La centrale de Bushehr, c'est aussi l'image de la Russie

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Par Tatiana Sinitsyna, RIA Novosti

Le vice-président de l'Organisation de l'énergie atomique de l'Iran (OEAI), Mahmoud Jannatian, a récemment séjourné à Moscou. Il était accompagné par le responsable du chantier de la centrale nucléaire de Bushehr et le représentant technique de l'OEAI en Russie. Les Iraniens ont eu plusieurs rencontres d'affaires avec des représentants des sociétés russes "Atomstroyexport" et "Rosenergoatom".

M.Jannatian est une personnalité relativement nouvelle dans le milieu des savants atomistes iraniens. Il a été nommé à ce poste élevé avec pour mission première d'achever le chantier de Bushehr. Les Iraniens en avaient assez d'attendre le lancement de leur première centrale nucléaire qui aurait dû avoir lieu voici trente ans. Tout d'abord les Allemands avaient abandonné le chantier quasi prêt en 1980, date du début de la guerre irano-irakienne (1980-88) pour ne plus jamais revenir. Par la suite les Russes se sont chargés de l'achèvement des travaux et maintenant ils font traîner ceux-ci en longueur.

En Russie Mahmoud Jannatian s'est immédiatement rendu à la centrale nucléaire Kalininskaïa (région de Tver), pour s'y initier au fonctionnement du réacteur N°3 - le "jumeau du réacteur de Bushehr - mis en service il y a un an. Il a pu aussi observer en action le système automatisé de gestion des processus technologiques (ASU TP) de nouveau niveau, dont le réacteur N°3 a été doté. Ensuite les atomistes iraniens ont fait un saut jusqu'à Elektrogorsk, dans les environs de Moscou, où ils ont vu de leurs propres yeux l'ASU-Bushehr, conçu par les spécialistes du Centre de sécurité des centrales nucléaires.

Evaluant les pourparlers que la délégation iranienne a eus avec la partie russe, le chef de l'Office d'"Atomstroyexport" pour la construction de la centrale nucléaire en Iran, Vladimir Pavlov, a souligné que le dialogue avec les collègues iraniens avait été positif, exempt de tensions et de contradictions. Les chercheurs iraniens ont pu voir tout ce qu'ils voulaient et obtenu des réponses à toutes leurs questions. Ce qui a été débattu? Cette fois les négociations ont surtout revêtu un aspect commercial.

En principe les rencontre d'affaires entre le client et le maître d'oeuvre sont des plus courantes, ces "deux-là" ont toujours des choses à se dire, surtout tant que le site n'a pas été livré clé en main. Seulement le fait est que la remise de la "clé" de la centrale nucléaire de Bushehr avait été fixée la dernière fois au mois d'octobre 2006 et qu'elle a encore été reportée d'un an au minimum. Le directeur de l'Agence fédérale pour l'énergie atomique, Sergueï Kirienko, a promis que la centrale en question entrerait en service dans le courant du second semestre de 2007, en soulignant que le calendrier de la fin des travaux serait "strictement respecté". Vladimir Pavlov affiche le même optimisme: "Il n'y a là aucun secret: le lancement de la centrale aura lieu conformément au calendrier que nous signerons". Seulement où est-il ce calendrier? Pour l'instant les partenaires ne l'ont pas entériné. Ce qui signifie que des questions, des indéterminations empêchent encore la conclusion de cet acte d'importance.

Il faut se souvenir qu'au cours de la réalisation du chantier plusieurs calendriers avaient déjà été établis et qu'ils n'ont jamais été respectés. C'est que le projet auquel la Russie s'est attelée est vraiment exceptionnel et n'a pas d'analogue dans le monde. Les ingénieurs russes ont dû littéralement se "creuser la cervelle" pour arriver à "associer" les vestiges du projet de la corporation Siemens au modèle russe de centrale nucléaire.

Le bâtiment abritant le réacteur avait fortement été endommagé par des missiles pendant la guerre. Après la fin du conflit personne n'avait accepté d'achever ce site nucléaire défiguré par la guerre: un travail de forçat! Le seul pays à avoir répondu à la demande de l'Iran avait été la Russie. A cette époque, l'URSS venait de se désagréger, la Russie traversait une gravissime crise politique, économique et sociale, elle était en état de choc. Les spécialistes qui travaillent actuellement à Bushehr disent tous la même chose: Plaise à Dieu qu'un autre chantier comme celui-ci nous soit épargné!"

Le site était resté près de vingt ans sous l'effet des éléments. Pourtant, le plus difficile n'avait pas été de reprendre les travaux. Les choses avaient été bien plus compliquées avec les équipements. Siemens avait déjà livré quelque 35.000 éléments dont beaucoup avaient rouillé et s'étaient dégradés. La commission russo-iranienne conjointe avait procédé à une expertise technique colossale et finalement pas plus de 5.000 de ces éléments d'équipement avaient été déclarés utilisables. Et puis leur encombrement et leur agencement n'étaient pas adaptés au projet russe. Un nouvel équipement était également nécessaire.

Le temps passait. Des problèmes de caractère politique autour de l'Iran étaient aussi intervenus, ce qui avait ralenti les choses. Washington exerçait des pressions sur Moscou, réclamait de lui qu'il abandonne le chantier, mais celui-ci avançait, peut-être avec la lenteur d'une tortue, mais il avançait quand même.

Actuellement, la partie travaux est achevée à 92%. Le réacteur est prêt à 75%, ce que les partenaires ont rappelé lors de leur récente rencontre à Moscou. Une rencontre qui n'aurait rien eu d'extraordinaire si elle n'avait pas coïncidé avec une nouvelle tension de la situation politique autour de l'Iran. La mise en service du site est un thème très douloureux pour la société iranienne. Cependant, on ne saurait oublier qu'il est sensible pour la Russie également. C'est qu'il y va de son image. Car l'achèvement de la centrale nucléaire de Bushehr permettrait à la Russie de montrer à la face du monde qu'elle possède un potentiel technique et technologique digne d'une puissance nucléaire. Ensuite, pour la Russie c'est une question d'honneur que de remplir ses engagements de partenaire vis-à-vis de l'Iran.

Il y a quelques mois, un groupe de travail bipartite spécial avait été mis en place pour éliminer les obstacles gênant l'achèvement du chantier. De l'avis du patron de Rosatom, Sergueï Kirienko, les retards intervenus dans la fabrication et l'acheminement de certaines parties constituent l'une des raisons essentielles du ralentissement des travaux. Dans le même temps, il a révélé les projets ambitieux de son département qui entend lancer une campagne d'expansion mondiale de l'électronucléaire russe, ce qui devrait se traduire par la construction d'ici à 2030 de 40 à 60 centrales nucléaires.

"De ce point de vue, la centrale nucléaire de Bushehr pourrait grandement valoriser les potentialités russes, estime le politologue du Pir Centre, Anton Khlopkov. C'est la raison pour laquelle en dépit des pressions politiques exercées depuis onze ans par les Etats-Unis la Russie continue de construire l'ouvrage. L'Iran est un centre géopolitique très important, un pays possédant de formidables réserves d'hydrocarbures, ce qui le rend "particulier" par rapport aux autres Etats, estime Anton Khlopkov. La Russie mène une politique offensive, visant le développement des rapports avec l'Iran. Les Etats-Unis le voient bien et cela ne les rend guère optimistes. C'est qu'ils ne voudraient pas laisser échapper les perspectives économiques de la niche iranienne".

Pour le politologue russe, le lancement du réacteur pourrait avoir lieu en 2007, à condition que la crise autour du programme nucléaire iranien prenne fin et que des sanctions économiques globales ne soient pas décrétées.

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