Le repartage de l'espace

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Par Andreï Kisliakov, RIA Novosti

L'astronomie contemporaine nous enseigne que l'Univers, tel un organisme vivant, est en constante évolution. De gigantesques masses d'énergie accumulées çà et là engendrent des explosions et des perturbations extraordinaires au point que l'espace apparaît comme une grande arène où s'affrontent passions et ambitions.

On observe quelque chose de similaire dans l'astronautique mondiale contemporaine. Là aussi il y a des perturbations et même de petites explosions. Inutile d'espérer, avec l'apparition de nouveaux pays sur l'échiquier spatial, que la paix s'instaure dans les rapports entre les principaux acteurs de l'astronautique.

Tout était simple et clair il y a encore 15 ans, quand les deux et uniques grandes puissances menaient, de succès en échec, une compétition politico-militaro-spatiale. Depuis quelques années, deux autres acteurs ambitionnent non seulement de se tailler un créneau dans l'astronautique, mais aussi de s'emparer du leadership des deux premiers. Il s'agit, bien entendu, de l'Europe et de la Chine.

La question qui se pose d'abord est de savoir ce qui est à repartager, en effet, dans l'espace circumterrestre et au-delà. Car il n'y a pas de contradictions politiques ou militaires sérieuses entre, disons, les Etats-Unis et l'Union européenne, tandis que l'intransigeance qui régnait dans les rapports russo-américano-chinois n'est plus de mise.

Contrairement aux décennies passées, quand elle était encore quelque chose d'extraordinaire et de surnaturel, l'astronautique est d'ores et déjà devenue un domaine sans lequel le monde d'aujourd'hui ne peut se développer. Des doctrines militaires contemporaines au simple coup de téléphone, tout dépend du degré de développement de l'astronautique nationale ou de la possibilité d'utiliser les services "spatiaux" en qualité de client.

Il va de soi que les grandes puissances préfèrent réaliser leurs propres programmes d'exploration et de mise en valeur de l'espace circumterrestre et plus lointain. Plus un Etat parvient à maîtriser d'aspects de l'astronautique, plus il récolte de dividendes économiques sous formes de produits de haute technologie et d'informations. Sur le plan politique et moral, le prestige international de l'Etat se renforce, la conscience sociale grandit, et la confiance de la population vis-à-vis de son gouvernement se consolide.

Chaque pays aimerait bien avoir la possibilité de développer ses propres programmes pilotés dans l'espace, d'organiser des vols interplanétaires de longue durée, de créer des constellations satellitaires à des fins civiles et militaires, de participer aux différents projets scientifiques en cours ou de construire une infrastructure terrestre développée. En un mot, c'est la lutte pour le plus grand nombre de cases cochées dans le tableau des possibilités qui détermine les rapports entre les grandes puissances spatiales. Mais qui sont, en effet, les principaux acteurs de l'astronautique?

Commençons par l'est. Selon les experts européens et américains, un quart de million de personnes sont employées dans l'industrie spatiale chinoise, alors que les Etats-Unis ne peuvent pas se permettre plus de 75.000 personnes. D'ici quelques années, Pékin envisage de porter à 100 le nombre de ses satellites en activité. Il poursuit le développement d'un lanceur lourd susceptible de placer en orbite basse jusqu'à 25 tonnes de charge utile. En 2017, la Chine doit lancer une station automatique sur la Lune, et un premier taïkonaute pourrait fouler le sol lunaire dix ans plus tard.

La Chine semble donc déterminée à cocher toutes les cases. Réussira-t-elle? Sans nul doute. Car une fois goûté le succès de ses propres réalisations, mais aussi compte tenu des spécificités du caractère national auxquelles s'ajoutent des milliards de dollars d'investissements, la Chine est parfaitement capable d'y parvenir, et sans l'aide de personne.

Les Etats-Unis, eux, exploitent presque 1.500 satellites et disposent d'un immense parc de lanceurs avec toutes les infrastructures terrestres nécessaires. Le budget spatial 2007 est de 16,8 milliards de dollars, et quand Washington affirme qu'il compte réaliser seul ou presque tous ses projets, personne n'en doute.

Pékin s'intéresse-t-il aux réalisations spatiales de Washington, et vice versa? Sans nul doute. Mais si la Chine, vexée car évincée du programme ISS, cherche à éviter de manifester ouvertement son intérêt pour les projets américains, la NASA compte envoyer au mois de septembre à Pékin son directeur Michael Griffin. Sur le plan politique, plusieurs membres du Congrès, tels Frank Wolf et Tom DeLay, craignent sérieusement que la Chine ne dépasse bientôt les Etats-Unis dans les recherches interplanétaires.

Comme les Chinois, les Européens se considèrent pratiquement évincés du programme ISS et sont fâchés contre les Etats-Unis. C'est pourquoi, aujourd'hui, la priorité pratique des Européens est la possibilité d'envoyer leurs astronautes dans l'espace. Une place de choix est également réservée à la réalisation du programme européen de navigation par satellite Galileo.

Or, absorbés par leurs propres problèmes, les Etats-Unis et la Chine sont loin de considérer la coopération spatiale comme un instrument leur permettant de parvenir à leurs fins. D'où le souci des Européens de développer une coopération avec Moscou.

Reste à savoir, enfin, si cette coopération profite ou non à la Russie. Les avantages de la coopération internationale et des projets économiques conjoints sont indiscutables, mais tout ce qu'on observe aujourd'hui sur l'échiquier spatial russe n'est pas toujours réjouissant.

Malgré la croissance accélérée des investissements, l'argent continue de manquer. Il y a aussi l'irrésistible volonté de se développer tous azimuts. Il est clair que cela est impossible, mais il n'est pas moins clair que la tentation est forte d'attirer des investissements de sources extérieures, ce qui implique une dépendance par rapport à l'investisseur.

Le programme Kliper, projet très prometteur du constructeur spatial russe Energia, en est un exemple. Le milliard de dollars nécessaire pour lancer le projet n'ayant pas été trouvé, le programme a dû être modifié, et les concepteurs ont opté pour la modernisation du vieux vaisseau Soyouz. L'Agence spatiale européenne (ESA) a accepté de financer le projet, sans doute dans le respect de ses propres intérêts.

Au-delà de Kliper, on évoque aujourd'hui la mise en valeur industrielle des gisements d'hélium de la Lune. Pour l'instant, la Russie est incapable de créer un système de transport réutilisable, même si on parle de travaux fantastiques à effectuer sur la Lune qui demandent, d'ailleurs, tout un parc de cargos. Le débat même à ce sujet coûte de l'argent budgétaire.

Si nous continuons à nous en tenir au principe "nous sommes grands, car nous avons de grands objectifs", nous risquons de tout perdre. Mais, à regarder les choses de manière réaliste, les priorités sautent aux yeux. Nous avons un grand potentiel dans le domaine des lanceurs. On pourrait y concentrer nos efforts et s'accaparer 70 à 80% du marché, contre les 40% actuels.

On pourrait aussi concevoir un moteur-fusée moderne et incontournable, à l'instar du RD-180 qu'on achète toujours bien aux Etats-Unis. Seulement, pour y parvenir, il faut s'adonner à des tâches pratiques et parfois routinières. Le repartage de l'espace se ferait alors en douceur.

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