Géorgie-OTAN: retour des vieux démons

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Par Lev Dzougaïev, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti
Par Lev Dzougaïev, membre du Conseil d'experts de RIA Novosti

Le récent vote par le parlement géorgien pour l'adhésion du pays à l'OTAN a marqué un retour du pays à ses vieux démons, celui-ci refusant de faire face à ses véritables problèmes en cherchant un bouc émissaire extérieur, en l'occurrence la Russie.

Le 13 mars 2007, le parlement géorgien a adopté une Déclaration sur l'adhésion complète et urgente de la Géorgie à l'OTAN. Une date qui risque de s'ajouter aux nombreux faux-fuyants de la Géorgie contemporaine.

Le texte a été approuvé par 160 voix, soit à l'unanimité moins une voix: un député du Forum national (opposition), Gotcha Djodjoua, s'est abstenu en affirmant avant le vote que s'il partageait les valeurs déclarées en prévision de l'adhésion à l'OTAN, il se refusait à partager la responsabilité avec le Mouvement national démocrate (majoritaire) en cas d'éventuelles conséquences négatives.

Ainsi, à défaut de s'attaquer à ses véritables problèmes de développement économique et social, la nouvelle Géorgie impute à nouveau toutes ses difficultés à des forces extérieures, autrement dit à la Russie, dont les agissements l'empêcheraient de profiter pleinement de ses "capacités créatrices". Pas un mot sur la responsabilité de la Géorgie, du moins de sa classe politique, quand elle se prend, avec une régularité étonnante, le même râteau dans la figure.

On se souvient des propos de l'éminent philosophe géorgien Merab Mamardachvili qui, à la charnière des années 1980-1990, a mis en garde contre la politique nocive de Zviad Gamsakhourdia. Hélas, sa voix n'a pas été entendue, et on ne connaît que trop bien la suite des événements et le sort du premier président géorgien. Certains responsables politiques ont apparemment des trous de mémoire, sinon ils ne commettraient pas, avec une persévérance digne d'un meilleur but, les mêmes erreurs en entraînant leur peuple dans le gouffre de nouvelles secousses politiques, économiques et sociales.

Soutenu par plus de 90% de la population, Zviad Gamsakhourdia a lancé la politique de "la Géorgie aux Géorgiens" qui a débouché sur des purges ethniques et des massacres en Ossétie du Sud. Quelques années plus tard, des blindés ont investi le centre de Tbilissi pour renverser le premier président.

Son successeur Edouard Chevardnadze, élu lui aussi avec plus de 90% des suffrages, s'est empressé de déclencher une guerre contre l'Abkhazie, pour finalement y essuyer une défaite cinglante. Cette aventure lui a coûté des centaines de milliers de réfugiés géorgiens. En 2003, il a dû quitter son poste suite à la "révolution des roses".

Mikhaïl Saakachvili, le président en exercice, a également recueilli plus de 90% des voix. Moins d'un an plus tard, sa "sagesse" politique a débouché sur des tirs de canon et une effusion de sang en Ossétie du Sud. La confiance fragile que les Ossètes et les Géorgiens avaient mis une dizaine d'années à bâtir a été brisée d'un seul coup. Sous Mikhaïl Saakachvili, les relations russo-géorgiennes se trouvent dans leur phase la plus froide, alors que les perspectives d'un règlement pacifique des conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie n'ont jamais été aussi illusoires. Selon le centre d'étude de l'opinion publique Gorbi, 65% des Géorgiens se déclarent aujourd'hui mécontents de la situation économique dans leur pays, malgré la rhétorique emphatique sur les progrès notables accomplis par l'administration de Tbilissi. Visiblement, Mikhaïl Saakachvili est incapable de tirer des enseignements du passé récent.

Dans le dossier de l'adhésion à l'OTAN, comme dans les autres, l'unanimité est surprenante. "Nous serons membre de l'alliance politico-militaire la plus forte dans l'histoire de l'humanité. La Géorgie en a rêvé pendant des siècles", a constaté le numéro un géorgien. Etait-ce bien le rêve des Géorgiens quand, persécutés par les troupes du schah de Perse, ils sont venus frapper à la porte du voisin russe, ou quand les mencheviks géorgiens ont proclamé la neutralité sur une parcelle de l'Empire russe en lambeaux, ou encore quand Edouard Chevardnadze a déclaré dans les années 1970 que "pour les Géorgiens le soleil se lève au nord".

Mikhaïl Saakachvili a souligné que certaines forces à l'intérieur comme à l'extérieur du pays spéculaient sur les perspectives d'adhésion de la Géorgie à l'OTAN, dans le contexte du rétablissement de la souveraineté géorgienne sur l'Abkhazie et l'Ossétie du Sud. Et d'assurer que l'OTAN n'intervient pas dans le règlement des conflits intérieurs spécifiques. Et quid des propos de la présidente du parlement géorgien, Nino Bourdjanadze, prononcés lors du sommet de l'OTAN à Riga: "Ne serait-il pas plus simple que la Géorgie adhère d'abord à l'OTAN, pour engager ensuite les pourparlers sur l'Ossétie du Sud et l'Abkhazie avec la participation de l'Alliance atlantique".

A la veille de l'examen de la Déclaration sur l'adhésion à l'OTAN au parlement géorgien, Tbilissi a fait état de frappes aériennes dans la haute vallée de la Kodori, à la frontière abkhazo-géorgienne, réalisées par des hélicoptères qui seraient entrés sur le territoire géorgien depuis la Russie. Si aucune preuve établissant qu'il s'agissait d'hélicoptères russes n'a été fournie, les bombardements ont figuré parmi les principaux arguments avancés en faveur de la signature du Mémorandum de réconciliation nationale. "La signature d'un tel document est particulièrement importante dans le contexte des événements qui se déroulent dans la haute Abkhazie", a souligné Nino Bourdjanadze, avant d'ajouter: "La Géorgie fera le maximum pour entrer au plus vite dans l'organisation qui apportera paix et stabilité à toute la région".

Le thème de la menace extérieure est délibérément inculqué dans l'esprit des Géorgiens. Et cette pression médiatique porte ses fruits: selon une étude réalisée par Baltic Survey et l'institut Gallup, 83% de la population approuve l'adhésion de la Géorgie à l'OTAN.

Ce tableau rappelle fortement la Géorgie des années 1989-1992, avec la désignation d'un ennemi incarné par les minorités ethniques, les réponses inappropriées aux défis de l'époque et la désintégration postérieure de l'Etat nouvellement proclamé. Aujourd'hui, on constate la même recherche d'un ennemi - il s'agit cette fois de la Russie -, la même incapacité à proposer des scénarios acceptables de règlement des conflits, les mêmes tentatives de mobilisation politique de la société, ce qui promet justement les conséquences dont le député Gotcha Djodjoua n'a pas voulu assumer la responsabilité.

Par ailleurs, 86% des interrogés ont indiqué avoir besoin d'informations supplémentaires sur l'OTAN. Ils souhaitent en savoir plus sur les avantages de l'adhésion à l'OTAN pour la Géorgie et les responsabilités qui seront confiées à Tbilissi. L'histoire des Balkans et de l'Irak en dit long sur les conséquences d'une adhésion qui lui promet l'aggravation de tous ses problèmes actuels. Quant aux responsabilités de la Géorgie, elle sera vouée à jouer le jeu d'autrui. Reste à savoir si ce scénario correspond aux intérêts du peuple géorgien.

Les opinions exprimées dans cet article sont laissées à la stricte responsabilité de l'auteur.

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