Adieu, Boris Nikolaïevitch, et pardonnez-nous...

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Par Andreï Vavra, RIA Novosti
Par Andreï Vavra, RIA Novosti

Quand on perd un proche, on le perçoit autrement que de son vivant.

Je n'étais pas du tout un proche de Boris Eltsine, même si je faisais partie de son équipe que j'ai rejointe la veille du 5 novembre 1996, jour où il a subi une opération à coeur ouvert. On devait préparer son discours radio à la nation avant l'opération, et on recherchait des mots humains qui correspondraient à cet instant dramatique.

Plus tard, je ne le voyais pas souvent non plus, contrairement aux autres "speechwriters" qui travaillaient avec lui depuis le début des années 1990. Je l'ai connu au plus fort de sa maladie, quand ses interventions publiques se faisaient rares. J'écrivais moins que je ne craignais pour son état de santé, d'où ce sentiment d'avoir perdu un proche.

Je l'ai vu aller au-delà de ses possibilités physiques. Je l'ai vu signer un document pendant son fameux déplacement en Ouzbékistan, quand il s'est senti mal et a trébuché, et que Tolia Kouznetsov, son garde du corps, est venu le soutenir. Ensuite, c'est le président Islam Karimov qui le tenait par le bras au moment où il traçait douloureusement sa signature, et toute l'assistance - journalistes, diplomates et gardes du corps - suivaient du regard sa lutte. Cela n'a pas duré longtemps, 20 ou 25 secondes tout au plus, mais on avait réellement peur: signera ou signera pas? Une signature qui ne comptait que sept lettres...

On m'a raconté d'autres exemples de l'exceptionnelle force d'esprit dont il a fait preuve pendant son second mandat.

Je me souviens, notamment, de son dernier ou avant-dernier déplacement international, à Istanbul. Tout le monde était là, et on n'attendait que Bill Clinton qui était en retard. Et quand ce dernier est arrivé, tout le monde a feint ne pas avoir remarqué son retard. L'air souriant - étiquette diplomatique oblige -, les dirigeants étrangers se sont mis à le saluer à tour de rôle. Seul Boris Nikolaïevitch, toujours d'une ponctualité exemplaire, est resté de marbre. Et l'on voyait tout l'inconfort de Bill Clinton quand son sourire mondain se transformait en une crispation douloureuse: sans même regarder le président russe, il ressentait physiquement toute la lourdeur de son regard, toute la puissance de son aura.

Malgré la gravité du moment, ce sont toujours des petites choses qui reviennent à l'esprit: sa façon de marcher dans les couloirs du Kremlin ou sa façon de dire bonjour, son sourire, sa poignée de main, ses blagues... Son image est restée à jamais gravée dans ma mémoire.

Ces jours-ci, on a dit de Boris Nikolaïevitch beaucoup de bonnes choses, et on en dira encore. Ces paroles, quoi que disent ses ennemis, il les a méritées. A l'époque gorbatchévienne comme pendant sa présidence, il a fait preuve d'un courage politique et humain sans égal.

Boris Eltsine, c'est le courage, mais c'est aussi la liberté. Par sa propre expérience, il nous a montré ce que signifiait être libre. La liberté, c'est ce qu'il appréciait plus que tout. Il a lutté pour une Russie libre, et il écrivait Liberté avec un L majuscule. Parce que tout le reste - le prestige d'un pays, la prospérité matérielle et le bonheur des citoyens - dérive de la liberté.

Il n'a pas rendu notre vie plus facile. Il nous a changés. Il nous a donné le droit de choisir, il nous a appris à comprendre, à ressentir et à apprécier la liberté. Saurons-nous assimiler sa leçon et la transmettre à nos enfants? Cela dépend de nous.

J'espère que nous en serons capables. Et ce sera le plus grand mérite du premier président russe devant l'histoire, devant les générations actuelle et futures.

... J'ai eu la chance de connaître un homme brillant, fort et intègre, de travailler avec lui, et j'en suis reconnaissant au destin.

Adieu, Boris Nikolaïevitch, et pardonnez-nous...

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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