Succession au Kremlin: portrait du dauphin, et de son électorat

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Par Andreï Kolesnikov, RIA Novosti

Une présentatrice de télévision célèbre aimait à raconter l'histoire de sa maquilleuse qui lui déconseillait de beaucoup manger et d'abuser de l'alcool, en disant: "De ton visage dépend mon salaire". C'est un peu dans ces termes que les électeurs imaginent le portait du prochain président russe dont Vladimir Poutine a évasivement esquissé quelques traits dans une interview accordée aux médias indiens: "La Constitution veut que ce soit un citoyen russe résidant sur le territoire national depuis au moins dix ans et âgé d'au moins 35 ans". Le chef de l'Etat a également espéré que son successeur, dépourvu pour l'instant de caractéristiques physionomiques précises (tel un Tchitchikov gogolien), poursuivrait la politique actuelle du Kremlin.

On sait comment la majorité des Russes voient leur président: selon le dernier sondage de FOM, Vladimir Poutine est crédité de 50% des intentions de vote. Il est suivi de Dmitri Medvedev et Vladimir Jirinovski, qui disposent chacun de 4%. La troisième marche du podium revient à l'éternel outsider Guennadi Ziouganov, avec 3%. Dans le classement des responsables politiques selon la confiance qu'ils suscitent auprès des Russes, le tableau est identique, sauf que Vladimir Jirinovski, le clown de la scène politique russe, dépasse de 1% le trop sérieux dauphin non officiel du locataire du Kremlin.

En un mot, le portrait robot du prochain président est un Vladimir Poutine doté de la gaieté sans bornes de Vladimir Jirinovski, de l'humeur maussade d'un bureaucrate inhérente à Dmitri Medvedev et du bon sens paysan de Guennadi Ziouganov. Bref, un président doit pouvoir tout faire, y compris sauver des vies humaines en cas d'incendie: le ministre des Situations d'urgence, Sergueï Choïgou, bénéficie de 2% des intentions de vote.

Mais quel serait le portrait de l'électeur moyen auquel le prochain président pourrait dire, en inversant la fameuse phrase: "De mon visage dépend ton salaire"?

En admettant que Dmitri Medvedev soit le chouchou du président actuel, on imagine que leurs sympathisants se ressemblent. Mais cela n'est pas le cas: les électorats potentiels de Vladimir Poutine et de Dmitri Medvedev, aussi bizarre que cela puisse paraître, n'ont pas, et de loin, les mêmes caractéristiques qualitatives. Plus précisément, il n'y a qu'une chose qui les unit: parmi les sympathisants de Medvedev on trouve beaucoup de partisans de Poutine. En revanche, le premier vice-premier ministre plaît davantage aux hommes qu'aux femmes, ce qui n'est pas le cas du président en exercice. Medvedev est essentiellement soutenu par les 36-54 ans, tandis que l'électeur moyen de Poutine est nettement plus jeune. Les revenus des partisans de Poutine, comme leur niveau d'instruction, sont proches de la moyenne. Medvedev est davantage plébiscité auprès des diplômés de l'enseignement supérieur aux revenus élevés. Le numéro deux du gouvernement russe est moins soutenu à la campagne qu'à Moscou et dans les grandes villes. Le président en exercice est au contraire populaire dans les milieux ruraux, et beaucoup moins à Moscou.

Dans les prévisions, bien entendu, il faut tenir compte de la marge d'erreur statistique, mais les tendances qui se dessinent semblent assez crédibles. Du moins, il semble vrai que les couches aisées et instruites en pleine force de l'âge identifient leurs "salaires" avec le "visage" de Dmitri Medvedev.

Les portraits des électeurs des autres candidats hypothétiques semblent tout aussi véridiques. Vladimir Jirinovski et Guennadi Ziouganov ont des sympathisants aux paramètres sociologiques plus ou moins similaires: leur électeur moyen a un faible niveau d'instruction, perçoit des revenus bas (Jirinovski) ou moyens (Ziouganov), est de sexe masculin et habite à la campagne (le leader communiste est également soutenu dans les petites villes, tandis que le dirigeant ultranationaliste bénéficie d'une cote de popularité très faible à Moscou).

La différence de principe se situe ailleurs. Le comportement de Vladimir Jirinovski fascine essentiellement les 18-35 ans, un trait distinctif auquel s'ajoutent les bas revenus et le faible niveau d'instruction, d'où la qualité peu flatteuse de son "audience"... Les sympathisants de Guennadi Ziouganov sont essentiellement âgés de 55 ans ou plus. Enfin, les fidèles du leader communiste ne font pas confiance à Vladimir Poutine, tandis que ceux de Vladimir Jirinovski ne lui sont pas forcément hostiles.

Il est impossible, hélas, d'évaluer la qualité de l'électorat potentiel du ministre de la Défense, Sergueï Ivanov, qui ne bénéficie que de 1% des intentions de vote. Son unique avantage est d'être soutenu par des diplômés de l'enseignement supérieur.

En un mot, l'électorat russe est on ne peut plus hétéroclite. Mais l'identité du vainqueur de la prochaine course à la présidence russe semble dépendre uniquement de la position que prendra le chef de l'Etat. Peut-il en être autrement, en effet, si Vladimir Poutine bénéficie toujours d'une cote de popularité hors de compétition (et qui s'explique moins par les espoirs du peuple que par son conservatisme et son indifférence générale à la politique)? Une fois le choix effectué, le portrait de l'électeur moyen du dauphin désigné a toutes les chances de subir une métamorphose profonde et de s'approcher de celui des fidèles du président, avec leurs revenus moyens, leur niveau d'instruction moyen et leur répartition géographique harmonieuse.

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