Par Anatoli Beliaïev, expert de l'Agence des technologies humanitaires, pour RIA Novosti
Le 25 mai, quelques jours après le sommet du GUAM (acronyme de Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan et Moldavie) tenu à Kiev, Douchanbe accueille une session du Conseil des chefs de gouvernement de la Communauté des Etats indépendants (CEI).
Ces deux événements ainsi que les déclarations faites ce mois-ci par de hauts responsables géorgiens et ukrainiens sur un retrait éventuel de leur pays de la CEI mettent sur le devant de la scène la question de l'avenir des processus intégrationnistes dans l'espace post-soviétique. Et aussi celle de la crise de la CEI, l'organisation la plus ancienne et la plus étendue géographiquement parlant.
Il serait prématuré de dire que la CEI est privée de perspectives. Premièrement, il est patent que les "scissionnistes" du GUAM ont tout intérêt à maintenir la coopération multilatérale dans l'espace post-soviétique dans le cadre de la CEI. Deuxièmement, une refonte de l'organisation sur une assise foncièrement nouvelle pourrait marquer le début d'une nouvelle étape de son existence.
Il est très significatif que s'ils ne ménagent pas leurs attaques contre la CEI, les présidents géorgien et ukrainien se gardent bien d'évoquer ouvertement un retrait de leur pays de la Communauté. Car ils sont conscients des avantages que procure à leurs Etats le fait d'être membre de l'organisation et du préjudice que pourraient subir leurs économies en cas de retrait de la Communauté.
Actuellement on recense dans le cadre de la CEI quelque 70 structures sectorielles coordonnant la coopération dans différents domaines: économie, défense, protection des frontières, lutte contre la criminalité organisée, transports, écologie, culture, tourisme, presse, etc. En outre, dans certains domaines les membres de la CEI jouissent de préférences commerciales appréciables tandis que plusieurs secteurs économiques affichent un niveau de coopération extrêmement élevé.
Sous ce rapport l'exemple de l'Ukraine est très significatif. Ainsi, après les déclarations de politiques ukrainiens au sujet d'un éventuel retrait de la CEI, l'Association ukrainienne des producteurs de spiritueux a immédiatement élevé la voix en rappelant le taux d'imposition zéro sur les exportations des boissons alcooliques dans les pays de la CEI et en soulignant qu'un marché des spiritueux aussi vaste n'existait nulle part ailleurs.
Les experts relèvent également qu'une rupture de la coopération dans le cadre de la Communauté causerait un grand préjudice au complexe militaro-industriel de l'Ukraine, de la Russie et de plusieurs autres pays.
Le régime de visa particulièrement avantageux est un des grands atouts de l'appartenance à la CEI, surtout pour les millions de ressortissants des "pays sécessionnistes" travaillant en Russie.
Ces avantages, de même que les craintes légitimes de l'Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie quant à un relèvement des prix des hydrocarbures russes jusqu'au niveau du marché, comme pour les Républiques baltes (Estonie, Lettonie et Lituanie) de l'espace post-soviétique hors-CEI, incitent les "scissionnistes" à louvoyer et à déclarer qu'ils "étudiaient" la question de l'opportunité de leur présence au sein de la Communauté.
Pour la Russie, la CEI est une zone importante d'intérêts variés. Ayant cessé de revendiquer le statut de grande puissance, la Russie s'emploie à rester au moins une puissance régionale et elle entend appliquer les efforts qu'il faudra dans cette direction en vue de conserver et de renforcer la CEI en qualité de mécanisme permettant de parvenir à cet objectif.
Car en dépit des positions antirusses non équivoques des trois leaders du GUAM (le quatrième, l'Azerbaïdjan, est enclin à la coopération avec la Russie), les processus politiques dans les pays "scissionnistes" pourraient les pousser à rentrer dans le giron de la CEI. Notamment à la suite du remplacement des dirigeants en Géorgie et en Moldavie, des pays dont la population est confrontée à des difficultés économiques résultant de la dégradation des relations avec la Russie. La chose serait possible aussi après la formation probable en Ukraine d'un gouvernement "bleu-orange", qui serait contraint de tenir compte des positions pro-occidentales des "révolutionnaires oranges" et pro-russes des élites et de la population "bleues" des régions orientales de l'Ukraine. C'est la raison pour laquelle la Russie et ses partenaires de la CEI maintiennent toujours ouvertes les portes de la coopération avec les "scissionnistes".
D'un autre côté, Moscou est pleinement conscient que les dirigeants "orange" du GUAM s'attachent à obtenir le maximum tant de la CEI et de la Russie (sous forme de maintien des avantages dont jouissent les pays membres) que de l'Occident (sous forme d'aides diverses et de démarches en vue d'une intégration rapide dans les structures européennes), pratiquant un véritable chantage en menaçant chacune des parties rivales de se rapprocher de l'autre.
Une autre question se pose cependant. Les membres fidèles de la CEI sont de plus en plus mécontents du manque d'efficacité de la Communauté et de ses structures, leur désir de restructurer les formes de la coopération grandit. Et si auparavant ces mêmes aspirations n'avaient pas débouché sur la prise de décisions réformatrices, la scission de l'espace post-soviétique qui se précise incite les milieux dirigeants de la CEI à refondre celle-ci en profondeur et leur montre la voie à suivre.
L'inapplication des décisions prises constituait l'une des grandes carences de l'activité de la CEI. Dans une grande mesure parce que les élites dirigeantes de la Communauté rechignaient à remettre une partie de leurs attributions aux organismes centraux de la CEI. Si bien que l'on a vu se former le "noyau intégrationniste" de la CEI composé de la Russie, de la Biélorussie et du Kazakhstan, qui ont montré aux autres pays comment on pouvait obtenir des résultats économiques dans le cadre de la Communauté économique eurasiatique (CEEA) et de l'Espace économique unique (EEU) en cours de formation.
Pour diverses raisons, la CEEA a été rejointe par des régimes post-soviétiques tournés vers Moscou (l'Arménie et des républiques d'Asie centrale à l'exception du Turkménistan). Remarquable à tous les points de vue a été la décision prises en octobre de l'année dernière d'inclure l'Organisation de coopération centrasiatique dans la CEEA. Elle a montré la vanité des tentatives des Etats post-soviétiques les moins développés pour entamer des processus intégrationnistes sans la Russie, et aussi que les dirigeants de ces pays étaient disposés à réduire leurs attributions pourvu que cela se traduise par des avancées économiques.
Par conséquent, tout indique que la réforme de la CEI passera par le transfert aux organes d'intégration des attributions des gouvernements nationaux. Etant donné que pour certains membres de la CEI (les pays du GUAM et, peut-être, le Turkménistan) ce serait perçu comme un renforcement indésirable de l'influence de la Russie, ces élites, si elles se maintiennent au pouvoir, elles s'éloigneront de plus en plus de l'organisation pour finalement arriver à un retrait formel. Quant aux membres qui resteront, ils consentiront à une réforme de la Communauté qui impliquera une transmission des pouvoirs réels aux organismes centraux. Maintenant, si les structures extrêmement lourdes de la Communauté empêchaient une accélération de ce processus, la CEI pourrait être remplacée par la CEEA dans le secteur économique et par l'Organisation du Traité de sécurité collective dans le domaine militaro-politique.