Les impressionnistes français à Moscou

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Par Laurent Berber pour RIA Novosti

Du 13 avril au 13 juillet 2006, près de cinquante peintures et sculptures provenant du Musée d'Orsay de Paris sont exposées à la nouvelle Tretiakov, pour célébrer le 150ème anniversaire de la célèbre galerie.

Peu connu en France, le nom de Pavel Tretiakov est en revanche intimement lié en Russie à l'art. C'est en 1856 qu'il entame une collection de peintures qui va en l'espace de quelques années constituer pour la Russie et pour le monde entier un véritable patrimoine culturel.

Amateur invétéré des salles d'exposition, des galeries d'art privées et des salons d'antiquités, ce dilettante et fin autodidacte va soutenir avec clairvoyance de grandes figures artistiques (comme Répine, par exemple). Le début du mécénat de Tretiakov correspond en Russie sur le plan de la peinture à un affranchissement vis-à-vis de l'enseignement prodigué dans les académies de Saint-Pétersbourg et de Moscou, et se traduit également par un rejet des influences étrangères, en particulier occidentales.

Véritable mécène, par ses acquisitions, Pavel Tretiakov va encourager l'émergence d'un art et d'un style proprement "russe" qui se caractérise par un retour aux sources slaves, à l'histoire culturelle et aux mythes populaires. Ce mouvement favorise également la prise en compte de la réalité sociale et politique de l'époque.

Rassemblée dans une aile spécialement accolée à sa maison, sa collection privée compte déjà près de 500 �uvres en 1872. Elle sera finalement léguée en 1894 à la ville de Moscou, et constitue aujourd'hui, avec celle du Musée russe de Saint-Pétersbourg, la plus grande collection d'art russe au monde.

Au milieu du XIXe siècle, on assiste également en Europe à un rejet des modèles académiques traditionnels. Mais à l'inverse du courant russe qui prend davantage la forme d'une quête identitaire, l'émergence du réalisme français, suivi quelques années plus tard par l'impressionnisme, école étrillée par les milieux artistiques de l'époque, témoigne en revanche une échappée picturale prônant la spontanéité individuelle et la liberté d'expression des peintres.

Le parcours de l'exposition retrace bien cette évolution. Installées à l'entrée, deux toiles maîtresses de Jules Bastien-Le Page et de Jules Breton expriment la rupture entamée quelques années plus tôt avec l'idéalisme romantique. Les mouvements sociaux et politiques de 1848 vont avoir une incidence profonde sur la peinture qui va progressivement tenter de restituer la réalité concrète de la vie quotidienne. Les foins et Le retour des glaneuses témoignent toutes deux d'une volonté de traduire fidèlement les composantes de la réalité paysanne, en opposition avec les idéaux moralistes caractéristiques de l'art académique.

On passe ensuite de l'évocation monde paysan à une première représentation du prolétariat urbain qui avait fait scandale à l'époque. Suspendu tout au fond de la salle, Les raboteurs de Parquet réalisé en 1875 par Gustave Caillebotte traduit sans artifices la réalité ouvrière. Refusé par le Jury du Salon en 1875, le cadrage en plongé de ces artisans au travail dans un appartement bourgeois de Paris domine à mon sens avec sobriété l'ensemble de cette exposition.

De nombreux artistes vont participer à l'évolution du courant impressionniste, qui tout en évoquant une perception beaucoup plus personnelle de la réalité et une référence stylistique particulière, est loin de constituer un courant statique. Outre Le balcon de Manet, La Gare St Lazare de Claude Monet, ou Le Pont de Moret de Sisley, certains artistes vont profiter de cette nouvelle liberté artistique pour peindre des sujets jusqu'ici moralement inexploitables, c'est le cas de La toilette de Toulouse Lautrec, peint en 1896, témoignage d'un épanouissement de plus en plus évident de l'artiste face à son oeuvre.

Le musée d'Orsay a également consenti le déplacement d'une oeuvre magnifique et particulièrement évocatrice de l'espace désormais consacré à la spontanéité des émotions et des pulsions de l'artiste. Représentation quasi cosmique d'une nuit sereine, La nuit étoilée de Vincent Van Gogh, réalisée en 1888, offre l'image intense du reflet scintillant des étoiles sur le Midi, en juxtaposant le jaune chaleureux et scintillant des étoiles sur une palette panachée de bleu de Prusse, d'outremer et de cobalt.

Les sculptures présentées à l'exposition permettent également de mesurer l'affranchissement des oeuvres présentées vis-à-vis des conventions et des traditions. A l'image de l'Etude de nu pour la danseuse habillée d'Edgar Degas, et du Ratapoil (personnage de caricature) d'Honoré Daumier (1850), ces oeuvres traduisent une appropriation du corps humain de plus en plus originale et subjective.

Enfin, l'exposition est également et surtout un retour enchanteur dans le passé, un témoignage poignant des bouleversements artistiques de l'époque. Elle est donc à ne pas manquer. Mais ne soyez pas tenté de rejoindre au troisième étage l'exposition permanente consacrée à l'art russe soviétique. Les palettes de nos impressionnistes auraient vite fait de s'assombrir...

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