Youri Filippov, RIA Novosti.
Durant les six prochains mois, la Russie assumera, pour la première fois, la présidence du Conseil de l'Europe. Ce mandat peut sembler inopportun, car depuis son adhésion il y a dix ans, la Russie n'a pas rempli tous ses engagements statutaires, et surtout, elle n'a pas aboli la peine de mort.
Si tout s'était passé comme prévu, la Russie aurait dû ratifier le Protocole N6 de la Convention européenne des droits de l'homme et abolir la peine de mort à la fin du siècle dernier. Mais Moscou a préféré un compromis et décrété un moratoire sur la peine de mort qui figure toujours dans le Code pénal comme châtiment ultime. Ce qui veut dire que les tribunaux peuvent prononcer des sentences de mort pour les crimes gravissimes, mais qu'elles ne sont pas appliquées, car le président gracie les criminels en vertu de son droit constitutionnel.
Pour le Conseil de l'Europe, la peine de mort est une question de principe, donc on peut s'attendre prochainement à un accroissement du nombre des critiques adressées au pays assumant la présidence du Conseil de l'Europe. A souligner que les Européens ne souhaitent pas particulièrement attaquer la Russie, car elle n'est pas la seule à être mentionnée lorsqu'on parle de la peine de mort. Ainsi, les délégués de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe exigent que les Etats-Unis et le Japon soient déchus de leur statut d'observateur au Conseil de l'Europe s'ils n'annulent pas avant la fin de 2006 la peine de mort chez eux.
Bref, trois membres du G8 sont critiqués pour leur non-application des principes européens en matière de respect des droits de l'homme. D'ailleurs, du point de vue des principes européens, la situation en Russie est loin d'être la plus grave, car, en Russie, il s'agit de maintenir la peine de mort dans le Code pénal uniquement pour punir les terroristes. Puisque la Russie mène, aux yeux du monde entier, une lutte incessante contre le terrorisme depuis plusieurs années, le reste de l'Europe peut attendre et transiger temporairement sur les principes. En effet, si la peine de mort au Japon ou dans certains Etats américains est, pour beaucoup, le tribut payé à la tradition, une manifestation de l'inertie de l'Etat et de sa fidélité envers les préjugés vivaces dans le peuple, par contre, en Russie, elle est dictée par la nécessité impérative de garantir la sécurité de la société. L'Europe a mis longtemps à le comprendre qui a critiqué âprement la Russie pour sa politique en Tchétchénie. Maintenant que la situation dans cette république du Caucase du Nord est, pour l'essentiel, normalisée et alors que les terroristes internationaux se sont attaqués à Madrid et à Londres, les Européens font preuve d'une plus grande compréhension à l'égard de la Russie.
Le terrorisme international livre depuis longtemps une guerre à l'Etat russe. Des avions et des trains dynamités, Beslan, la Doubrovka, des centaines de passants morts figurent dans les lugubres "états de service" des terroristes. Par conséquent, lorsque les services secrets dépistent des terroristes ou lorsqu'ils essaient de les neutraliser, ils sont souvent contraints de les tuer. En ce moment, le tribunal prononce le verdict à l'encontre de Nourpachi Koulaiev, unique survivant du commando qui a pris des otages dans une école de Beslan, en Ossétie du Nord. Tous les autres terroristes ont été tués. Tous les terroristes qui ont pris des otages en 2002 au centre théâtral de la Doubrovka de Moscou, ainsi que des dizaines de terroristes armés qui ont attaqué à l'automne dernier les organes judiciaires de Naltchik ont également été éliminés.
On peut être sûr que, si ces attaques se répètent (la Russie n'est pas encore prémunie contre les attentats), les unités spéciales n'emploieront pas des grenades somnifères contre les terroristes, pour les condamner ensuite à la réclusion à vie, conformément au Protocole N6 de la Convention européenne des droits de l'homme. En tout cas, ni en Russie, ni en Europe, personne ne pose la question de cette façon. D'ailleurs, le Protocole N6 stipule que la peine de mort est inadmissible "en temps de paix". La Russie se trouve encore en guerre, une guerre insolite.
Il serait bizarre, voire hypocrite d'abolir la peine de mort sur le papier, alors que la Russie est contrainte de tuer des terroristes presque chaque jour.
On peut dire que le terrorisme international nous empêche d'annuler entièrement la peine de mort en Russie. Ces dix-quinze dernières années, la législation pénale a connu une immense libéralisation, mais, lorsqu'il s'agit du terrorisme, il ne faut pas attendre de faveurs. En tout cas, c'est l'avis de la majorité des députés de la Douma (chambre basse du parlement russe), interrogés lors d'un sondage préliminaire. Ce n'est pas par hasard que le Protocole N6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'a jamais été soumis au vote au parlement ou examiné au comité législatif de la Douma. Certes, l'échec du vote aurait suscité un scandale à l'échelle européenne. Naturellement, la Russie ne veut pas être considérée comme un ardent partisan de la peine de mort, car ce serait faux. Constantin Kossatchev, président du Comité des affaires internationales de la Douma, fait remarquer à juste raison qu'en cas d'échec d'un vote anticipé sur la peine de mort, il aurait fallu reporter cette question d'une ou de plusieurs générations politiques.
Le sondage réalisé à la Douma a montré que les adversaires de l'abolition de la peine de mort pour les terroristes constituent la majorité, de même que dans la société russe qui est alarmée par la menace terroriste. Les communistes, la fraction Rodina (Patrie) et les représentants du Parti libéral-démocrate se prononcent fermement en faveur de la peine de mort. Ils constituent ensemble moins d'un tiers des effectifs de la chambre basse. Cependant, dans le parti pro-présidentiel Russie unie ayant la majorité constitutionnelle, le nombre des partisans et des adversaires de la peine de mort pour les terroristes est à peu près égal. Les abolitionnistes convaincus, par exemple Constantin Kossatchev, n'espèrent pas constituer la majorité d'ici peu.
Cela ne signifie nullement que la Russie méprise les principes du Conseil de l'Europe. En fin de compte, le moratoire sur la peine de mort est en vigueur et nul n'a l'intention de le lever. Mais la disparition de la peine de mort de la législation russe n'est pas pour demain. En tout cas, il faut d'abord remporter la victoire sur le terrorisme international.