L'automne, début traditionnel des saisons politiques en Russie, commence cette année sous le signe des législatives qui auront lieu dans un an et seront suivies d'une présidentielle quelques mois plus tard. En fait, il marque le début de la campagne présidentielle qui risque d'être rapidement avortée pour les candidats qui ne sauront jauger les possibilités de l'un ou l'autre concurrent, apparemment favori ou outsider. Il est donc temps de comparer les cotes de popularité des principaux hommes politiques et les degrés de confiance dont ils jouissent auprès de la population.
A l'heure actuelle, il est déjà plus ou moins évident que le chef de l'Etat n'acceptera pas de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat. Cette situation est étrangement gênante pour une partie considérable des élus russes qui seront obligés de miser sur d'autres leaders en tâchant de ne pas se tromper, car le successeur "officiel" n'a pas encore été annoncé nommément. En renonçant à négliger la Constitution, Vladimir Poutine brise l'habituel tableau électoral: car si les élections se déroulaient aujourd'hui et que le président en exercice était parmi les candidats, il serait soutenu par 50% des électeurs, selon la fondation "Opinion publique" (FOM). Ses concurrents les plus proches - le populiste Vladimir Jirinovski et le communiste Guennadi Ziouganov - pourraient recueillir 5% des suffrages chacun et le premier vice-premier ministre Dmitri Medvedev, qui passe pour un des candidats à la succession de Poutine, n'en obtiendrait que 2%.
La situation change quand les sociologues excluent Poutine de leur questionnaire. Là, à en juger par les résultats du Centre Levada, il y a quatre leaders évidents: toujours Vladimir Jirinovski et Guennadi Ziouganov, habitués des campagnes électorales depuis les années 1990, et deux candidats à la succession: Dmitri Medvedev et le ministre de la Défense, Sergueï Ivanov. Les leaders de la course à la présidentielle sont Dmitri Medvedev et Vladimir Jirinovski (10% du nombre total des personnes interrogés chacun). En ce qui concerne les sondés qui se rendront sans faute aux urnes et se sont déjà déterminés, ils mettent Dmitri Medvedev en tête de la course avec 22%, suivi de Vladimir Jirinovski (20%), Guennadi Ziouganov (17%) et Sergueï Ivanov (16%).
Il se trouve que les électeurs qui ne sont pas très actifs actuellement et ne suivent pas l'évolution des événements ont très bien compris le message du président: le successeur éventuel est Dmitri Medvedev.
La cote de popularité du premier vice-premier ministre responsable des Projets nationaux, autrement dit du niveau de vie de la population, n'a cessé de monter tout au long de l'année. Au début, le rythme élevé de cette croissance lui a été communiqué par le soutien présidentiel et un puissant appui médiatique: Dmitri Medvedev s'occupe des problèmes civils quotidiens auxquels est confronté l'homme de la rue et reste présent en permanence sur le petit écran, tandis que son concurrent Sergueï Ivanov, qui a la charge des questions militaires, apparaît un peu moins dans les médias. Mais il reste beaucoup de temps avant le scrutin et un échec dans la réalisation de sa mission risque de détruire sa popularité élevée. Il est pourtant évident que Dmitri Medvedev a de bonnes chances de rester en tête du classement préélectoral.
Fait surprenant: la volonté de voter pour un candidat n'est pas synonyme de la confiance qu'on lui porte. C'est un des paradoxes strictement russes de la psychologie politique des masses. Certes, coté confiance, les leaders sont les mêmes que pour la popularité, d'après les sondages réalisés par la FOM, le Centre Levada et le Vtsiom (Centre national d'étude de l'opinion publique). Mais parmi les hommes politiques occupant les premières lignes sur cette liste on trouve, outre le président en exercice, Vladimir Jirinovski qui se positionne surtout comme un showman politique et l'éternel ministre des Situations d'urgence, Sergueï Choïgou, qui exploite avec habileté son image de "sauveteur qui accourt à la rescousse". Comme par le passé, mais pas autant qu'avant, les électeurs font confiance au leader des communistes Guennadi Ziouganov. Les deux successeurs ont atteint à peu près le même niveau de confiance. D'après les sondages du Centre Levada, Sergueï Ivanov a devancé Dmitri Medvedev. D'après la FOM, la situation est contraire. Le Vtsiom affirme, lui, qu'ils sont ex aequo: 8% chacun.
La confiance suscitée par la situation en Russie est un critère très spécifique. Les Russes comptent sur Vladimir Poutine parce qu'ils ne voient pas d'autre figure et sont fatigués par la politique. 39% personnes interrogées par le Centre Levada pensent que l'objectif principal de l'élite politique fédérale est de rester au pouvoir et non pas d'améliorer la situation dans le pays. Seulement 1% des sondés croient influer sur la politique et l'économie et un quart d'entre eux n'ont même pas envie d'exercer la moindre action sur la vie du pays. Autant dire que la confiance au sens propre du terme n'est applicable aux hommes politiques que de façon purement conventionnelle.
Les sondages montrent que l'électeur votera et fera confiance au candidat indiqué par le président en exercice. Il faut seulement que cette "indication" lui soit donnée d'une façon claire et nette. Car l'électeur n'aime pas les allusions.