer que les services de renseignements américains allaient opter pour l'utilisation massive de satellites espions. Vladimir Tchelomeï, en profitant de ses relations au sein de l'administration soviétique, a obtenu la direction absolue de la lutte antisatellite. Qui plus est, en vertu d'une instruction spéciale, Grigori Kissounko a été placé sous les ordres de Vladimir Tchelomeï, ce qui a ralenti le développement des projets de défense antimissile.

"Au bureau d'études KB-1 (en charge des projets de Vladimir Tchelomeï - NDLR), le chaos administratif était tel qu'on ne comprenait pas qui dépendait de qui. Tout a été fait pour m'isoler de l'OKB-30 et paralyser ainsi mes activités de concepteur général du bouclier antimissile", se souvenait Grigori Kissounko. D'ailleurs, Nikita Khrouchtchev, dont le comportement spontané et irréfléchi a plus d'une fois placé le monde au bord d'une guerre et son propre pays au bord d'une crise économique, a triomphalement déclaré en juin 1960 que tout satellite de renseignement apparaissant au-dessus du territoire soviétique serait abattu.

Mais si, en février 1962, le malheureux Powers a été échangé sur le pont de Glienicke, à Berlin, contre l'agent soviétique William Fischer (Rudolf Abel), l'URSS ne marchanderait pas dans les questions relatives aux armements stratégiques. Quoique le programme "Chasseur de satellites" de Vladimir Tchelomeï fût totalement indépendant du bouclier antimissile (il ne profitait pas de ses acquis, notamment en termes de couverture radar), il a été décidé, au prix d'énormes coûts matériels, d'accélérer le développement des deux domaines, mais aussi de concevoir une arme radicalement nouvelle: une station spatiale militaire dotée de lasers antisatellite.

En août 1983, le dirigeant soviétique Iouri Andropov a fait une déclaration sensationnelle en annonçant la fin de tous les travaux de développement d'une arme spatiale en URSS. Toutefois, dans le secret absolu, le bureau d'études Saliout a poursuivi la conception de la station spatiale militaire sous le nom de code "Scythe".

Dans son livre "Les forces spatiales de l'URSS", Igor Drogovoz raconte un fragment de l'histoire officielle du principal constructeur spatial soviétique Energuia: "Pour neutraliser les ouvrages militaires, deux appareils spatiaux de combat ont été développés sur une même base conceptuelle, dotés de différents types d'armement, à savoir les lasers et les missiles. Le premier appareil devait viser les ouvrages à basse orbite, et le second les ouvrages évoluant à des orbites moyennes et géostationnaires".

La station devait être testée à l'occasion du premier lancement de la nouvelle fusée porteuse hyperpuissante Energuia en mai 1987. On a décidé de lancer la station en bloc, mais sans l'équiper d'armements coûteux.

Ainsi, dans la traditionnelle hâte soviétique, une station de 37 mètres de long et pesant 80 tonnes, que les médias appelaient "Polious", a été montée sur la fusée Energuia, et le lancement a eu lieu le 15 mai. Mais le système de gestion, qui a connu des défaillances au stade de la mise en orbite, n'a pas allumé à temps le propulseur de la station, qui a fini par sombrer dans le Pacifique. Mikhaïl Gorbatchev, le père de la "perestroïka", a pris la décision d'abandonner les travaux de conception du "Scythe".

Mais l'idée d'une station orbitale militaire, historiquement proche du bouclier antisatellite national, n'a pas été oubliée. Elle attend son heure.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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