par Nikolaï Kavechnikov, chercheur à l'Institut de l'Europe de l'Académie des sciences de Russie, pour RIA Novosti
Le 25 mai se tiendra le sommet ordinaire Russie-UE. L'énergie sera sans faute une des questions de l'ordre du jour. Dans ce domaine, la Russie et l'UE sont liées aussi bien par des canalisations de transport d'hydrocarbures que par l'expérience de coopération acquise dans le cadre du Dialogue énergétique.
Malheureusement, le conflit gazier russo-ukrainien a fortifié les positions de ceux qui, parmi les Européens, ne font pas confiance à la Russie. Ces personnes malveillantes n'ont vu que ce qu'elles voulaient voir: "la Russie utilise ses livraisons de ressources énergétiques pour exercer une pression politique sur quiconque refuse sa politique impériale". Elles n'ont rien remarqué d'autre, ni le sens économique du conflit, ni le fait que l'Ukraine n'a payé pour le gaz qu'un quart de son prix pendant dix ans, ni que c'est l'Ukraine qui a siphonné le gaz destiné à l'Europe.
Cette vision européenne sélective a favorisé la transformation de la thèse traditionnelle de la sécurité énergétique de l'UE en thèse de la "sécurité face à la Russie". La position officielle de l'UE annoncée par le Conseil européen fin mars a été formulée avec plus de pondération, mais elle comporte des éléments difficilement acceptables.
Premièrement. L'Union européenne a une nouvelle fois déclaré la nécessité de diversifier les sources de livraisons.
Depuis des années l'UE s'efforce de s'asseoir sur deux chaises à la fois. Elle demande des garanties d'augmentation des livraisons russes tout en continuant sa politique de diversification des fournisseurs. En même temps, les tentatives de la Russie de diversifier ses exportations de gaz sont interprétées comme une "conspiration anti-européenne".
Il serait plus efficace de bâtir la sécurité énergétique sur l'équilibre entre la sécurité de la demande et la sécurité de l'offre. Cette dernière sécurité implique la certitude du fournisseur que la demande de matières énergétiques sera stable et qu'elle permettra de réaliser des investissements importants dans des projets à long terme.
Deuxièmement. L'UE a confirmé son intention d'obtenir que la Russie ratifie le Traité sur la Charte de l'énergie. Il est pourtant évident que ce document n'est pas équilibré et que sa ratification ne procure aucun avantage à la Russie. Il élude des problèmes très importants pour la Russie comme le transport de pétrole et de gaz par mer, le commerce du combustible nucléaire, le régime des investissements étrangers dans les réseaux de distribution. L'unique argument en faveur de sa ratification est l'afflux d'investissements étrangers en Russie qui sera, affirme-t-on, garanti si le document est ratifié. Mais les investissements arrivent depuis longtemps dans le secteur énergétique russe : à preuve la fusion TNK-BP, le champ de gaz Chtokman, le Gazoduc nord-européen.
Imposer au partenaire des conditions de coopération notoirement désavantageuses est contreproductif. Bâtie sur les intérêts d'une seule partie, la sécurité énergétique ne saurait être stable. Elle doit tenir compte des intérêts aussi bien des pays consommateurs que des pays producteurs et des pays de transit.
Troisièmement. L'UE promet de faire tout le nécessaire pour "exporter les règles du marché énergétique européen unique vers les pays voisins", vers la Russie également. Cette proposition doit être évaluée non pas du point de vue de l'identité russe ou de la souveraineté mal interprétée, mais avec pragmatisme. L'objectif du marché compétitif unique en gestation dans l'UE est de diminuer le prix du gaz pour le consommateur final. Mais la Russie met en oeuvre une politique contraire, une politique de hausse réglementée des prix. Pour la Russie, l'adoption des règles européennes signifierait la suppression du monopole de l'exportation appartenant à Gazprom et, en général, de tout contrôle des exportations. Et l'essentiel, il en résulterait inévitablement une égalisation des prix sur le "marché russo-européen commun". On comprend quelles seraient pour l'économie russe les conséquences d'une hausse des prix intérieurs du gaz atteignant ne fût-ce que le niveau des prix finlandais (400 dollars les 1000 m3). Dans ce cas, les velléités de l'UE d'imposer à la Russie son modèle d'économie de marché ne seraient plus assimilables à l'exportation de valeurs, mais relèveraient d'une "realpolitik" visant à abaisser le prix du gaz sur son propre marché en provoquant l'effondrement de la compétitivité de la Russie.
Il est impossible de bâtir sa sécurité au détriment des autres. Un système de sécurité énergétique à long terme ne peut être fondé que sur l'égalité et la prise en compte des intérêts de toutes les parties, sur l'échange d'actifs à tous les stades de la production et de la livraison de ressources énergétiques. Les livraisons de ressources énergétiques russes à l'Europe ne seront effectivement sûres que lorsque les entreprises russes et européennes se mettront ensemble à contrôler et à tirer des bénéfices tout le long du cheminement du gaz, du puits de Sibérie occidentale au dernier réchaud d'Ecosse.
Naturellement, la coopération énergétique ne doit pas se limiter aux hydrocarbures. Il existe beaucoup de projets conjoints de développement du nucléaire civil (souvenons-nous de la proposition russe de créer des centres internationaux d'enrichissement d'uranium), d'amélioration de l'efficacité de l'énergie, d'élaboration de sources d'énergie non traditionnelles dans les pays en développement dont beaucoup souffrent d'une pénurie d'énergie. Enfin l'échange de technologies peut déboucher sur des projets de recherche et d'enseignement conjoints. A cet égard, le groupe russe Rosenergoatom et British Nuclear Fuels Ltd réalisent déjà des projets communs de formation de personnels de centrales nucléaires. Les milieux d'affaires russes et européens se comportent de façon plus constructive que les diplomates. Les politiques ne feraient-ils pas mieux d'apprendre à coopérer auprès des hommes d'affaires?