Les voyageurs arrivés au Caucase dans la seconde moitié du XVIIIe siècle s'étaient perdus en conjecture après avoir rencontré les Ossètes: qui sont-ils, ces gens? Plusieurs hypothèses ont été avancées au sujet de l'origine des Ossètes. La plus répandue est la théorie de l'ethnologue Pfaff, qui estimait que les Ossètes étaient un mélange de Sémites et d'Aryens. Par la suite le chercheur russe Andreï Chegren devait démontrer, moyennant un matériel linguistique très étoffé, la justesse de ce point de vue.
Pour les Ossètes le mot "London" (Londres en français) appartient à leur lexique puisque pour eux il signifie "havre", "quai". Pour eux "Douvres", Bonn et Lisbonne veulent dire respectivement "porte", "jour" et "aurore". De ces ethno-toponymies singulières, on en dénombre un demi-millier dans les langues européennes. En Russie aussi ils y en a pas mal: "Don" en ossète veut dire "eau". C'est à partir de cette racine qu'ont été formés les noms des cours d'eau Dniepr, Dniestr, Donets, Danube. Autant de "cartes de visite" des Scythes et des Alans (ou Alains), les ancêtres des Ossètes contemporains.
L'histoire du peuple ossète s'étale sur au moins 30 siècles. Les études réalisées par les chercheurs sur les origines ethniques révèlent la filiation Scythes-Alans-Ossètes. Les Scythes sont entrés dans l'histoire au VIIe siècle avant notre ère, à cette époque leur cavalerie avait chassé les Cimmériens, un peuple qui vivait dans le Pritchernomorié (région de la mer Noire) septentrional. Le siècle suivant des peuplades scythes nombreuses accomplirent une croisade victorieuse en Asie mineure, mais ensuite elles regagnèrent les steppes natales, s'étendant désormais aux steppes de la Crimée, au Pritchernomorié septentrional, entre les cours inférieurs du Danube et du Don.
Dans les années 40 du IVe siècle avant notre ère, le roi scythe Atéas acheva la réunification de la Scythie, de la mer d'Azov jusqu'au Danube, et elle connut alors son "âge d'or". Les Scythes créèrent un art originel, qui a laissé les kourganes, sépultures dans lesquelles on a retrouvé de riches ustensiles, harnais de chevaux, armures, ornements en or et en argent les plus divers. Sur des pierres et des dalles ils avaient gravé des dessins représentant des gens et des animaux ainsi que des ornements géométriques que les chercheurs cherchent toujours à déchiffrer.
Le prospère royaume des Scythes fut dévasté par les Goths qui entraînèrent les asservis dans la Grande migration. Cependant, les Scythes ne disparurent pas de la surface de la Terre. Les communautés scytho-sarmates semi-nomades affaiblies donnèrent naissance aux énergiques Alans qui sur leurs montures se dirigèrent vers le sud et l'ouest. Au Ier siècle de notre ère une partie des Alans et les Huns rejoignirent une nouvelle Grande migration et, via la Gaule et l'Espagne, gagnèrent l'Afrique du Nord. L'autre partie arriva jusqu'aux contreforts du Caucase où elle s'installa, s'unissant aux ethnies autochtones. C'est alors que l'Etat féodal primitif d'Alanie commença à se former.
Les Romains reconnurent la force er les réalisations de l'Alanie et ils la considérèrent comme une alliée. En 407, les Alans montés sur leurs chevaux de race apparurent aux frontières de l'Empire romain où ils furent accueillis comme des guerriers ayant droit de recevoir des terres. Un détail intéressant: sur la fameuse statue équestre qui le représente sur une place de Rome, l'empereur Marc Aurèle est en selle sur un coursier alan, en tout cas c'est que prétend l'hippologue russe V.Vitta.
Au IXe siècle le christianisme avait été introduit dans l'espace alan en provenance de Byzance. Aujourd'hui encore il est pratiqué par la plupart des Ossètes de l'Ossétie aussi bien du Nord que du Sud. L'autre partie est composée de musulmans. Cependant, les rites des uns et des autres ne sont pas orthodoxes, ils s'entrelacent avec le paganisme et les anciennes traditions scytho-alanes. Dans les familles ossètes on vénère toujours la chaîne qui au-dessus de l'âtre servait à accrocher le chaudron dans lequel on y préparait jadis les repas. C'est sur cette chaîne que les hommes prêtent serment, que les jeunes filles s'inclinent quand elles quittent le foyer parental pour se marier.
C'est à l'époque de l'adoption du christianisme qu'est née une tradition que les Ossètes continuent de respecter aujourd'hui, à savoir le Jour de Khatag. Selon la légende, le courageux guerrier Khatag s'était converti au christianisme et les païens ne lui avaient pas pardonné. Pour échapper à ses poursuivants, il avait lancé son cheval au galop, mais celui-ci avait fini par s'écrouler, à bout de force. Khatag avait alors imploré Dieu de l'aider. La légende veut "qu'une immense ombre portée par des arbres s'était alors détachée d'une forêt et avait fait disparaître Khatag".
L'existence du puissant Etat d'Alan fut interrompue au moment de son épanouissement par l'invasion des hordes mongolo-tatares dans la plaine de Précaucasie. En 1238-1239, les Alans rescapés gagnèrent la montagne et se dispersèrent dans les gorges. Certains s'installèrent sur le versant méridional de la chaîne, en Transcaucasie. Ces gens aujourd'hui sont les Nord- et les Sud-Ossètes.
Tout en conservant leur filiation avec les Alans, les colons caucasiens se développèrent sous le nom d'Os, d'Ossètes. Privés de la puissance de ses ancêtres, durant cinq siècles ce peuple vécut pratiquement hors de l'arène de l'histoire. Mais il a refait parler de lui.
L'histoire de quinze siècles des Russes slaves est étroitement liée à l'histoire des Alans-Ossètes. Les deux peuples s'étaient trouvés sur le chemin des hordes dévastatrices de Gengis Khan. La défaite du royaume médiéval alan fut totale, de nombreuses valeurs culturelles furent perdues, notamment l'écriture originelle. Elle fut restaurée par la suite, mais à partir de l'alphabet cyrillique russe.
Le 25 septembre 1750, cinq ambassadeurs ossètes et l'archimandrite Pakhomi arrivèrent à Saint-Pétersbourg et déclarèrent à l'impératrice Elisabeth Pétrovna que "le peuple ossète tout entier souhaite devenir sujet de la couronne russe". Ils prièrent l'impératrice d'autoriser les Ossètes à descendre de la montagne et à s'établir dans les plaines du Caucase du Nord. Peu après la forteresse de Vladikavkaz fut implantée sur les rives du Terek. A la fin du XVIIIe siècle, c'est de ses murailles que partit la Route militaire de Géorgie qui devait franchir la Grande chaîne du Caucase. Guerriers intrépides, les Ossètes furent chargés de protéger cette route stratégique.
Séparés par les montagnes, les Nord- et les Sud-Ossètes (les premiers se trouvent à l'intérieur des frontières russes et les seconds en territoire géorgien) n'ont jamais oublié leur parenté, ils ont toujours étroitement communiqué, se rendant visite, célébrant de nombreux mariages. A l'époque de l'Etat fédéral soviétique ils n'étaient séparés que par la route traversant les cols, une distance rapidement franchie en voiture. Seulement des temps plus difficiles sont arrivés, la politique nationaliste extrémiste de Tbilissi remet en question l'autonomie de l'Ossétie du Sud. Au fond, celle-ci doit donner une réponse à la question: "être ou ne pas être", conserver son identité ou s'assimiler à l'ethnie géorgienne. Finalement la confrontation osséto-géorgienne a conduit à une escalade du conflit déclenché en 1989 et qui aujourd'hui se retrouve dans une impasse.