"Nous ne quitterons pas la CEI pour la beauté du geste"

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Interview exclusive du président Saakachvili pour RIA Novosti

A la veille du Jour de l'Indépendance de la Géorgie célébré le 26 mai le président géorgien Mikhaïl Saakachvili a répondu aux questions de Natalia Ratiani, journaliste de RIA Novosti, sur les problèmes constituant ces derniers temps des pierres d'achoppement dans les relations russo-géorgiennes.

N.R. Vous venez de rentrer du sommet du GUAM et vous repartez dans quelques jours pour Paris où se réunira l'assemblée parlementaire de l'OTAN. Quel sera l'élément principal de ce voyage?

M.S. Je n'établis pas de lien entre mon voyage à Paris et l'OTAN. Nous avons pour tâche politique importante de présenter notre pays. Le principal pour nous est de faire connaître la Géorgie, nos positions, l'identité européenne que nous revendiquons actuellement. Un discours devant les milieux d'affaires français et devant l'assemblée parlementaire de l'OTAN - ce sont 340 parlementaires de différents pays d'Europe - sera une brique de plus dans l'édifice en chantier dénommé la Géorgie.

N.R. Le président azerbaïdjanais a dit, au sommet du GUAM à Kiev, que l'Azerbaïdjan avait eu les plus mauvaises relations avec la Russie durant toutes les années 1990, mais les deux pays ont trouvé les moyens de normaliser leurs rapports. Actuellement, dans l'espace poste-soviétique, les plus mauvaises relations sont les relations entre la Russie et la Géorgie. Quelle formule aidera la Géorgie?

M.S. Pour ce qui est des mauvaises relations avec la Russie, je pense que nous rivalisons avec l'Ukraine et la Moldavie. Ce n'est pas une concurrence très agréable. Mais ce qui me réjouit, c'est que la visite du président russe Vladimir Poutine en Azerbaïdjan a été un succès. S'il venait en Géorgie, je suis sûr que nous pourrions nous entendre sur bien des choses. Il verrait de ses propres yeux notre pays et de nombreux mythes se dissiperaient.

Mais ce qui fait obstacle à l'amélioration de nos relations bilatérales n'existe pas dans les relations entre l'Azerbaïdjan et la Russie. C'est la présence directe de la Russie dans les zones de conflit. Il faut résoudre ces questions, et c'est par là qu'il faut commencer.

N.R. Mais aujourd'hui, la Géorgie et la Russie n'arrivent pas à s'entendre sur le règlement des conflits en Ossétie du Sud et en Abkhazie?

M.S. Il ne peut y avoir qu'un seul règlement. Les conflits ont beau durer, ils finiront par disparaître comme la neige de l'an passé.

Nous voudrions résoudre ces questions ensemble avec la Russie et dans l'intérêt de toutes les gens qui y habitent. En premier lieu compte tenu des intérêts de la Russie, pour ne parler que du facteur international.

N.R. Le retrait de la CEI est-il déjà une réalité pour la Géorgie ou une possibilité d'ouvrir une discussion à l'extérieur?

M.S. Les gens qui pensent que toutes nos démarches sont axées sur la politique extérieure ne comprennent pas la spécificité des pays démocratiques. Nous nous orientons sur l'électorat intérieur et sur notre population. Nous subissons actuellement un régime de sanctions économiques imposé à la Géorgie par la Russie. Naturellement, les gens demandent ce que nous avons l'intention de faire. Nous ne pouvons pas obliger la Russie à modifier sa politique, mais nous pouvons prendre des mesures pour répondre aux réalités actuelles.

J'ai toujours considéré la CEI comme une organisation utile pour nous. Si elle continue à être utile, nous ne la quitterons pas pour la beauté du geste. Cependant, notre gouvernement n'a constaté jusqu'à présent aucun avantage susceptible de nous décider à rester dans la CEI. Naturellement, nous prendrons la décision que nous jugerons la meilleure pour nous. A l'étape actuelle, ce potentiel a été perdu, mais pas définitivement.

Notre décision d'examiner l'opportunité de notre appartenance à la CEI ne signifie pas que nous nous livrons à un chantage. Tout simplement nous n'aimerions pas vivre de mythes ou de fantômes. Malheureusement, la CEI vit actuellement de conventions pures et simples.

N.R. Les analystes affirment que le GUAM est un contrepoids à la CEI. La diplomatie russe déclare ne voir dans la création du GAUM aucune menace pour la CEI ou pour la Russie. Le GUAM est-il réellement un contrepoids?

M.S. Je suis d'accord avec le ministère russe des Affaires étrangères. Seuls les adeptes des théories conspiratrices, qui raisonnent en termes de cordons sanitaires peuvent réagir négativement à l'apparition du GUAM. Plus que tout autre pays nous avons intérêt à rétablir nos relations avec la Russie dans leur totalité et à les développer. D'autre part, une réalité objective fait que, du moment que nous n'avons pas trouvé de garanties de sécurité dans le cadre de la CEI, nous sommes obligés de chercher intensivement d'autres moyens de sécurisation.

Le GUAM n'est pas une alternative à la CEI mais un instrument pragmatique pour résoudre les problèmes réels existants. Nous ne nous faisons pas d'illusions. Pour les pays du GUAM le plus grand partenaire potentiel est la Russie. Le principal objectif est d'avoir de bonnes relations avec la Russie. Ce serait une erreur que d'agir et même de penser autrement. C'est notre principe. Mais à part des principes, la vie va son train et il faut résoudre les problèmes quotidiens.

N.R. En quoi consiste le plan géorgien de règlement abkhaze?

M.S. Toutes les propositions sur l'Abkhazie reposent sur les principes suivants. Une large autonomie pour l'Abkhazie avec des garanties pour l'ethnie abkhaze, le retour de la totalité des réfugiés en Abkhazie, quelle que soit leur nationalité, le remplacement de l'opération de maintien de la paix par une opération policière pour que les gens puissent se déplacer et se contacter en toute liberté. Les soldats ne doivent pas les désunir mais, au contraire, ils doivent leur garantir une vie paisible. Naturellement, nos initiatives comportent le principe du règlement pacifique du conflit et de la participation de la communauté internationale à ce règlement.

Il faut commencer à agir car une génération nouvelle est apparue en Abkhazie, élevée dans un esprit de haine. La situation n'est pas des plus agréables. Il faut pourtant la normaliser et changer de cap. Il faut que ce processus démarre.

N.R. Beaucoup a été fait ces derniers temps pour résoudre le conflit avec l'Ossétie du Sud mais le processus rappelle la vielle formule "un pas en avant, deux pas en arrière". La partie sud-ossète réagit avec prudence aux initiatives géorgiennes. Pourquoi?

M.S. Il n'y a plus de partie sud-ossète. Il y a la partie russe et la partie géorgienne. En ce qui concerne l'Ossétie du Sud, ce sont pour nous de malheureux paysans effrayés qui parlent aussi bien l'ossète, le géorgien et le russe et qui se considèrent comme une partie de la société géorgienne, mais sont terrifiés par les blindés et les hommes que l'on appelle les soldats de la paix qui tournent autour d'eux. Cette partie sud-ossète existe mais on ne lui demande pas son avis. Nous savons à coup sûr que ces gens-là ne sont pas nos ennemis.

En ce qui concerne les négociations, le négociateur officiel est la Russie et c'est avec elle que nous devons régler ces problèmes. Plus que nul autre, la Russie pourrait organiser une très belle vie pour le peuple sud-ossète, comme pour tous les peuples du Caucase. Cela me fait de la peine de voir que ce potentiel est inutilisé.

Ils n'ont pas besoin de solutions à court terme, sous forme de pensions ou d'aide humanitaire, mais de solutions à long terme. C'est une évidence absolue.

N.R. Quelles pourraient être les autres mesures russes concernant la Géorgie après l'interdiction des vins et de l'eau minérale? A votre avis, commencera-elle à expulser les Géorgiens de son territoire?

M.S. Je ne pense pas que l'expulsion des Géorgiens de Russie puisse être préjudiciable à la Géorgie. Nous avons besoin de ressources humaines, mais pour la Russie ce serait une décision irréfléchie, une manifestation d'impulsivité plus qu'une démarche politique pondérée.

Je pense qu'en ce qui concerne les interdits nous avons fait le maximum. Si l'on invente encore autre chose, cela ne pourra plus causer grand tort. Toutes les balles ont déjà été tirées, il faut penser à ce qu'il convient de faire maintenant. Tout le monde devrait prendre conscience que pour obliger à changer de politique de tels scénarios ne marchent plus nulle part dans le monde et ne marcheront pas dans notre pays non plus.

Il faut chercher d'autres solutions. Nous sommes ouverts et prêts à entamer le dialogue sur toutes les questions.

La coexistence pacifique de la Géorgie et de la Russie n'a pas d'alternative. Nous sommes voués à vivre l'un à côté de l'autre.

N.R. A votre avis, comment la Géorgie a-t-elle pu froisser la Russie?

M.S. En Russie, je pense, un processus de reconsidération de bien des choses est en cours actuellement. La Russie recouvre ses forces, devient prospère et veut rétablir sa gloire d'antan. Seulement certains comprennent faussement cette gloire d'antan. La Russie ne sera plus grande si elle maintient la Géorgie ou la Moldavie sous ses ordres et sous sa botte. Si elle nous considère comme des amis, je pense que tout le monde y gagnera. Aujourd'hui, apparemment, la Russie est en proie à une lutte entre les gens qui voudraient nous tenir en laisse et ceux qui comprennent que les relations d'amitié n'ont tout simplement pas d'alternative.

N.R. L'opposition en Géorgie critique votre politique en général et la politique à l'égard de la Russie en particulier. Avez-vous l'intention d'y réagir?

M.S. Nous ne ferons rien pour étouffer l'opposition. Nous sommes un pays démocratique. Si cinq cents ou des milliers d'hommes descendent dans la rue, je n'en ferai pas une maladie, à l'opposé de mon collègue Loukachenko. Lorsqu'on nous attaque sur le petit écran, nous ne nous évanouissons pas et nous ne nous précipitons pas pour fermer les chaînes de télévision. Plus les critiques sont fréquentes et plus les régimes politiques sont stables. Et au contraire, plus on étouffe la critique et plus vite arrive le moment où tout s'effondre. L'Ukraine nous en a fourni un exemple. Mon ami Koutchma a contrôlé toutes les chaînes de télévision. Cela n'a pas empêché Iouchtchenko d'arriver au pouvoir.

N.R. Mais l'opposition affirme que l'Etat que vous édifiez n'est pas démocratique mais policier...

M.S. Nous édifions un Etat puissant et notre police est puissante dans la limite de la loi. D'après les sondages, 98% des Géorgiens sont très heureux de ne pas avoir besoin de donner des pots-de-vin depuis ces deux dernières années. La majeure partie de la population constate que la criminalité est en baisse.

Dans l'appareil de l'Etat l'éthique est très élevée parce que les traitements des fonctionnaires sont deux ou trois fois plus élevés qu'en Russie. A l'opposé des affirmations de certains médias, ni George Soros, ni le département d'Etat américain ne nous versent nos salaires. Nous les payons avec nos recettes fiscales. En deux ans nous avons construit un Etat. Il est jeune, mais c'est un Etat. Il n'est pas encore aussi puissant et peut-être pas tout à fait d'aplomb, mais nous travaillons et nous ne craignons pas la critique.

Naturellement il y aura une lutte lors des législatives. Si nous arrivons à réaliser tous nos programmes - il faut dire que les affaires avancent comme prévu - nous remporterons les élections. Si d'autres parviennent à persuader les gens qu'ils sont plus efficaces, alors la victoire leur reviendra. C'est cela la démocratie.

Tout le monde comprend qu'il faut respecter les règles. Nous sommes, bien entendu, enclins à exagérer. Si quelqu'un entend à la télévision russe les déclarations faites en Géorgie, il pourra conclure à la fin du monde. Chez nous chaque jour il se trouve des gens qui crient à la catastrophe mais nous continuons notre marche en avant en repoussant la fin du monde de plus en plus loin.

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