Agonie de Libération: la presse écrite meurt mais ne se rend pas

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Par Andreï Kolesnikov, RIA Novosti

Libération, quotidien français de qualité, traverse une crise profonde. En juin, l'actionnaire principal du journal, Edouard de Rothschild, s'est débarrassé du PDG Serge July et du directeur général Louis Dreyfus, tout en conservant la rédaction du journal. A l'automne, les salaires et frais courants ont été gelés. Libération perd du terrain sur les grands quotidiens Le Monde et Le Figaro en matière de tirage et de revenus provenant de la publicité, et ne peut par conséquent être un concurrent sérieux pour ces journaux qui se sont modernisés dans l'année écoulée en déployant des efforts immenses afin de conserver leur lectorat.

En effet, par rapport à ses concurrents, Libération ne prospère pas. Qui plus est, sa version papier est même moins prisée que sa version électronique, considérée comme assez réussie, il est vrai, probablement parce que son accès est libre et gratuit.

Enfin, nous avons un journal de gauche, avait déclaré Jean-Paul Sartre en apprenant la parution du quotidien Libération. Mais ce qui était considéré jadis comme un avantage concurrentiel ne l'est plus. Le journal n'a pas réussi à répondre aux défis du temps et à la demande de lecteurs capricieux qui exigeaient des informations présentées sous une enveloppe plus dure et des moyens plus diversifiés de retenir l'intérêt. La publication d'avis indépendants de gauche est, en soi, une valeur incontestable. Mais il s'est avéré que sa vente est difficile: un journal contemporain ne peut plus se permettre le luxe de vivre parmi les lecteurs sans dépendre d'eux.

Mais ces problèmes concernent un célèbre journal pris à part qui estime que son nom est plus important que la demande des lecteurs. Aucun éditeur de presse et aucun rédacteur ne peut jubiler en apprenant les ennuis de cet ancien leader de la presse européenne, parce qu'une partie de ces ennuis sont propres à la presse toute entière, dont la situation se résume en une simple formule: elle meurt, mais ne se rend pas.

En 1946, le tirage quotidien des quotidiens nationaux français était de 6 millions d'exemplaires. Aujourd'hui, cet indice atteint à peine 2 millions. Entre 1990 et 2004, le nombre d'employés de l'industrie de la presse écrite aux Etats-Unis s'est réduit de 18%. Ces cinq dernières années, la valeur de New York Times Company sur le marché a chuté de 50%. Philip Meyer, auteur du livre "Le journal qui disparaît", prévoit que, vers 2040, le journal disparaîtra en tant que produit imprimé.

La presse de qualité ne soutient pas la concurrence de "l'infotainment" télévisé, d'Internet et du multimédia. "C'est une crise mondiale", constate Libération qui pose les questions shakespeariennes qui préoccupent aujourd'hui chaque éditeur: Faut-il augmenter le prix du journal?" (�) Rendre payant l'accès au site Internet du journal? Réduire le nombre de journalistes? Passer dans la catégorie de la presse gratuite?

Chacun trouve sa réponse personnelle à ces questions. Certains proposent une solution juste, d'autres, non.

En Russie, les tendances négatives mondiales se sont ajoutées à des difficultés nationales spécifiques, conditionnées par la basse demande de la population solvable, le niveau catastrophique de la distribution et le boom d'Internet qui concerne surtout le lectorat potentiel des quotidiens de qualité. Les chiffres généraux impressionnants - 400 titres rien que de journaux nationaux représentant un tirage total de 2,9 milliards d'exemplaires - ne signifient rien. D'après les données du rapport annuel de l'Agence fédérale de l'Edition et des Communications de masse, la part de la presse nationale diminue, cédant la place à la presse locale. Un Russe sur cinq ne lit pas de journaux, et 90% des quotidiens fédéraux de qualité sont subventionnés. Que dire de la qualité de l'auditoire qui devient médiocre, ce qui est également lié au problème de la publicité qui est souvent remplacée par des articles sur commande qui nuisent encore plus à la réputation des journaux. En fin de compte, la part des journaux dans la consommation de l'ensemble des médias se réduit, on observe une diminution des jeunes lecteurs. En raison des tentatives de changer la présentation de l'information et le design, ainsi que de l'introduction de couleurs, les frais de production augmentent.

Les observateurs qui étudient le marché tirent la conclusion suivante: pour survivre, les journaux sont contraints de se transformer en produits multimédias. La presse écrite existera, au mieux, sur un pied d'égalité avec Internet, les blogs qui se transforment en une véritable sous-culture journalistique, et bien d'autres produits encore. Et cela ne concerne pas seulement Libération, qui ne révèle que trop les problèmes du marché en général.

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