La sixième conférence de presse annuelle de Vladimir Poutine n'a produit aucune sensation extraordinaire. C'est un fait positif qui témoigne de la stabilité économique dans le pays.
Le terme "diversification" était l'un des mots clés de cette conférence de presse du président russe dans le contexte de l'abandon progressif d'une structure économique reposant sur les exportations de matières premières et de la recherche de voies alternatives de fournitures d'hydrocarbures. Le premier a été évalué par Vladimir Poutine comme la voie principale du développement de l'économie, alors que le second sujet lui a donné l'occasion d'évoquer les "pays transitaires" auxquels la Russie a versé quelque 4,2 milliards de dollars. Et cela rend très actuel le problème de la diversification des voies de livraison de gaz russe à ses principaux consommateurs en Europe.
Economie
Les sujets économiques se sont retrouvés de façon tout à fait naturelle au centre de l'attention du chef de l'Etat. L'inégalité excessive des revenus entre les différentes catégories de la population du pays a été qualifiée par le président de problème crucial devant être réglé. Et ce, en dépit des progrès notables et statistiquement calculables enregistrés dans le social, y compris de l'augmentation du salaire moyen, des revenus de la population et des pensions-retraites. La voie naturelle de la solution du problème passe par la garantie des cadences élevées de la croissance économique. Dans ce contexte, il est évident que Vladimir Poutine n'a écarté la tâche du doublement du produit intérieur brut (PIB), et il insiste toujours pour que la croissance annuelle moyenne de l'économie russe se chiffre à près de 7%.
Le président n'a abordé qu'en passant le sort ultérieur du Fonds de stabilisation, tout en formulant la principale fonction de cet instrument de la politique économique et financière du pays qui consiste à créer une "réserve de stabilité" en cas de chute des cours du pétrole.
Selon l'évaluation du président qui coïncide pour beaucoup avec l'analyse de plusieurs experts économiques, le principal acquis de sa présidence est que la croissance économique de près de 7% est déjà stimulée moins par la conjoncture économique extérieure que par les investissements intérieurs et la demande à la consommation dans le pays. Cela est attesté, entre autres, par un indice tel que l'accélération du rééquipement des fonds fixes, la croissance des investissements dans les immobilisations (au niveau de 13% en 2006) et l'afflux massif de capitaux privés en Russie (rien que des investissements étrangers directs - au niveau de 31 milliards de dollars).
Tout cela a permis à Vladimir Poutine de formuler l'idéologème économique de base: de la politique de stabilisation et d'accumulation, la Russie passe à la politique de développement.
Complexe combustible-énergie
Il est évident que les problèmes énergétiques font partie des problèmes économiques. Quoi qu'il en soit, compte tenu de l'importance des questions de la sécurité énergétique en Russie et dans le monde, ce sujet mérite sans doute une attention toute particulière.
On voyait bien que Vladimir Poutine prenait plaisir à répondre aux questions portant sur les problèmes de l'énergie. Mieux, on voyait qu'il s'y connaissait très bien.
Aussi, prenait-il souvent les devants en répondant aux questions parfois "difficiles" des journalistes. Par exemple, concernant les accusations de l'Occident relatives au manque de fiabilité des fournitures d'hydrocarbures russes avec comme conséquence la recherche par les Européens d'autres fournisseurs, le président a laissé clairement entendre que c'est en partie pour éviter d'être l'objet de telles accusations que la Russie construit à un rythme élevé des pipelines en direction de l'Extrême-Orient et cherche une alternative aux vieilles adresses aux marchés en expansion dans des pays tiers.
Interrogé sur l'intention de la Russie de créer un cartel gazier avec l'Iran, Vladimir Poutine a fait remarquer: "Une OPEP gazière est une idée intéressante, nous y réfléchirons". C'est une vraie nouvelle car il y a quelques jours seulement le ministère russe du Développement économique et du Commerce a rejeté l'idée même de la création d'une telle structure. D'après Vladimir Poutine, "il serait judicieux de coordonner les actions des grands producteurs de gaz en vue d'atteindre l'objectif principal: l'approvisionnement fiable des principaux consommateurs de ressources énergétiques". Cependant, "nous n'avons pas l'intention de créer un cartel", a-t-il dit.
Politique intérieure
Il va sans dire que le thème politique central qui intéresse tout le monde aujourd'hui, qu'il s'agisse de l'élite, de la population du pays, des journalistes ou de l'opinion internationale, c'est la question du prochain président de la Russie. On pourrait qualifier d'évasives les réponses de Vladimir Poutine aux très nombreuses questions portant d'une manière ou d'une autre sur ce sujet précis ("Il n'y aura pas de dauphins du tout, mais des candidats à la présidence russe"), mais tout observateur attentif aura remarqué un détail: le président s'est réservé le droit et a même promis d'exprimer ses préférences "pendant la campagne électorale". Tout porte à croire qu'il n'avait pas en vue les élections à la Douma d'Etat (Chambre basse du Parlement russe), mais les futures élections présidentielles. Cela veut dire que le nom sera tout de même cité, mais qu'il faudra attendre, et ce pendant un bon moment. Qui plus est, Vladimir Poutine a demandé de ne pas le mettre trop vite au rancart, en disant notamment: "Pourquoi m'évincer avant terme (de la politique - ndlr.)? Je partirai de moi-même".
Parmi les réalisations centrales de ces sept ou huit dernières années, le président a cité le rétablissement de l'intégrité territoriale de l'Etat (il s'agissait sans doute tant du problème de la Tchétchénie, que de la gouvernance des régions du pays) et la consolidation du système politique. Le chef de l'Etat entendait sans doute la mise en place d'institutions politiques et l'affirmation du système des partis politiques.
La croissance des tendances xénophobes en Russie a constitué un autre sujet de taille de la politique intérieure. Le président perçoit au moins deux raisons essentielles à ce problème: les "douleurs fantômes" de la population consécutives à la disparition de l'Union Soviétique et le "sentiment d'injustice éprouvé par les groupes ethniques les plus nombreux" lié à cette disparition, et la mauvaise régulation du marché du travail alors que la situation "n'était pas toujours favorable à la population autochtone de Russie". Or, le président n'a pas proposé de recette pour soigner ce mal, mais a réaffirmé la nécessité de le combattre.
Politique extérieure et image de la Russie
Vladimir Poutine a rejeté avec sérénité la critique traditionnelle à l'endroit de Moscou qui aurait utilisé ses ressources énergétiques à des fins politiques. Ayant rappelé que la Russie avait toujours respecté à la lettre ses engagements pétro-gaziers devant les consommateurs étrangers, le président n'a interprété les récents conflits avec l'Ukraine et la Biélorussie que comme une réaction parfaitement injustifiée au passage de la Russie à des rapports de marché avec ceux qui auraient voulu subventionner leur propre économie au frais de l'Etat russe.
Le président russe a aussi rejeté l'allégation selon laquelle la Russie s'entourait de plus en plus d'un "cercle de pays malveillants à son égard". "Il est très facile de savourer les louanges prodiguées à votre adresse lorsque vous trahissez vos intérêts nationaux. Par contre, l'établissement de rapports pragmatiques et la défense des intérêts nationaux ne s'effectuent pas toujours sans tension ni agacement", a-t-il fait remarquer. La réussite de l'organisation du Sommet du G8 l'été dernier a conforté Vladimir Poutine dans la conviction que la Russie n'avait pas de mauvaises relations avec ses voisins et que ses relations devenaient même de plus en plus stables et sûres.
Par ailleurs, le président a soumis à une critique virulente l'administration bruxelloise de l'Union européenne (UE) pour ses subventions agricoles excessives accordées aux novices, tels que la Hongrie, par exemple, qui essaient par la suite d"'écouler" leur marchandise en Russie. Vladimir Poutine a perçu la même concurrence déloyale dans les sanctions que Washington infligeait périodiquement aux producteurs d'armements russes.
Evoquant les projets des Etats-Unis de déployer des éléments de leur système ABM dans certains pays d'Europe de l'Est, Vladimir Poutine a fait remarquer que cela "n'était aucunement lié à l'accroissement de la puissance militaire de la Russie". La Russie consacre à la défense 25 fois moins que les Etats-Unis, a tenu à rappeler le chef de l'Etat. Quoi qu'il en soit, a-t-il dit, l'idée de déployer des radars et des missiles du système ABM en République tchèque et en Pologne "concerne directement la Russie". Est-ce que l'Iran ou les terroristes possèdent l'arme balistique? - a demandé Vladimir Poutine. Et de mettre en garde: "Mais Moscou saura garantir sa sécurité. Toutes nos réponses seront asymétriques mais efficaces".
Le président ne s'est pas soustrait, non plus, aux questions ardues portant sur les assassinats retentissants ayant détérioré l'image de la Russie, y compris le meurtre d'Anna Politkovskaïa. La Russie se rend parfaitement compte de sa responsabilité dans l'élucidation de ces crimes et est prête à tout faire pour protéger les journalistes face à la violence, a déclaré Vladimir Poutine. A titre d'événement prometteur en la matière, le président s'est référé à l'élucidation d'un autre assassinat retentissant - celui du vice-président de la Banque Centrale, Andreï Kozlov.
Vladimir Poutine est toujours persuadé que les personnes qui tentent de détériorer l'image de la Russie, ce sont les "oligarques en exil", c'est-à-dire fuyant la justice russe, qui se cachent dans des pays d'Europe occidentale ou au Proche-Orient. N'est-ce pas là une allusion directe à Boris Berezovski à Londres et Leonid Nevzline à Tel-Aviv. Quoi qu'il en soit, le président ne croit pas trop à la théorie du complot international visant à dénigrer la Russie. "Pour être franc, elle ne me préoccupe pas trop", a-t-il dit.
"La stabilité de l'Etat russe nous permet aujourd'hui de regarder tout cela de haut", a relevé Vladimir Poutine. Tout indique que cette dernière phrase du président reflète son état moral actuel, celui du leader sûr d'un pays qui se sent tout aussi bien.
Conclusions
Contrairement à toutes les attentes, Vladimir Poutine n'a pas formulé de testament politique lors de sa conférence de presse. Il est encore trop tôt. En effet, il reste encore presque dix-huit mois d'ici l'expiration de son mandat présidentiel. Il doit travailler, et il n'est pas encore temps de dresser, même dans ses grandes lignes, un tel testament. En tout état de cause, en politique expérimenté, il n'entend sans doute pas pour le moment faire connaître au grand public ses projets. En outre, cela serait contraire à la logique même de sa propre stratégie politique.
Aussi, pourrait-on classer cette conférence de presse parmi les manifestations ordinaires, celles "de travail", tant pour les questions posées par les journalistes que pour les réponses du président. Néanmoins, le chef de l'Etat a désigné les principales réalisations économiques, sociales et politiques, ainsi que les volets d'activités les plus évidents de ces dernières années. Ainsi, répétons-le, il a mentionné la tendance au passage à une nouvelle dimension de la croissance économique, à la croissance plus diversifiée selon sa structure et encouragée par la demande intérieure.
La diversification de l'économie et la compétitivité de la Russie sont les mots clés. Il se peut que ce soit là que l'on doive percevoir le résultat essentiel de la conférence de presse annuelle du président de la Fédération de Russie et le bilan intermédiaire de presque sept années de présidence de Vladimir Poutine.