Le chef de l'Etat russe et des experts internationaux de renom participent à ce forum organisé annuellement au nord-ouest de la Russie centrale.
Question: Avant le début des discussions officielles du forum de Valdaï, vous avez eu l'occasion de rencontrer Vladimir Poutine en personne. Quel a été le sujet de votre entretien?
Réponse: A la veille de la rencontre officielle, j'ai posé quelques questions à M. Poutine. Tout d'abord, j'ai demandé s'il était facile pour le président de s'entretenir avec nous sans protocole, sans conseillers ni assistants et de répondre à des questions souvent difficiles. Puisque les hommes politiques sont très prudents... Et le chef de l'Etat a répliqué qu'il ne se considérait pas comme un homme politique. "Je me considère tout simplement comme un citoyen devenu président. Pour moi, la carrière politique n'a jamais été une fin en soi", a-t-il dit.
Vladimir Poutine estime que les décisions qu'il prend se fondent sur son sentiment moral de ce qui est juste. Il ne considère pas ses décisions du point de vue de sa carrière, n'analyse pas comment elles seront accueillies par ses sympathisants, etc. J'ai supposé alors qu'il lui était difficile de travailler avec les politiques. Il a confirmé ma supposition. "Nous avons des mentalités différentes", a-t-il expliqué.
Au fur et à mesure de notre conversation, j'ai commencé à me rendre compte que M. Poutine cherchait de plus en plus à trouver des correspondances entre les décisions à prendre et son système intérieur de valeurs. Tout récemment, Vladimir Poutine se présentait comme un "animal politique", rude, cruel, qui savait ruser et faire des démarches inattendues. Et soudain, voilà qu'il se met à parler de l'importance de la composante morale.
M. Poutine a indiqué: "Vous savez, en Russie, tout se fonde sur deux choses: sur ce qui est bon pour le pays et sur la confiance du peuple. C'est pourquoi je prends des décisions en me laissant guider par ces deux facteurs". Ensuite, il a ajouté être conscient du fait qu'en tant qu'homme politique, il n'aurait jamais dû adopter certaines décisions. Mais en tant que citoyen de son pays, il les a adoptées, tout en sachant qu'elles seraient désapprouvées, en premier lieu par les élites.
"En fin de compte, il m'importe que le peuple comprenne un jour que j'avais raison", a affirmé le président. Et ceci témoigne, je pense, du fait que le chef de l'Etat cherche à être en paix avec lui-même, en tant que personne qui a dirigé pendant de nombreuses années un pays traversant une période critique. Il me semble que pour lui, une certaine équité morale est un sentiment très important. C'est le sentiment d'une personnalité politique sur le départ, du moins du poste qu'il occupe actuellement.
Q.: Qu'a dit le président à propos de l'année 2008 [l'année de l'élection présidentielle en Russie - ndlr.]?
R.: Je suis certain que M. Poutine ne sait pas encore qui sera son héritier. Mais évoquant des problèmes qui s'imposeront à son successeur, il a fait ressortir les prix élevés du pétrole qui ont engendré des attentes absolument injustifiées. Il a mis l'accent sur le développement du système politique et la création d'un multipartisme réel. Une autre tâche à accomplir pour le successeur de M. Poutine consiste à développer les collectivités locales et à améliorer les relations entre le centre fédéral et les régions. Le président a également souligné la nécessité d'atteindre des rythmes accélérés de croissance économique et de diversifier cette dernière. C'est sur cette base qu'il faut résoudre les problèmes sociaux, estime-t-il.
Q.: Est-ce que M. Poutine a évoqué ses plans pour l'après-2008?
R.: Lorsque le président m'a confié ne pas être un homme politique, je lui ai dit: "Monsieur le président, on a l'impression que vous n'avez pas réussi votre carrière. Il vous faudrait en commencer une autre". Ce à quoi il a répliqué qu'il y songeait justement. J'ai alors suggéré que les politiques pourraient perdre également les prochaines élections, et j'ai eu la réponse suivante: "J'y suis indifférent. Je vois plus loin que les prochaines élections".
Autant que je l'ai compris, M. Poutine réfléchit sur le plan stratégique, notamment sur des questions ayant trait à la politique extérieure. Il a beaucoup parlé des Etats-Unis, de l'Europe, de l'Irak et du Kosovo. En ce qui concerne le Kosovo, il a indiqué que la Russie recourrait à son droit de veto au Conseil de sécurité de l'ONU si elle n'était pas d'accord avec la décision proposée. M. Poutine a souligné l'importance historique des traités frontaliers et d'amitié et de coopération avec la Chine, qui ont été d'après lui sous-estimés.
Q.:Le président a indiqué lors du forum que d'ici 10 ou 15 ans, jusqu'à 30% des livraisons russes de pétrole et de gaz seraient destinées à l'Asie. Ces évaluations sont-elles réalistes, d'après vous?
R.: Je considère cette déclaration comme politique. M. Poutine n'a présenté aucun calcul. La Russie essaie plutôt d'exercer une pression sur l'Europe, qui évoque la nécessité de diversifier ses sources d'énergie. Sur le plan général, la Russie commet une erreur en transportant son pétrole et son gaz par canalisations au lieu de construire des tankers. Le pipeline est la solution la plus rigide. On y investit des milliards sans pouvoir jamais changer sa direction. Par ailleurs, c'est la sécurité du pays qui en dépend.