Par Youri Filippov, commentateur politique de RIA Novosti
"Pour qui faisons-nous cela? a demandé Vladimir Poutine dans le message qu'il a adressé mercredi à l'Assemblée fédérale. La réponse semble évidente, en effet, chaque génération ne travaille-t-elle pas pour la suivante? Pourtant, cette question rhétorique par excellence n'est pas du tout simple pour la Russie. Et ce n'est pas sans raison que le chef de l'Etat russe a dit qu'il n'y en avait pas de plus importantes.
Depuis plus de dix ans la population diminue annuellement de 700.000 âmes en moyenne en raison d'un taux de mortalité supérieur au taux de natalité. L'année dernière la population a connu un déclin de 680.000 personnes pour se chiffrer actuellement à moins de 143 millions d'habitants.
Compte tenu des tendances existantes, les pronostics pour l'avenir son pessimistes: les 100 millions d'habitants en 2050 évoqués à la Douma (chambre basse du parlement) sont loin de constituer le pire des scénarios. La Russie est réellement menacée de dépeuplement aux conséquences politiques les plus imprévisibles. La "préservation du peuple" dont ne cesse de parler le prix Nobel de littérature Soljenitsyne cité par Vladimir Poutine est effectivement une priorité nationale qui estompe toutes les autres.
Toutefois, l'Etat est-il en mesure d'éliminer la crise? C'est en toute connaissance de cause que Vladimir Poutine a fixé cet objectif à long terme. En quoi consiste donc la stratégie présidentielle qui au cours des semaines, mois et années à venir va se matérialiser dans des milliers de décisions législatives, financières, administratives et autres? Ce qui est remarquable, c'est qu'en évoquant la démographie le président n'a fait que rappeler en passant la "politique d'immigration bien pensée". La Russie, qui occupe un septième des terres émergées de la planète, va devoir engendrer elle-même ses nouvelles générations. Le président n'a certes pas tenu ces propos, néanmoins c'est bien ce que sous-entend son intervention.
La baisse de la mortalité, un problème pourtant des plus urgents (la longévité moyenne des hommes en Russie ne bouge pas depuis longtemps de la cote d'alerte de 57-58 ans), occupe une place légèrement plus grande dans le message mais sans pour autant figurer au premier plan.
Selon Vladimir Poutine, pour régler les problèmes démographiques de la Russie il est primordial d'accroître sensiblement la natalité. Il faut qu'un troisième enfant devienne un objectif pour des millions de familles russes. Pour sa part l'Etat est disposé à corriger sa récente déviation ultralibérale et à cesser de considérer la procréation comme une affaire purement personnelle. Il semble bien que l'argent provenant de la vente du pétrole et qui a été abondamment engrangé dans les caisses de l'Etat trouvera utilisation très prochainement en vue d'étoffer la population.
Vladimir Poutine a tracé les grands axes de l'aide matérielle à la maternité, à l'enfance et aux jeunes ménages. Dès l'année prochaine les allocations de naissance et de soins aux enfants ainsi que les prestations versées aux tuteurs et aux adoptants seront augmentées de plusieurs fois. La proposition présidentielle de créer une "base primaire de capital maternel", pour reprendre ses propos, est intéressante en ceci qu'il s'agit en quelque sorte d'un fonds public d'investissement en faveur de la maternité. Selon les premières estimations, le montant de ce capital serait comparable à la somme versée annuellement par la Russie pour assurer le service de sa dette.
Le programme présidentiel visant un baby-boom pourrait être qualifié de projet national intégral pour la Russie, qui dresserait le bilan de ce que l'Etat a déjà réalisé et réalise dans le domaine social. Maintenant il va falloir bien l'agencer et entreprendre sa réalisation. Attendre qu'il apporte des résultats dans neuf mois serait verser dans un optimisme béat, mais il devrait être possible de dresser un premier bilan d'ici deux à trois ans.