Par Youri Zaïtsev, expert à l'Institut de recherches spatiales de l'Académie des sciences de Russie
Les dirigeants ukrainiens s'emploient à consolider leur niche sur le marché des lancements spatiaux et à offrir à leur pays des perspectives stratégiques à haute rentabilité commerciale. En 2004, l'Ukraine a lancé sept fusées porteuses: trois Zenit-3SL depuis la plate-forme Sea Launch, une Zenit-2, une Cyclone-2 et une Dniepr depuis le cosmodrome de Baïkonour et une Cyclone-3 depuis le cosmodrome russe de Plessetsk. 55 lancements ayant été effectués cette année-là dans le monde entier, la part de l'Ukraine était évaluée à 12,7% du marché. En 2005, l'Ukraine a encore lancé quatre Zenit-3SL et une Dniepr, soit 5,5% de la totalité des lancements.
Il y a lieu de noter que les Tsiklon (Cyclone) et les Dniepr sont des versions dérivées du missile balistique Satan et ne peuvent donc être considérés comme ukrainiennes que de façon conventionnelle parce qu'elles ont été élaborées et fabriquées à l'époque soviétique et prises dans les arsenaux du ministère russe de la Défense. En ce qui concerne la fusée Zenit, les pièces russes qui la composent représentent 65% du coût total du lanceur.
Un rôle particulier dans les plans spatiaux ukrainiens est réservé à la fusée Cyclone. Les lanceurs de cette famille ont été utilisés jusqu'à récemment pour mettre sur orbite des appareils du ministère russe de la Défense (Cyclone-2) et pour positionner dans l'espace aussi bien des satellites militaires que scientifiques ou d'intérêt socio-économique (Cyclone-3). Les deux fusées ont une fiabilité record qui, malheureusement, s'est un peu dégradée ces dernières années.
Tsiklon (Cyclone) est le premier lanceur de toute l'histoire du matériel spatial à être doté d'une technologie originale de préparation au lancement, complètement automatique, sans la moindre intervention de l'homme, ce qui augmente considérablement la sécurité d'exploitation de la fusée. La version suivante, Cyclone-4, sera un engin encore plus puissant, capable de mettre en orbite une charge utile jusqu'à 5.350 kg. Le lanceur sera équipé d'un troisième étage, d'un système de commande et d'un capot avant permettant d'abriter des charges utiles de grande dimension.
La niche que la fusée Cyclone-4 est capable d'occuper réellement sur le marché est estimée à 4-6 lancements par an, potentiel à la limite de la rentabilité qui ne commencera à rapporter que dans dix à douze ans. Le projet est somme toute important et attractif pour l'industrie spatiale ukrainienne, vu que cette dernière envisage une large coopération avec le Brésil.
La fusée sera entièrement assemblée à l'usine Ioujmach, à Dniepropetrovsk, et expédiée en Amérique latine, au Centre spatial brésilien d'Alcantara, soit à bord du Sea Launch Commander qui est utilisé pour le transport par mer des lanceurs Zenit engagés dans le programme Sea Launch, soit par un avion An-124 Rouslan.
Une bonne partie des travaux de construction du pas de tir pour Cyclone-4 est réalisée par la Russie qui intervient en qualité de sous-traitant pour la partie ukrainienne. Principalement par le Bureau d'études sur les constructions mécaniques pour le transport, qui avait créé les centres techniques terrestres et les pas de tir pour les Cyclone-2 à Baïkonour et pour les Cyclone-3 à Plessetsk. L'Ukraine finance le projet au niveau de 50% environ de son coût global. Un crédit (de 150 millions de dollars) a été obtenu sous les garanties du gouvernement pour financer l'élaboration de la fusée et l'équipement spécial des installations au sol. Le Brésil s'est limité jusqu'à présent à accepter pleinement le calendrier des travaux, apportant au projet trois fois moins d'argent que l'Ukraine, et a pratiquement stoppé la réalisation de sa part du projet sous prétexte du retard des travaux de construction du pas de tir.
Néanmoins, le directeur général de l'Agence spatiale ukrainienne, Youri Alexeïev, a affirmé que le premier Cyclone serait lancé d'Alcantara fin 2007. On a l'impression que l'agence ferme délibérément les yeux sur les problèmes qui freinent le projet et ne cessent de se multiplier. "Il vaut mieux aller doucement que s'en aller les pieds devant", a fait remarquer un responsable de l'agence ukrainienne.
Les causes des problèmes auxquels est confrontée actuellement l'industrie spatiale ukrainienne ne se réduisent pas au sous-financement et au statut non prioritaire de la branche. Le choix stratégique actuel de la direction ukrainienne dans le domaine spatial ne trouve pas de soutien en Occident, vers lequel il est pourtant orienté. L'essentiel ici n'est pas ce que l'Ukraine veut obtenir de sa coopération avec les Etats-Unis et l'Europe occidentale mais ce qu'elle peut leur donner. Or, tout compte fait, elle n'a rien à leur offrir: les Etats-Unis sont un pays autosuffisant tandis que l'Agence spatiale européenne reste fidèle à son principe immuable: tout partenaire d'un programme finance lui-même sa participation.
Dans ces conditions, la Russie reste encore aujourd'hui plus proche de l'Ukraine que l'Europe et l'Amérique.