Le G8 et la question de la "démocratie souveraine"

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Par Piotr Romanov, RIA Novosti

Le sommet du G8 qui a pris fin lundi à Saint-Pétersbourg a suscité une avalanche de commentaires. Mais, au-delà des raisonnements généralement évoqués, arrêtons-nous sur un dossier curieux qui ne figurait pas à l'ordre du jour officiel et n'a été formulé par personne, celui de l'indépendance et de la souveraineté dans les rapports entre les différents pays réputés démocratiques. Dans le contexte d'un monde unipolaire dominé par les Etats-Unis et vu l'obstination des Nord-Américains à ennoblir l'humanité tout entière en lui imposant sa vision de la contemporanéité, ce thème se profilait nettement aussi bien au cours des négociations bilatérales de Washington avec les autres membres du G8 que pendant le débat général.

Le dossier est d'autant plus curieux qu'une partie de la classe politique russe a récemment ajouté à son vocabulaire la notion de "démocratie souveraine", un nouveau terme à la mode apparu en réaction à deux phénomènes hélas contradictoires: d'une part, le renforcement évident et historiquement rapide de la Russie qui se traduit naturellement par la consolidation de son indépendance et l'importance croissante de sa voix sur l'échiquier international et dans l'économie mondiale, quoique essentiellement dans le domaine de l'énergie, et, de l'autre, la montée évidente et non moins rapide des préoccupations et du mécontentement dans les milieux influents américains. Si la logique conseille de développer le partenariat avec la Russie au fur et à mesure de son renforcement, au lieu de chercher la confrontation, la vie, surtout politique, n'est jamais idéale. On voit ressurgir de plus en plus souvent les vieux stéréotypes de la guerre froide.

Cela peut sembler paradoxal, mais la démocratie américaine devient jalouse face au renforcement de la démocratie russe à laquelle elle reproche à tout instant de n'en être pas la copie conforme. Une absurdité, car si toutes les démocraties du monde se servent des mêmes outils démocratiques, elles suivent chacune leur voie compte tenu de leurs particularités et de leurs traditions nationales. La France ne ressemble pas à la Suède, comme l'Espagne est différente du Japon, ou les Etats-Unis de la Suisse. Et, en dépit du succès de chacun de ces modèles, un observateur averti finira toujours par déceler des faiblesses, de petits péchés et des bêtises.

Les Etats-Unis ne sont pas en reste. Rappelons un fait curieux par lequel a commencé le sommet de Saint-Pétersbourg. A peine venait-il de fouler le sol russe que le président américain a rencontré une dizaine d'organisations non gouvernementales (ONG) russes, alors même que Vladimir Poutine avait eu peu de temps avant une longue conversation avec plusieurs centaines de délégués venus du monde entier, pour transmettre ensuite leurs voeux aux dirigeants du G8. Mais peu importe l'arithmétique: le plus drôle est que les interlocuteurs russes de George W. Bush lui ont transmis une doléance des ONG des Etats-Unis dans laquelle elles demandent que les représentants de la société civile américaine soient enfin reçus à la Maison Blanche. Alors qu'il donne aux Russes des leçons de démocratie, le président américain fait peu de cas (!) des ONG dans son propre pays.

Autre fait curieux: lors d'une conférence de presse qui a suivi les pourparlers bilatéraux avec son homologue russe, le locataire de la Maison Blanche, même s'il avait promis avant le sommet de ne pas s'ingérer dans les affaires intérieures de la Russie, n'a pu s'empêcher de conseiller aux Russes de suivre l'exemple démocratique de l'Irak (!). Extrêmement poli vis-à-vis de ses invités pendant le sommet, Vladimir Poutine lui a tout de même répliqué, sous les applaudissements approbateurs et les ricanements ironiques des journalistes: "Honnêtement, nous n'aimerions pas avoir une démocratie du type de celle de l'Irak". S'agit-il d'une improvisation malheureuse du président américain? Ou bien l'élite politique américaine est-elle si éloignée de la réalité pour croire vraiment que la "démocratie" irakienne, qui ne s'appuie que sur les baïonnettes des occupants, soit justement le rêve des Russes?

Il est difficile de comprendre pourquoi cette démocratie caricaturale satisfait les Américains, ne fût-ce parce que les autorités irakiennes, contrairement à Moscou, sont prêtes à se plier à n'importe quel caprice de la Maison Blanche. C'est là, sans doute, le principal critère du succès et de la bonne politique aux yeux de la démocratie américaine. D'ailleurs, l'exemple irakien ne fait pas exception. Le président américain aurait pu citer les régimes en place en Ukraine ou en Géorgie qui prêtent oreille à chaque parole de Washington comme si c'était la voix du Très-Haut. Quand le président ukrainien Viktor Iouchtchenko a décidé de limoger sa première ministre Ioulia Timochenko, celle-ci est allée se plaindre à l'ambassadeur américain. Sans l'ambassade des Etats-Unis, la vedette de la scène politique ukrainienne est aujourd'hui incapable de survivre.

Lors du sommet de Saint-Pétersbourg, chacun des dirigeants du G8 gérait à sa manière ses relations avec Washington. Londres qui a depuis longtemps bâti ses relations avec les Etats-Unis manoeuvre exactement dans le sillon de la politique américaine. La France, au contraire, persiste à défendre l'indépendance de son point de vue. Paris et Washington sont divisés sur le Proche-Orient, ce que la conférence de presse donnée par les présidents George W. Bush et Jacques Chirac a bien démontré. Comme la Russie, la France ne fait pas partie des chouchous américains. Du point de vue de Washington, les Français devraient donc eux aussi prendre des leçons de démocratie en Irak.

Autrement dit, on comprend bien les raisons de la naissance du terme de "démocratie souveraine", même si ce dernier paraît malheureux, car la vraie démocratie, compte tenu des intérêts nationaux de chaque pays, ne peut pas, par définition, ne pas être "souveraine", sinon il n'est plus question de démocratie. La "démocratie souveraine" serait donc un pléonasme.

L'Espagne qui, en respectant la volonté de sa population, a évacué ses soldats de l'Irak, sans se demander si cette démarche plairait ou non aux Etats-Unis, fournit un bon exemple de la souveraineté dans le contexte de la démocratie.

La Russie, elle, suivra le chemin qu'elle a jugé nécessaire d'emprunter, un chemin qui mène à une démocratie entière et efficace, mais un chemin typiquement russe, à l'instar des Français qui suivent la voie française, ou des Espagnols qui suivent la voie espagnole. Un état de choses que Washington finira bien par accepter.

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