La moribonde alliance avec le régime de Loukachenko

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Par Andreï Souzdaltsev, du Haut collège d'économie, en exclusivité pour RIA Novosti

Face à une riposte particulièrement ferme des autorités russes, Alexandre Loukachenko s'est vu obligé d'annuler la taxe douanière sur le transit de pétrole russe introduite début 2007. Son service de presse s'est même empressé de déclarer que les négociations de Moscou devraient s'achever vendredi sur une note positive pour Minsk.

Le chef du gouvernement biélorusse a apporté à Moscou une longue liste des problèmes qui, selon Minsk, exigent une solution immédiate. En tête de liste figure la taxe à l'exportation de pétrole russe vers la Biélorussie, car 3,6 à 3,8 milliards de dollars sont en jeu: c'est la somme que perd le budget russe en cas de concessions.

La Biélorussie importe en franchise 21 millions de tonnes de pétrole brut russe, dont elle réexporte 3 millions vers la Lituanie et la Pologne à des prix de dumping, une opération qui lui rapporte au moins 550 millions de dollars tous les ans et qui déstabilise fortement les tarifs des exportations russes. Alors que son PIB représente 35 milliards de dollars, Minsk exporte pour 6 milliards de dollars de produits pétroliers issus du pétrole russe traité dans les raffineries biélorusses.

Le gaz naturel russe que la Biélorussie continue d'importer au tarif le plus avantageux lui permet de réaliser d'énormes économies, mais aussi de réduire le prix de revient de ses propres produits et d'"acheter" les sympathies des électeurs. A titre d'exemple, le montant global des pensions de retraite en Biélorussie s'élève à 2,1 milliards de dollars. La nouvelle concession au niveau des prix du gaz faite en 2007 par Gazprom représente exactement 2,1 milliards de dollars (ou plus de 3 milliards, les taxes douanières comprises).

Les importations en franchise de pétrole russe ont procuré au régime de Minsk des milliards de dollars qu'il a placés sur ses comptes dans des banques biélorusses et occidentales. L'argent du pétrole a aussi contribué à créer l'image d'une Biélorussie prospère et attirante aux yeux des investisseurs étrangers, à financer les médias et les structures politiques. C'est le pétrole russe qui est à l'origine de la longévité politique d'Alexandre Loukachenko.

En décidant en mai dernier de mettre sur les rails du marché les relations économiques avec la Biélorussie, l'administration russe avait oublié que le pouvoir d'Alexandre Loukachenko reposait exactement sur le partenariat économique entre les deux pays. Contre toute attente, le numéro un biélorusse s'est montré prêt à tous les coups bas dans la lutte pour sa propre survie politique.

Mais le président biélorusse s'est trompé. Après douze années de partenariat avec Moscou, il s'est pour la première fois heurté à une riposte aussi cohérente du cabinet russe. En l'espace de quelques heures, l'énorme mécanisme de l'Etat russe s'est dressé contre le chantage biélorusse. Le parlement est aussitôt revenu de ses illusions liées à la mise en place de l'Union Russie-Biélorussie. Les médias n'ont pas suivi l'exemple de Minsk qui a déchaîné une véritable guerre de l'information. Résultat, Alexandre Loukachenko a perdu tous ses points d'appui à Moscou. Au lieu de faire face à une classe politique traditionnellement enfermée dans ses règlements de compte et occupée à créer des coalitions réciproquement hostiles, le président biélorusse s'est retrouvé face à une élite russe bien consolidée.

En effet, le 10 janvier, la Russie a perdu encore un allié, peut-être le dernier. Mais cette perte n'est pas très grave, car Alexandre Loukachenko n'a jamais été un allié réel. Sous son règne, la Biélorussie s'est davantage éloignée de la Russie qu'au moment de l'éclatement de l'Union soviétique. En bénéficiant d'énormes préférences économiques de la part de Moscou, M. Loukachenko n'a pas su en profiter efficacement. L'économie biélorusse a besoin de réformes, ses capacités de production sont obsolètes, et ses pôles de croissance sont inefficaces.

La Biélorussie s'est transformée en un véritable "cordon sanitaire" aux frontières occidentales de la Russie: le marché biélorusse est partiellement fermé aux produits russes, les entreprises privées russes sont interdites d'accès dans l'économie biélorusse, le système commun de défense antiaérienne reste lettre morte, et la menace de saisies plane toujours sur le transit de produits russe. La Biélorussie n'a pas non plus contribué à régler le problème du transit vers l'enclave russe de Kaliningrad, au bord de la mer Baltique, coincée entre la Pologne et la Lituanie. De fait, la Russie s'est embourbée en Biélorussie, et son rythme d'expansion économique dans les pays baltes et en Pologne s'est ralenti.

L'administration biélorusse est par ailleurs réputée pour son intransigeance dans les négociations, et le jésuitisme de Minsk qui excelle dans le non-respect des accords conclus est notoire.

Finalement, Alexandre Loukachenko a épuisé les restes de confiance dont il jouissait dans les milieux dirigeants russes en devenant inutile pour la majorité de l'opposition, à l'exception des communistes. Jamais le président biélorusse ne s'est retrouvé aussi isolé. Personne ne veut plus marchander avec lui.

Il ne fait aucun doute que M. Loukachenko n'avait pas dès le début l'intention d'exploiter la nouvelle taxe douanière sur le transit de pétrole russe pour alimenter le budget biélorusse. Il voulait juste avoir un argument de poids pour marchander avec les dirigeants russes selon son propre scénario. Minsk était persuadé que Moscou serait dans l'obligation de supprimer en retour la taxe à l'exportation de pétrole vers la Biélorussie. Ce n'est pas par hasard qu'à partir du 3 janvier les médias biélorusses n'étaient pas avares d'interviews, accordées par des responsables du gouvernement et des administrations énergétiques, affirmant que la Biélorussie était prête à annuler la taxe si elle continuait à recevoir des livraisons de pétrole exemptées de redevances au budget russe.

Face au chantage biélorusse, Moscou a opposé un refus clair et net de négocier jusqu'à ce que la Biélorussie annule la taxe sur le transit. L'administration biélorusse n'avait pas d'autre choix que d'abandonner son unique argument, qui lui paraissait pourtant inébranlable, afin de pouvoir entamer le dialogue avec la Russie.

Désormais, la Biélorussie n'a rien à avancer pour faire chanter Moscou. Elle a elle-même conféré aux problèmes économiques entre Minsk et Moscou l'envergure d'un scandale international. Le problème de la sécurité du transit pétrolier a ainsi reçu une tonalité politique et a exigé une intervention au plus haut niveau.

En étendant au pétrole la crise énergétique russo-biélorusse, Alexandre Loukachenko a bon gré mal gré marqué le début d'un processus détruisant le projet d'intégration entre les deux pays. Il semble bien qu'en se risquant dans un face-à-face avec Moscou, le président biélorusse ait omis de calculer toutes les conséquences susceptibles de corrompre son pouvoir.

(L'avis de l'auteur peut ne pas coïncider avec celui de la rédaction.)

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