G8: les parties se préparent à un sommet "accommodant"

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Par Alexandre Karavaïev, Centre d'information et d'analyse auprès de l'Université Lomonossov de Moscou (MGOu)
Par Alexandre Karavaïev, Centre d'information et d'analyse auprès de l'Université Lomonossov de Moscou (MGOu)

On peut d'ores et déjà pressentir plus ou moins nettement l'atmosphère du futur sommet du G8 en Allemagne. En effet, la récente visite à Moscou de la secrétaire d'Etat américaine Condoleezza Rice a clairement laissé à penser que Washington éviterait d'irriter Moscou par des problèmes compliqués, alors que les consultations entre Vladimir Poutine et les dirigeants de l'Union européenne à Samara n'ont pas révélé, elles non plus, de nouveaux problèmes capitaux ni d'ailleurs de concessions réciproques des parties. Somme toute, on a bien l'impression que les parties se sont faites à la crise actuelle et apprécient même une certaine pause.

Bien des questions figurant à l'ordre du jour de la visite à Moscou de Condoleezza Rice coïncident avec celles du sommet Russie-UE à Samara. Néanmoins, le dialogue russo-américain est sans doute beaucoup plus global. On pourrait dire qu'il couvre l'agenda strictement européen. Les questions relatives au futur statut du Kosovo et les problèmes de la sécurité stratégique sont d'une importance exceptionnelle pour l'Europe dans son ensemble, mais les clés s'en retrouvent entre les mains de Moscou et de Washington. Le volet européen a ses particularités bien à lui. On trouve, par exemple, dans le programme "court" des consultations de Samara les problèmes de la "viande polonaise" (et plus précisément de la viande de pays tiers importée en Russie via la Pologne) et de l'aggravation des relations entre la Russie et l'Estonie (l'incident avec des monuments de la Seconde Guerre mondiale et le blocus de producteurs et de transporteurs estoniens en Russie, en tant que réaction de la société), ainsi que les griefs du gouvernement lituanien à propos des restrictions des livraisons de pétrole russe à la raffinerie de Mazeikiai. A première vue, toutes ces questions ne relèvent que de l'économie, mais nul n'ignore qu'elles sont politisées à l'extrême. Autrement dit, les pays évoqués se sont fait un devoir de torpiller le sommet et les négociations. Qui plus est, on ne doit pas non plus oublier l'ensemble des questions relevant de la soi-disant "longue concertation", qu'il s'agisse de la stratégie énergétique, de l'accès des producteurs de matières premières des pays tiers à des noeuds de transport russes, des tarifs du transit aérien ou, enfin, des concertations générales sur les "quatre espaces" qui doivent aboutir tôt ou tard à un nouvel accord de partenariat et de coopération, l'ancien accord-cadre expirant à la fin de l'année en cours.

Une opposition paradoxale saute aux yeux. D'une part, l'ambiance aussi compliquée du "refroidissement" général entre la Russie et l'Occident est plutôt peu typique des rencontres du genre depuis une dizaine d'années. De l'autre, tout porte à croire que les leaders ont décidé de ne pas trop s'y attacher. Bref, le conflit a été constaté, ce qui constitue en quelque sorte un point de compréhension et d'équilibre réciproque qui permet de prendre une certaine pause sans aggraver pour autant la situation. Mme Rice a même demandé au Kremlin d'atténuer quelque peu la rhétorique antiaméricaine, recevant à cela une réponse encourageante de Moscou. Mais qui pourrait garantir que, dans le mois qui vient, un article très critique ne viendra pas frapper les relations russo-américaines depuis les milieux anti-Bush au Congrès ou que les brain-trusts des républicains eux-mêmes ne "s'attaqueront" pas à la Russie de Poutine?

Si l'on analyse la politique extérieure américaine à la lumière des mérites personnels de ses dirigeants, le bilan en est réparti, de toute évidence, comme suit: le président des Etats-Unis, George W. Bush, répond des catastrophes et des guerres. Pour le reste, pour tout ce qui pourrait être qualifié de résultat positif, George W. Bush le partage avec Condoleezza Rice. Il n'en reste cependant pas moins vrai qu'en matière de relations russo-américaines, il y a un acquis qui relève exclusivement du président Bush. Il s'agit, en l'occurrence, de sa sympathie personnelle à l'égard de Vladimir Poutine qui étouffe bien des conflits en gestation. Pour ce qui est de Mme Rice, elle devra sous peu faire un choix: soit elle devient un politique indépendant avec de bonnes chances de devenir présidente après 2012, soit elle reste fidèle jusqu'au bout à George W. Bush et à sa famille. Dans une telle éventualité, elle quitte la scène politique avec l'administration en place et assume une partie de la responsabilité pour tout ce qui a été négatif sous la présidence actuelle. Mais si Condoleezza Rice s'oriente vers l'avenir, elle doit se retirer dans six mois à un an. Aussi doit-on considérer Mme Rice comme un politique pouvant en perspective exercer un impact cardinal sur l'avenir des relations russo-américaines.

On voit déjà bien le rapport de forces au futur sommet du G8. George W. Bush reste aujourd'hui pratiquement le seul plus ou moins ami de Vladimir Poutine parmi les collègues du président russe en Occident. Il y avait au début une compréhension mutuelle entre Tony Blair et Vladimir Poutine, mais on constate à présent une totale divergence entre la politique extérieure russe et celle de la Grande-Bretagne.

Angela Merkel n'a pas justifié, elle non plus, l'espoir d'une réédition de la belle compréhension mutuelle d'avec Gerhard Schröder. On ne comprend pas tout à fait l'attitude de Nicolas Sarkozy, mais il est d'ores et déjà évident qu'il n'y aura plus de divergences aussi flagrantes entre Paris et Washington qu'au moment de l'invasion américaine de l'Irak. Or, le vecteur européen de la politique américaine n'est pas, lui non plus, très réjouissant pour Washington, bien des problèmes dans les relations entre les Etats-Unis et l'Union européenne restant entiers. Dans ce contexte, seuls restent prévisibles les deux "amis jurés" que sont Washington et Moscou, avec leurs divergences traditionnelles. Aucune surprise de ce côté là, on y constate toujours la stabilité d'un face-à-face stratégique qui arrange tout le monde, et la seule différence avec les années 1970, ce sont de nouvelles conditions de l'interdépendance globale.

Pour le Kremlin, George W. Bush est un bon président, et on dirait que la Russie a eu de la chance avec ce président américain. La vague de critiques antirusses a été jusque-là contenue par la Maison-Blanche, ce qui deviendra parfaitement évident en 2009, sous la nouvelle administration américaine.

Somme toute, on a tout lieu de parler à la veille du sommet du G8 en Allemagne d'une entente intervenue entre Moscou et Washington pour ne pas aggraver la situation avant le départ de l'administration Bush aux Etats-Unis et la série d'élections à venir en Russie. Aussi peut-on être certain que le futur sommet du G8 se déroulera sous le signe de la satisfaction réciproque entre la Russie et les Etats-Unis.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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