Pour les experts, le départ des réservistes américains de Feodossia traduit la volonté des Etats-Unis de ne pas gêner le président ukrainien, Viktor Iouchtchenko.
Alors que de plus en plus souvent on compare la Crimée au Maidan, les changements d'attitude des militaires américains sont bien compréhensibles. "Exacerber la situation en Crimée n'aurait pas fait le jeu de Iouchtchenko et en retirant les réservistes les Américains lui ont fait une amabilité", écrit la Gazeta citant le directeur de l'Institut kiévien de Stratégie nationale, Konstantin Bondarenko.
Rappelons que les derniers des militaires américains qui étaient arrivés à Feodossia le 27 mai pour y construire des hangars et une caserne sur le polygone Starokievski ont quitté le territoire criméen lundi. Les exercices américano-ukrainiens Sea-Breeze 2006 sont donc terminés avant même d'avoir commencé. La Rada suprême décidera mercredi du retour ou non des militaires étrangers en Crimée. Pour l'instant les experts se demandent ce qui a bien pu provoquer cette réunion d'urgence et à quelles fins l'OTAN a opéré un mouvement de repli vers l'Ouest.
Selon la version officielle avancée par le ministère ukrainien des Affaires étrangères, les réservistes américains ont quitté Feodossia en raison de l'expiration de la période qu'ils doivent effectuer tous les ans. Cependant, la Gazeta fait remarquer que jusqu'à dimanche les militaires américains et ukrainiens ne s'étaient pas aperçus que le contrat des réservistes touchait à sa fin. Au contraire, jeudi dernier le porte-parole du ministère ukrainien de la Défense, Andreï Lyssenko, affirmait encore que les Américains resteraient en Ukraine jusqu'à la tenue des exercices Sea-Breeze 2006 ou bien jusqu'à ce que la Rada suprême décide ou non de les annuler.
Fiche technique
Les réservistes américains étaient arrivés en Ukraine en vertu d'un décret du président Viktor Iouchtchenko, alors que selon la loi c'est le parlement qui est habilité à autoriser des troupes étrangères à séjourner dans le pays. La Rada ne pouvait pas prendre une décision appropriée "antidatée" en raison de la confusion totale qui régnait parmi les députés, annonce Lenta.ru. Engager un débat sur la question de la présence de militaires de l'OTAN en Crimée aurait pu donner lieu à un règlement de comptes politiques et provoquer une scission dans les rangs des participants potentiels à la coalition. C'est la raison pour laquelle la première session du parlement ukrainien convoquée pour le 7 juin a été suspendue à peine après avoir débuté.
Depuis quelque temps la Crimée rappelle de plus en plus le Maidan: prises de parole, manifestations et actions de protestation s'y succèdent. Ce parallèle ne pouvait pas ne pas mettre sur leur garde Viktor Iouchtchenko et les gens arrivés au pouvoir sur la vague du mécontentement populaire. Un "remake de Maidan" dans le sens opposé n'entre bien sûr pas dans les plans des autorités ukrainiennes, relève Lenta.ru.
En outre, la situation à l'intérieur du pays reste très instable. Depuis le mois de mars les anciens alliés de la "révolution orange" ne parviennent pas à se mettre d'accord et à former une coalition au parlement: samedi la tension a monté de nouveau entre Notre Ukraine, le Bloc de Ioulia Timochenko (BIT) et les socialistes. Cette fois la pomme de discorde était l'exigence des socialistes de nommer leur leader, Alexandre Moroz, à la présidence du parlement. Notre Ukraine a qualifié cette démarche d'"irresponsable" et a menacé de se retirer du processus de négociation.
Signalons que le poste de président ne constitue pas la seule pierre d'achoppement dans les rapports entre Notre Ukraine et le Parti socialiste. Il est notoire que les socialistes ukrainiens, qui entendent entrer dans la coalition "orange", n'apprécient guère la présence d'Américains en Crimée. En échange de son soutien aux exercices Sea-Breeze -2006, Alexandre Moroz pourrait revendiquer non pas simplement le poste de président du parlement, comme maintenant, mais quelque chose de bien plus conséquent. Et c'est probablement le refus de Viktor Iouchtchenko de remettre en cause les chances déjà fragiles de former une coalition qui est à l'origine du retrait précipité des troupes américaines. "Un autre litige grave aurait pu être fatal à l'idée même de créer une majorité "orange" au parlement", écrit Lenta.ru.
Le délabrement de la coalition "orange" montre que pour l'instant la Rada suprême n'est pas en mesure d'autoriser ou non la tenue en Ukraine d'exercices militaires internationaux", écrit la Rossiskaïa gazeta. Rappelons que présentement les forces pro-OTAN à la Rada suprême se répartissent ainsi: les députés acquis à Iouchtchenko sont pour l'adhésion à l'Alliance, les socialistes sont contre tandis que le BIT se maintient dans la neutralité.
Maintenant il n'y a pas lieu de douter que le Parti des régions de Viktor Ianoukovitch et les communistes vont s'employer à obtenir l'interdiction totale du séjour de militaires occidentaux en territoire ukrainien. Si jamais Alexandre Moroz blackeboulé par Notre Ukraine décide de faire une crasse à Iouchtchenko et à Timochenko, alors ce n'est pas demain la veille que les militaires de l'OTAN pourront remettre les pieds en Ukraine. Au grand dam de l'Occident qui misait sur Iouchtchenko et son équipe.
A cet égard l'idée de la formation d'une coalition "orange" risque fort d'avorter et la question des rapports de l'Ukraine et de l'OTAN pourrait avoir l'effet du " brin de paille qui brise le dos du chameau", estime Lenta.ru.
L'article a été rédigé par la rédaction en ligne de l'agence RIA Novosti (www.rian.ru) sur base de dépêches de RIA Novosti et d'autres sources.