Temps forts 2006: vague d'assassinats, la Russie rattrapée par les années 90

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Par Dmitri Choucharine pour RIA Novosti.

2006 a été une année d'assassinats retentissants. Ce sont les meurtres de la journaliste Anna Politkovskaïa et de "l'émigré politique" Alexandre Litvinenko qui ont marqué le plus les observateurs étrangers. La société russe a quant à elle été particulièrement choquée par l'assassinat du vice-président de la Banque centrale Andreï Kozlov, commis le 13 septembre.

C'est alors que la presse a affirmé que l'un des principaux clichés médiatiques avancé par l'Etat n'était plus valable. Il s'agit de la différence entre la stabilisation poutinienne et les années 90, période d'assassinats commandités, de déchaînement de la criminalité et d'impuissance des organes judiciaires corrompus. Effectivement, les années 90 sont restées dans la mémoire comme des années "enragées".

Il est significatif que, lorsque Dmitri Fotianov, candidat au poste de maire de Dalnegorsk, membre du parti Russie unie, a été assassiné un mois plus tard, le leader du parti Boris Gryzlov ait déclaré qu'il s'agissait d'un assassinat politique. Mais la mort d'Andreï Kozlov n'était nullement un cas isolé. Tout simplement, jusqu'en septembre 2006, le "cliché de stabilisation" évinçait dans la conscience sociale les informations sur ce qui se produisait réellement dans le pays. Pourtant, ces informations ont été librement publiées, elles étaient accessibles à tous.

Je citerai certains faits de la chronique criminelle de ces dernières années. Les assassinats de deux dirigeants d'entités de la Fédération de Russie - celui de Valentin Tsvetkov, gouverneur de la région de Magadan, en 2002, et celui du président tchétchène Akhmad Kadyrov, en 2004 - ont eu lieu dans la période de "stabilisation". Je tiens à souligner que la mort d'Akhmad Kadyrov a donné lieu à la seule mention de la Tchétchénie et, en général, du Caucase du Nord, dans toutes ces informations. Ce qui s'y produit est un sujet à part. Même si, il faut le reconnaître, les moeurs de cette région de la Russie influent directement ou indirectement sur la culture politique du pays dans son ensemble.

Seize maires et vice-maires de villes et autres formations municipales, vice-gouverneurs et chefs de gouvernements régionaux ont été assassinés entre 2001 et 2006. L'année 2006 a été marquée, outre la tragédie de Dalnegorsk, par un seul crime: l'assassinat de Viktor Dorkine, maire de Dzerjinski, ville des environs de Moscou.

Dans la majorité écrasante des cas, les victimes étaient des fonctionnaires liés, d'une manière ou d'une autre, au monde des affaires. D'ailleurs, les assassinats d'hommes d'affaires et de dirigeants de grandes entreprises n'avaient jamais cessé en Russie. Si, dans les années 90, Saint-Pétersbourg était considérée comme la capitale du crime, en 2006, deux patrons de grandes entreprises ont été assassinés rien qu'à Novgorod, s'est alarmé Sergueï Mironov, président du Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe), lors de sa visite fin septembre dans cette ville.

L'année 2006 a également été assez orageuse à un autre niveau de la sphère sociale. Ainsi, au moins treize meurtres ont eu lieu dans des endroits publics à Moscou avant septembre, plus précisément avant l'assassinat retentissant d'Andreï Kozlov. Les meurtres se sont multipliés vers le mois d'août: en moyenne, deux par semaine. Les victimes ont été des hommes d'affaires plus ou moins importants (parmi eux, un Italien) une pop-star (également un étranger), des policiers et chefs de bandes criminelles. Passant en revue les assassinats commis en 2005 et 2006, on en vient à la conclusion que le milieu des affaires est le secteur le plus dangereux à Moscou. En outre, entre juillet 2005 et septembre 2006, six restaurateurs ont été assassinés dans la capitale russe.

Bien entendu, tous ces renseignements tirés de diverses sources accessibles au public ne sont pas exhaustifs, mais ils brossent tout de même un tableau général. Ils permettent de juger de certains traits de la société russe qui sont devenus plus saillants en 2006.

Premièrement, à partir d'un certain statut de la victime, il est impossible de faire une distinction entre un meurtre politique et un crime économique. C'est un trait distinctif du modèle des rapports entre le pouvoir et les propriétaires qui s'instaurent dans la Russie actuelle.

Deuxièmement, les assassinats sont devenus un moyen simple et accessible de régler les problèmes. Dans les rares cas où ils sont élucidés, le tribunal ne met sous les verrous que les exécutants. Quant aux commanditaires, même démasqués, ils restent impunis.

Troisièmement, sans porter de jugements moraux, je peux affirmer que l'instinct de conservation de l'élite politique est peu développé, bien que le statut politique des victimes d'assassinats commandités se soit élevé ces sept dernières années. Certes, il n'a pas atteint le niveau du vice-premier ministre, comme cela avait été le cas de Viktor Polianitchko, homme politique de ce rang tué en 1995. Mais cet assassinat perpétré sur le territoire de l'Ossétie du Nord doit être expliqué par la situation dans le Caucase du Nord qui, comme cela a été dit plus haut, n'est pas prise en compte dans ce raisonnement.

Quatrièmement, la sensibilité à la violence est minimale dans notre pays. Lorsque la réaction de la société est imperceptible, on peut dire qu'elle est tolérante envers ce qui se produit. Bien plus, dans la Russie actuelle, le meilleur moyen de compromettre un homme est de le tuer. A l'époque de Staline, on disait: "chez nous, on n'emprisonne pas pour rien", à présent, on dit: "chez nous, on ne tue pas pour rien". En règle générale, la victime, surtout s'il s'agit d'un haut fonctionnaire ou d'un gros entrepreneur, est considérée comme elle-même coupable de sa mort. On dit ordinairement: "il s'est empêtré dans des escroqueries", "il a refusé de partager le butin", ou encore "il a enlevé une femme".

L'influence des assassinats sur la formation de l'image du pouvoir à l'intérieur du pays peut être qualifiée de très insignifiante.

C'est sur cette toile de fond, mais pas dans ce contexte, qu'il faut considérer deux assassinats qui ont produit une impression très insignifiante sur la société russe, mais qui se sont répercutés très sérieusement sur l'image du pouvoir russe à l'étranger. Il s'agit de la mort d'Anna Politkovskaïa et d'Alexandre Litvinenko.

En parlant de contexte, je voulais dire que leurs noms ne figuraient pas parmi ceux des gouverneurs et des maires, ni parmi ceux des députés. Il s'agit là d'une autre catégorie d'assassinats. Il faut les ranger parmi les assassinats de députés de la Douma (chambre basse du parlement russe) comme Vladimir Golovlev (août 2002) et Sergueï Iouchenkov (avril 2003), ou bien sur un même plan que l'empoisonnement mystérieux du journaliste et député de la Douma Iouri Chtchekotchikhine (juillet 2003). Ils étaient tous des représentants de l'opposition démocratique.

Leurs avis étaient importants pour l'opinion publique des pays occidentaux.

Mais la mort d'Alexandre Litvinenko a également rappelé l'empoisonnement de Roman Tsepov (septembre 2004) qui s'était accompagné de symptômes évidents de la maladie des rayons.

D'autre part, on estime que, même si Anna Politkovskaïa et Alexandre Litvinenko ne disposaient pas d'informations sur les explosions d'immeubles à Moscou qui avaient accompagné en 1999 l'arrivée de Vladimir Poutine au pouvoir, ni sur d'autres actes terroristes commis ces dernières années, ils avaient néanmoins déployé des efforts en vue de recueillir de tels renseignements.

Naturellement, ces comparaisons ne prouvent rien. Sur leur base, il est impossible d'édifier une version vérifiable. Mais l'opinion publique, ainsi que la mémoire historique, ne se sont jamais formées sur la base de preuves directes. En l'occurrence, il s'agit de l'opinion publique des pays occidentaux. Quant à la mémoire historique c'est l'apanage de la nation russe qui, je tiens à le répéter, est encore très tolérante envers les assassinats en tant que moyen de régler les problèmes politiques et économiques.

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