Les chantiers navals russes à l'heure de la concentration

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Par Viktor Litovkine, RIA Novosti
Par Viktor Litovkine, RIA Novosti

A l'instar de la réhabilitation de l'industrie aéronautique russe commence une vaste modernisation des chantiers navals. Le président Vladimir Poutine vient de signer un décret créant un Consortium unifié de constructions navales (OSK) et un autre transformant les grands ateliers publics en sociétés anonymes. Trois "sous-holdings" régionaux seront mis en place d'ici quelques mois: le noyau Ouest regroupant les chantiers de Saint-Pétersbourg et de Kaliningrad; le noyau Nord réunissant les entreprises de Severodvinsk, dans la région d'Arkhangelsk, et le noyau Extrême-Orient rassemblant les actifs de Komsomolsk-sur-l'Amour, de Vladivostok et de Nakhodka. Les "sous-holdings" resteront à 100% dans la propriété fédérale pour se rassembler d'ici le 1er janvier 2009 au sein d'OSK avec à sa tête le général Alexandre Bouroutine, actuellement conseiller du président russe pour la politique militaro-industrielle.

Quelles missions seront confiées à OSK? Le décret susmentionné de Vladimir Poutine répond à cette question: "la conception, la fabrication, la livraison, l'entretien sous garantie et après vente, la modernisation, la réparation et le recyclage des équipements de constructions navales à vocation militaire et civile et des équipements de mise en valeur du plateau continental dans l'intérêt des clients publics et autres, y compris étrangers, de même que la mise en oeuvre de nouvelles technologies et conceptions dans le domaine des constructions navales".

Essayons toutefois de déchiffrer les raisons de la concentration en cours. Depuis quinze ans, la flotte russe - marchande, mais aussi et surtout militaire - a subi des pertes considérables. Le nombre de navires global est passé de 428 à 273, soit une baisse de 36%, et celui de bâtiments opérationnels a été divisé par 7,5 en passant de 210 à 28. Les bâtiments opérationnels sont même parfois encore moins nombreux. Les effectifs de la marine ont reculé de 60%, passant de 424.000 à 169.000 hommes. Les escadres de la Méditerranée, de l'océan Indien et du Pacifique ont été supprimées. L'aéronavale, privée de son réseau d'aérodromes à Cuba, au Proche-Orient et en Afrique, a dû renoncer aux vols océaniques. La marine russe a donc perdu son envergure internationale, sa marge de manoeuvre étant désormais limitée à la surveillance des approches maritimes. Si cette tendance se poursuit, la marine russe ne comptera pas en 2015, selon les experts, plus de 60 bâtiments (29 navires de surface, 22 sous-marins nucléaires et 9 sous-marins à propulsion Diesel).

Ces derniers temps, cependant, la marine de guerre russe est entrée dans une période de réhabilitation. Le programme national des armements d'ici 2015 place la composante navale à côté des forces stratégiques nucléaires parmi les priorités de l'Etat. Sur les 4.900 milliards de roubles (140 milliards d'euros) affectés au réarmement des forces armées, 25% serviront à renouveler le parc des navires, a notamment précisé le premier vice-premier ministre russe Sergueï Ivanov. Vers 2010, la Russie doit construire 1,5 fois plus de navires de guerre. Une quarantaine de frégates sont en cale, dont au moins dix pour la flotte du Nord et autant pour celle de la mer Baltique. On construit par ailleurs plusieurs sous-marins nucléaires stratégiques (SNLE), dont le "Iouri Dolgorouki", le "Alexandre Nevski" et le "Vladimir Monomaque", équipés de nouveaux missiles stratégiques Boulava-30 (SS-NX-30 selon la classification occidentale), ainsi que des sous-marins nucléaires polyvalents et à propulsion Diesel, sans oublier de nombreuses commandes venues d'Inde, de Chine ou d'Algérie. Mais...

Le carnet de commandes militaires, aussi volumineux qu'il soit, ne garantit pas cependant la survie du secteur. La théorie économique nous apprend que la construction de navires de guerre, comme les dépenses d'équipement militaire dans leur ensemble, n'est jamais rentable et ne signifie pour l'Etat qu'une source de dépenses. Un pays à économie de marché ne peut pas se le permettre et doit nécessairement lancer la fabrication de produits à usage civil demandés sur le marché pour alimenter le budget et créer une cagnotte afin de pouvoir acheter des équipements militaires (sans quoi il est impossible de renforcer la défense) et des produits à usage civil et commercial.

Le nouveau Consortium unifié de constructions navales et ses "sous-holdings" sont justement appelés à équilibrer les productions civile et militaire tout en les rendant rentables. Il persiste toutefois une série de difficultés. La Russie a une bonne expérience en matière de construction de bâtiments de guerre, aussi bien de navires de surface que de sous-marins, et ses chantiers navals sont à 80% militaires. En revanche, elle a du mal à rivaliser dans la construction de navires commerciaux avec des pays comme la Pologne, l'Espagne ou l'Italie, sans parler de la Corée du Sud ou du Japon, dont les produits sont très demandés sur le marché mondial. Pour être franc, la Russie n'est de toute évidence plus qu'un outsider dans ce segment du marché.

Or, à en croire les projets dévoilés dans les milieux proches d'OSK, les chantiers navals russes n'ont pas l'intention de rivaliser avec les majors étrangères du secteur et se chercheront un créneau là où leur production est demandée. Il s'agit notamment de brise-glaces, y compris nucléaires, de plates-formes ou de navires spéciaux destinés à la mise en valeur des ressources du plateau continental, domaine où la Russie a toutes les chances d'obtenir de juteux contrats, et le fait suivant en témoigne: le radar flottant le plus puissant au monde, celui que les Etats-Unis viennent de transférer des îles Hawaii aux Aléoutiennes, a été installé sur une plate-forme construite dans une usine russe.

Encore plus intéressant est le marché des méthaniers qui traverse aujourd'hui un véritable boom et représente le segment le plus dynamique et onéreux du marché international des constructions navales. Ce boom s'explique, entre autre, par la croissance attendue des transports maritimes de gaz russe. Le créneau des méthaniers offre ainsi une chance réelle de tirer les chantiers navals russes de l'abîme, surtout si les géants russes coopèrent activement avec des constructeurs étrangers et leurs banques qui travaillent depuis longtemps et avec succès sur ce marché. En un mot, les chantiers navals russes prennent un nouvel élan. Reste à savoir s'ils seront capables de saisir les nouvelles potentialités qui se présentent.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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